Entretien : Cap sur le marché africain

Entretien : Cap sur le marché africain

abdelghaniLa mise en place de laboratoires de contrôle nationaux certifiés dans chaque pays du continent est une priorité pour auditer le marché, superviser son approvisionnement et définir ses besoins. Pour le Dr El Guermai Abdelghani, président-fondateur des Laboratoires pharmaceutiques Galenica, le Maroc est prêt à jouer un rôle non seulement en approvisionnant le marché en médicaments, mais également par le transfert de technologie.

Finances News Hebdo : Le Maroc aspire à devenir une plateforme africaine. L’industrie pharmaceutique marocaine a-t-elle les capacités suffisantes pour répondre à tous les besoins du continent en médicaments ?

El Guermai Abdelghani : Il faut savoir qu’il y a une quarantaine de laboratoires pharmaceutiques disposant d’un site industriel au Maroc, dont une dizaine maroco-marocains qui est intéressée par le marché africain. Maintenant, pour savoir si ces laboratoires sont capables de répondre aux nécessités des pays africains, il faut d’abord identifier les besoins de chaque pays en médicaments aussi bien en ce qui concerne la nature que les quantités de produits. Chose que nous ignorons aujourd’hui.  Cela dit, pour les pathologies dites lourdes, pour lesquelles les besoins ne sont pas énormes, je peux vous affirmer que les laboratoires nationaux marocains ont largement les capacités pour répondre aux besoins de tous les pays africains. Mais cela nécessitera une organisation entre les producteurs marocains et les pays demandeurs. Il faut que ces pays formulent leur demande afin d’établir un programme d’action à long terme dans un esprit gagnant-gagnant.

F.N.H. : Bientôt, vous allez organiser «la 1ère Rencontre Menafrique Santé». Concrètement, dans quelle mesure cette rencontre contribuera-t-elle au renforcement de la coopération SudSud dans le domaine de la santé, d’une manière générale, et du médicament, en particulier ?

E. G. A. : L’objectif de cette Rencontre inédite est d’échanger et faire fructifier les expériences des uns et des autres dans le domaine de la santé, sur les traitements de certaines maladies et sur les solutions aux problématiques pharmaceutiques. L’objectif est également de définir et de mettre en place ensemble une feuille de route commune adaptée aux besoins de chaque pays. A partir de ce premier jalon, nous pourrons lancer plusieurs programmes : l'identification des pathologies urgentes à traiter, approvisionnement en médicaments, formation des cadres à tous les niveaux, contrôle qualité, accompagnement contre le marché illicite des médicaments.


F.N.H. : Les médicaments contrefaits et de mauvaise qualité inondent le marché africain. La mise en place d’une entité de contrôle du marché des médicaments dans chaque pays africain estelle suffisante pour assainir le marché ?

E. G. A. : Certains pays africains ne disposent pas d’un organisme de contrôle étatique, ni d’un cadre réglementaire effectif conforme aux indications des instances internationales (OMS, BPF, GMP…), comme c’est le cas au Maroc qui dispose du Laboratoire national de contrôle des médicaments. Cette entité est le garant de la qualité des médicaments mis sur le marché et permet d’en assurer et l’efficacité et l’innocuité. C’est pour cette raison qu’il est indispensable que les pays africains mettent en place des laboratoires de contrôle nationaux certifiés. C’est une priorité qui permettra à la fois de contrôler le marché, de superviser son approvisionnement et de définir ses besoins.

F.N.H. : Les pays africains appellent le Maroc non seulement à exporter ses médicaments, mais à délocaliser son industrie pharmaceutique en Afrique. Selon vous, l’expérience marocaine dans ce domaine est-elle significative ?

E. G. A. : L’industrie pharmaceutique est une industrie complexe, de plus en plus difficile, qui fait appel à une technologie de pointe et des moyens humains et techniques de haut niveau :  il s’agit de la santé humaine ! Prenons l’exemple du Maroc. Si nous sommes parvenus à fabriquer 80% de nos besoins en médicaments, c’est parce qu’il y a eu une réelle volonté politique et un engagement réel entre le ministère de la Santé et les laboratoires pharmaceutiques marocains. Une politique grâce à laquelle nous répondons non seulement à nos besoins, mais aussi aux standards internationaux de qualité. L’industrie pharmaceutique marocaine dispose d’une cinquantaine d’années d’expérience et ne cesse de se mettre à jour et d’évoluer. Toutefois, pour investir dans une usine pharmaceutique dans un autre pays africain, il faut qu’il y ait une demande justifiant cet investissement. C’est-à-dire un marché potentiel qui permettra de rentabiliser le projet. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque le taux de pénétration du médicament est très faible dans plusieurs pays africains.  Le pouvoir d’achat est très faible et la couverture médicale est insignifiante, même dans les pays à forte population. Pour franchir ce pas, il faut d’abord une réelle politique pour accompagner de telles industries et réunir toutes les conditions nécessaires pour sa réussite et sa durabilité. Il me semble qu’il serait nécessaire, dans un premier temps, d’envisager un marché commun entre un certain nombre de pays dont les besoins globaux et spécifiques justifieraient l’installation d’une unité industrielle. Il serait également judicieux d’envisager plusieurs étapes dans cette industrialisation technique, des plus faciles aux plus difficiles. L’expérience marocaine peut servir d’exemple pour les confrères et donneurs d’ordres en Afrique. C’est le seul moyen qui permettra une visibilité et assurera un marché potentiel incitatif.

Propos recueillis par L. Boumahrou

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