Auto-entrepreneur: le marché réclame une flexibilisation du marché du travail !

Auto-entrepreneur: le marché réclame une flexibilisation du marché du travail !

Institué par la Loi de Finances 2014 dans une perspective de lutte contre l’informel, l’exclusion économique et le chômage des jeunes, le régime de l’auto-entrepreneur a connu, du fait de sa simplicité et des avantages fiscaux qu’il propose, une réussite somme toute relative. Pourtant, avec sa clarté, ce qui, vous en conviendrez, est rare chez nous au Maroc, et son attractivité fiscale, ce régime avait tout pour séduire. Les contraintes étaient les suivantes :

• Le chiffre d’affaires encaissé ne doit pas dépasser 500.000 DH pour les activités commerciales, industrielles et artisanales, et 200.000 DH pour les activités de services.

• Quant aux impôts dus à l’Etat, ils se résumaient à 0,5% du chiffre d’affaires encaissé pour la première catégorie d’activités et 1% pour la deuxième, celle des services.

• Enfin, concernant la sécurité sociale, l’autoentrepreneur était tenu d’adhérer à la CNSS. Résultat des courses, seulement 375.000 autoentrepreneurs environ ont adhéré à ce régime, là où l’Etat en attendait 4 millions.

Pire, le nombre de nouveaux adhérents est en nette régression depuis quelques années, avec une baisse de 34% entre 2021 et 2022, au moment même où le taux de chômage ne cesse de grimper, surtout parmi les jeunes. Plusieurs facteurs convergent pour expliquer cette baisse. D’un côté, l’inflation et la contraction de l’activité économique consécutives en partie à la pandémie Covid-19, ont porté un coup dur à l’économie dans son ensemble. Les auto-entrepreneurs dont l’activité dépend étroitement de celle des entreprises, ne pouvaient en échapper.

De l’autre, et c’est là l’une des principales raisons, la révision à la hausse de la taxation du régime fiscal du statut d’auto-entrepreneur instaurée par la Loi de Finances 2023, a porté le coup de grâce à un régime qui, pourtant, méritait amplement d’avoir une seconde chance. En effet, et selon l’alibi officiel, le détournement de ce statut par certaines entreprises qui, pour réduire leurs charges fiscales, encouragent leurs salariés à migrer vers le statut d’autoentrepreneur, a été à l’origine de cette révision.

Ainsi, désormais, tout auto-entrepreneur dans le secteur des services qui verrait son chiffre d’affaires dépasser 80.000 DH avec le même client sur une année, se verrait soumis à l’impôt sur le revenu par voie de retenue à la source, à un taux libératoire de 30%. Une sorte de punition collective, puisqu’au fond, il ne s’agit au final que d’une minorité de fraudeurs qui font un usage détourné de ce statut.

Cependant, entre le tout et le presque rien, entre 30 et 1%, il y a quand même de la marge et des nuances à entrevoir. Car ce n’est pas en cassant le thermomètre que nous faisons disparaître la fièvre. La fièvre en l'occurrence pour rester dans cette métaphore médicale, c’est bel et bien notre code du travail, dont la rigidité et lourdeur n’ont rien à envier à notre fiscalité. Puisque s’il est très dur au Maroc de licencier même pour des motifs légitimes, il est par conséquent très dur et risqué de recruter. La conséquence logique est un chômage structurel au sein des jeunes au Maroc. L’autre problème auquel sont confrontées les entreprises au Maroc est un régime de l’IR pesant et en inadéquation avec les impératifs de notre économie, et la maigre et fragile trésorerie de la majeure partie de nos TPE.

Mais comme le réel finit toujours par se frayer un chemin malgré les innombrables contraintes, des phénomènes pas toujours éthiques se développent pour permettre autant aux TPE de survivre qu’aux jeunes de toucher une rémunération. Cela va des stages qui durent ad vitam aeternam, qui correspondent dans le fond à un salarié déguisé et défiscalisé, jusqu’au détournement du statut d’auto-entrepreneur. Combattre ces phénomènes est certes une nécessité. Notamment en raison de la précarité sociale et économique dans laquelle se trouvent nos jeunes, livrés à ce type de pratiques.

Mais les combattre ne signifie pas forcément que cela passe par la loi ou plus d’impôt. La dimension coercitive finit rapidement par atteindre sa limite. Car si ces phénomènes existent, c’est qu’ils ont des choses à nous dire, et les ignorer ou les combattre aveuglément ne fait qu’aggraver davantage la situation. La seule alternative serait de créer un nouveau cadre, en réformant en profondeur notre code du travail et notre fiscalité. Résilience, agilité et flexibilité constituent les fondamentaux d’une économie moderne, en pleine transformation digitale. Pourquoi en serait-il autrement pour notre code du travail et notre fiscalité ?

D’autant plus que l’actuel chantier de généralisation de la sécurité sociale offrira un filet social de nature à nous autoriser une plus grande marge de flexibilité, autant au profit des jeunes en quête d’emploi qu’à celui des entreprises. Cependant, des résistances persistent. Elles sont autant mentales qu’idéologiques et législatives. Car entre certains syndicats qui se nourrissent d’un clientélisme d’un autre temps, et certains partis politiques obnubilés par les enjeux électoraux et désireux d’éviter toute confrontation, le potentiel latent de notre économie n’est pas prêt de se libérer. En attendant un changement en profondeur, nos jeunes et nos entreprises se fraieront toujours un chemin à travers notre jungle législative et fiscale, pour trouver les moyens de survivre, voire de progresser au détriment de leur plein potentiel, et au grand dam de la loi et des recettes fiscales.

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

 

 

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