Entretien : Gare à l’endettement des hôpitaux publics !

Entretien : Gare à l’endettement des hôpitaux publics !

Jilali HazimDans cet entretien, le Directeur général de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) revient sur les contraintes qui pèsent sur le succès et la viabilité du Régime d’assistance médicale (Ramed). Ne se contentant pas du seul diagnostic de la situation, Jilali Hazim nous parle également d’un nouveau schéma de gouvernance du Ramed, proposé par l’ANAM et soumis récemment à l’approbation du gou­vernement Benkirane.

Finances News Hebdo : On aurait ten­dance ces derniers temps à croire que le Ramed risque la faillite. Confirmeriez-vous ces craintes ? Ce risque est-il plausible ? Comment se porte aujourd’hui le Ramed, notamment sur le plan financier ?

Jilali Hazim :  La situation actuelle du Ramed n’est pas si alarmiste. Le régime a réalisé au bout de trois années de généralisation un bilan positif : la couverture de plus de 8,5 millions de bénéficiaires (soit un taux de réalisation dépas­sant les 100 % de la population cible) avec un panier de soins élargi. Ainsi, plus de 500.000 cas d’hospitalisation ont été enregistrés, pas moins de 3.8 millions d’opérations externes, plus d’un million de consultations spécialisées externes et plus de 880 prises en charge des ALD/ALC. On note également la prise en charge de 7.641 malades atteints d’insuffisance rénale ayant bénéficié de 840 séances de dialyse. Parmi les autres prestations assurées figurent les transplantations d’organes, tels que la cornée, les reins, le foie, la moelle épinière, ainsi que les interventions lourdes et coûteuses.

Mais, à l’heure qu’il est, le Ramed est confronté à des contraintes majeures, notamment celles liées au financement des hôpitaux. Le finance­ment du Ramed est assuré actuellement par la contribution de l'Etat, les contributions des col­lectivités et celles des personnes en situation de vulnérabilité (120 DH/personne avec un plafond de 600 DH/foyer). La difficulté majeure réside dans l’absence d’individualisation du financement alloué au Ramed, et de contractualisation avec les hôpitaux. Cette situation est amplifiée par l’absence de mécanismes de suivi du versement des contributions au compte d’affectation spé­ciale de la pharmacie centrale, qui est géré par le ministère de la Santé; ce qui ne permet pas d’avoir une visibilité sur le coût du Ramed.

F.N.H. : Quels sont les dysfonctionne­ments et les limites qui pèsent le plus sur la soutenabilité et la viabilité du régime ?

J. H. : Mises à part ces contraintes d’ordre finan­cier, des contraintes en rapport avec la gouver­nance du régime et à l’accès aux soins amplifient les dysfonctionnements du système actuel. En matière de gouvernance, la loi accorde certes à l’Agence la gestion des ressources affectées au Ramed. Mais dans l’état actuel des faits, l’ANAM ne gère que les opérations d’immatriculation.

Cette inadéquation d’ordre réglementaire a eu comme corolaire l’inexistence d’un tiers payeur conformément aux règles de bonne gouvernance des régimes d’assistance sociale.

Cette situation de dysfonctionnement, si elle perdure, pourrait conduire au risque d’endette­ment des hôpitaux publics, lequel est dû surtout à la pression et à l’augmentation de l’activité qu’ont connues ces structures après la géné­ralisation du Ramed. Surtout que le manque de ressources humaines et de médicaments se fait sentir, notamment dans les centres de santé de rattachement, qui sont censés réguler les flux à travers la filière de soins rendue obligatoire mais jamais respectée.

F.N.H. : Pour remédier à cette situation, que faut-il faire ? Et comment faudrait-il procéder ?

J. H. : Pour rétablir la situation, l’ANAM pro­pose un nouveau schéma de gestion du Ramed basé sur les règles de bonne gouvernance des systèmes d’assistance médicale, à savoir la sépa­ration entre l’organisme gestionnaire et le pres­tataire de soins, la contractualisation entre ces deux intervenants et la présence d’un organisme régulateur pour la rationalisation et la maîtrise des ressources. Cette proposition a été soumise au gouvernement et s’articule autour de cinq axes.

1 - le renforcement du contrôle a priori afin d’évi­ter les fraudes au niveau des déclarations et les doubles affiliations.

Cela passe par le maintien du processus actuel d’éligibilité, étant donné que le ministère de l’Intérieur a mis en place une deuxième ver­sion de son système d’information de ges­tion des déclarations pour le Ramed, permet­tant aux Commissions permanentes locales et aux Commissions permanentes provinciales le contrôle a priori des déclarations. La gestion des opérations d’immatriculation avec les différents acteurs concernés, notamment le ministère de l’Intérieur, les organismes gestionnaires de l’AMO et certaines administrations publiques, en vue de faire le recoupement des déclarations avec leurs bases de données, sera améliorée et encadrée par une convention entre l’ANAM et le ministère de l’Intérieur.

Ce partenariat permettra de traiter, d’une manière efficiente et fiable, tous les aspects liés au pro­cessus d’éligibilité en matière d’échange de don­nées, de suivi, de contrôle et d’évaluation. Il est aussi proposé d’adopter un nouveau système de gestion et d’information, avec plus d’intégration, basé sur de nouvelles cartes à puce au profit des bénéficiaires, pour plus d’authentification et de traçabilité des informations médicales, afin d’évi­ter les fraudes et les doubles affiliations.

2 - l’individualisation et la sécurisation du financement du régime en créant un organisme gestionnaire du Ramed.

3 - l’extension des missions de l’ANAM à la régu­lation du Ramed, à l’instar de l’AMO. L’agence devra veiller à la mise en place des mesures nécessaires à la régulation du système et, en par­ticulier, les mécanismes appropriés de maîtrise des coûts du Ramed, et veiller à leur respect (liste des médicaments essentiels, parcours de soins, protocoles thérapeutiques…).

4 - adopter le mode de contractualisation entre le nouvel organisme gestionnaire et les prestataires de soins (CHU et hôpitaux Segma), afin d’enca­drer les relations et, surtout, maîtriser le coût réel du Ramed. Cette convention permettra de définir les modalités administratives de la prise en charge du bénéficiaire du régime avec l’obligation du res­pect de la filière de soins publics; les modalités de facturation et de rémunération des prestations servies par les hôpitaux, notamment la nécessité et l’obligation de facturation des prestations par bénéficiaire; les modalités d’échange des docu­ments statistiques et informations relatives à la consommation médicale (nature et périodicité); les mécanismes de maîtrise des coûts et le suivi de la consommation médicale, les indicateurs de suivi, les actions de prévention et les actions de sensibilisation des bénéficiaires, etc.

5 - la création des synergies et la mobilisation des moyens entre les acteurs. Dans ce sens, une convention-cadre entre le ministère de la Santé et l’ANAM a été signée en Septembre 2014 afin d’ assurer la formation continue des profession­nels de santé en matière de gestion du Ramed; de communiquer et sensibiliser sur les droits et obligations de la population et des professionnels de santé en matière de gestion du régime et, notamment, en matière de respect de la filière de soins, et d’accompagner les centres de santé de rattachement et les services d’accueil et d’admission des hôpitaux dans la mise en oeuvre et le déploiement du système d’information SNIGI.

F.N.H. : Quel rôle l’ANAM peut-elle jouer pour assurer au Ramed une vie pérenne et équilibrée?

J. H. : l’ANAM a entrepris plusieurs actions, notamment le lancement d’une étude (en cours) sur l’identification des préalables et mesures d’accompagnement pour la mise en place d’un organisme gestionnaire du Ramed dont les résul­tats seront disponibles d’ici la fin de l’année. Une autre étude, en cours d’élaboration, porte sur la mise en place d’un Système national intégré de gestion et d’informations dédié au Ramed (SNIGI-RAMED). Notons également la création d’un département RAMED et le renforcement des ressources humaines, outre la mise en place d’une cellule d’accueil à l’ANAM « Front Office» chargée de traiter les réclamations et de donner les informations nécessaires aux bénéficiaires RAMED. Plus de 3.400 réclamations ont été traitées en 2014. L’ANAM compte également effectuer un amendement de la loi 65-00 et son décret d’application pour lever les incompatibili­tés, en vue de créer un organisme gestionnaire dédié, tout en confiant à l’ANAM la mission de régulation du régime.

Propos recueillis par Wadie El Mouden

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