Pour l’ANCP, le contribuable «Clinique» est aujourd’hui un contribuable exemplaire.
Deux éléments essentiels échappent au Fisc : les payants et le complément d’honoraires, appelé vulgairement le «noir».
La tarification actuelle est fortement décriée par la profession.
Par D. William
«C’est le moment de nous dire les choses avec responsabilité et d’arrêter de dire une chose et de faire son contraire. Je ne veux pas attaquer une profession, mais aujourd’hui les données sont connues, profession par profession. Personne n’aime payer l’impôt.
Que les gens minorent leurs déclarations d’impôt de 10 ou 20% n’est pas le problème. Mais quand on les minore de 90%, j’ai un problème. Quand je vais dans une clinique et qu’on me dit «Je n’accepte pas de chèque», qu’est-ce que cela veut dire ?
Maintenant, ça suffit ! La corruption, ça suffit ! Le noir, ça suffit !».
Ce coup de gueule de Zouhair Chorfi, secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances, lors des Assises nationales de la fiscalité tenues les 3 et 4 mai à Skhira, à l’encontre des cliniques privées, a secoué la profession.
Outrée, l’Association nationale des cliniques privées (ANPC) avait réagi avec virulence, qualifiant ces propos d’«irresponsable» et décidant même de «porter plainte pour diffamation».
Aujourd’hui, il semble que les choses se sont calmées, l’ANPC décidant de mettre de l’eau dans son vin.
Mais l’ampleur prise par cette affaire est davantage due au statut de Chorfi et à la résonnance que peuvent avoir ses déclarations qu’à leur teneur effective. Car ce qu’il a dit à voix haute, devant les médias, le citoyen lambda le pense et n’a eu cesse de le dénoncer, mais sa voix est bien souvent inaudible.
Nos cliniques sont-elles si clean? Sont-elles exemptes de tout reproche ? L’éthique du métier est-elle toujours respectée ? N’y a-t-il pas parfois des relations malsaines entre médecine et business ?
«Aujourd’hui, on peut dire que le contribuable «Clinique» est un contribuable exemplaire et clean, qui participe étroitement à l’économie nationale en termes de fiscalité». C’est ce que nous confie Redouane Semlali, président de l’Association nationale des cliniques privées. Pour étayer ses propos, il affirme que dès que son équipe a pris les rênes de l’ANCP, une démarche volontaire a été entreprise pour avoir une audience avec la direction de l’administration fiscale afin de «régulariser la situation fiscale des cliniques».
«L’administration fiscale avait une très mauvaise perception de ce que je peux appeler l’activité «Clinique». Elle pensait qu’elle avait une rentabilité très importante. Quand on a épluché nos comptes, on s’est rendu compte qu’on avait un mode de fonctionnement équilibré. Donc, après étude approfondie, nous avons apporté des rectificatifs à l’ensemble des chiffres d’affaires des cliniques, qui n’ont pas dépassé les 1,5% de correction», précise le président de l’Association. Il reconnaît, toutefois, qu’«il y a eu des cas isolés d’interprétation de déclarations sur lesquels l’administration a voulu se pencher davantage. Ils sont minoritaires et ne dépassent pas 5% de l’ensemble des cliniques».
Au sein même du corps médical, on reconnaît certaines pratiques malsaines. Pour ce médecin au cœur du système et bien au fait des agissements dans ce secteur, «ce qu’a dit le secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances est une réalité».
C’est pourquoi, rappelle-t-il, «toutes les cliniques et tous les médecins ont signé l’année dernière une déclaration rectificative dans laquelle ils reconnaissent implicitement avoir fait une sous-déclaration, pour ne pas dire une fausse déclaration. Ce qui est un aveu tacite».
Dans ce cadre, poursuit-il, «un barème a été fixé d’un commun accord. Pour les cliniques, c’est en fonction du chiffre d’affaires déclaré de l’année 2018».
Si notre source admet qu’«il y a des cliniques réglos qui appliquent la tarification de référence et qui sont transparentes, plusieurs disposent cependant de deux comptabilité (A et B), dont la première (A) est celle présentée au Fisc».
Pour notre interlocuteur, la mission de contrôle du Fisc est assez difficile parce qu’il y a deux choses qui lui échappent : les payants, auxquels on applique des tarifs «à la tête du client» et qui règlent généralement en espèces, et le complément d’honoraire, appelé vulgairement le «noir».
«Un chirurgien qui opère se contente rarement de la tarification de référence qui est fixée par voie réglementaire, même pour les assurés. Il exige donc un complément d’honoraires qui est souvent payé en espèces et souvent non déclaré», assure notre source. Non sans préciser que «certains médecins qui se respectent peuvent cependant donner à leurs patients une note d’honoraires et sont parfois même payés par chèque».
«Ce complément d’honoraires peut varier en fonction de la notoriété du médecin et peut aller de 500 à 12.000 DH, selon l’acte», explique-t-il.
Il faut savoir que les actes médicaux sont régis par une nomenclature. Si l’on prend l’exemple d’un K100 (ex, la césarienne), c’est un forfait de 8.000 DH. Sur ce forfait, le gynécologue perçoit 2.250 DH si le patient est couvert par l’assurance maladie obligatoire (AMO), soit 22,5 DH X 100, la valeur du K pour l’AMO équivalant à 22,5 DH l’unité. «Toutefois, le gynécologue peut demander un complément d’honoraires qui peut aller jusqu’à 4.000, voire 5.000 DH, soit plus de 2 fois la tarification de référence», renseigne notre médecin, notant que «cette partie là n’est pas déclarée en général et c’est l’assuré qui la paye. Ce complément d’honoraires est toutefois négociable».
Donc, le patient assuré se retrouve à payer le ticket modérateur à la clinique (autour de 20% de la facture, puisque l’AMO ne couvre pas toutes les prestations, sauf pour les maladies graves -cancer par exemple-), en plus du complément d’honoraires.
La tarification actuelle explique-t-elle le fait que le complément d’honoraires soit devenu quasi systématique ? «Les médecins contestent la tarification actuelle. La convention entre les médecins et les gestionnaires de l’assurance maladie a été signée en 2006. Une actualisation était prévue tous les 3 ans, ce qui n’a pas été fait. Seules certaines prestations ont été actualisées. C’est un sérieux point de discorde entre les gestionnaires de l’assurance maladie et les cliniques et les praticiens», explique notre source.
Même son de cloche au sein de l’ANCP. Le professeur Semlali va même plus loin. Selon lui, «nous avons une assurance maladie qui est malade. Elle a vu le jour en 2006 et devait être révisée en 2009 et ne l’a jamais été à ce jour. Donc, aujourd’hui, le panier de soins qui a été mis en place initialement est dépassé».
Le président de l’ANCP estime, à ce titre, que «l’assurance maladie est quantitativement et qualitativement insuffisante. Qualitativement, il y a beaucoup de thérapeutiques devenues maintenant des standards, qui ne sont pas prises en charge par l’assurance maladie. Quantitativement, il n’y a pas eu d’actualisation de la tarification nationale de référence».
Il donne ainsi l’exemple de la réanimation, prise en charge à 1.500 DH, alors que son coût évalué dans les hôpitaux de l’Etat est à 4.000 DH.
Autre exemple : le PET scan, une radio nécessaire pour la prise en charge du cancer. «Il existe au Maroc depuis 8 ans et, à ce jour, il n’est pas pris en charge par l’AMO. Or, le Marocain est obligé de procéder à cet examen dans la plupart des cas où il a un cancer et il le paye de sa poche», fait savoir Semlali, précisant qu’ «on ne peut pas qualifier cela de complément d’honoraires, mais du paiement d’un acte qui n’est tout simplement pas remboursé».
Pour lui, les compléments d’honoraires, que les gens interprètent comme de l’argent qui leur est spolié par les médecins, permettent aux Marocains d’accéder à des soins de qualité.
L’argument opposé d’ailleurs aux détracteurs des cliniques privées par Semlali est que ce sont ces dernières qui s’occupent de la santé des Marocains.
«90% des malades assurés sociaux se traitent chez nous. Nous disposons de 70% des nouvelles technologies. Aujourd’hui, quand les Marocains sont malades, ils viennent chez nous. Parce qu’il y a un hôpital public qui n’est pas efficace, un manque de ressources humaines, l’assurance maladie est malade, les financements accordés ne sont pas suffisants et tout tombe sur nous», se désole-t-il.
Le président de l’ANCP préconise de revoir les choses de façon plus globale. «Il va falloir s’asseoir ensemble. Il faut qu’il y ait une vision transversale de la santé. C’est l’affaire de tous : du ministère de la Santé, du privé, des collectivités locales, des régions, du ministère de l’Intérieur... C’est un environnement global qu’il faut prendre en considération pour mettre en place un système de santé efficace», conclut-il. ◆
La valeur unitaire du K est de 22,5 DH pour l’AMO, 25 DH pour la Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine (CMIM) et 30 DH pour l’assurance privée. Sa revalorisation reste actuellement un véritable élément de discorde au sein de la profession. C’est même parfois l’objet de tensions entre la clinique et certains médecins.
Le médecin qui amène son patient à la clinique peut en effet exiger que le K lui soit payé à 30, 35 ou même 45 DH l’unité, quel que soit le type d’assurance.
Ce qui fait que «la clinique est parfois otage du médecin. Elle est obligée de s’aligner si elle veut avoir de la clientèle», nous explique notre source.
C’est la raison pour laquelle certaines cliniques trouvent des alternatives pour recruter elles-mêmes de la clientèle. «Dans ce cas, le client «appartient» à la clinique qui se charge de le mettre en rapport avec le spécialiste (chirurgien, gynécologue…), lequel ne peut donc demander la revalorisation du K», relève notre interlocuteur.
Sauf que dans cette quête de clientèle, il y a parfois des dérapages, comme ce qui se passe avec les ambulanciers.