Arrêt de la CJUE : «La réaction du Maroc souligne les divergences entre sa perception et l'interprétation juridique de la CJUE»

Arrêt de la CJUE : «La réaction du Maroc souligne les divergences entre sa perception et l'interprétation juridique de la CJUE»

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a annulé le 4 octobre 2024 les accords commerciaux de pêche et d’agriculture conclus entre l’UE et le Maroc. Entretien avec Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, juge près la Cour internationale de résolution des différends «Incodir» à Londres et expert international en audit et droit des affaires à Genève.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Tout d’abord, quelle lecture faitesvous de la décision de la Cour de justice de l'UE concernant les accords commerciaux avec le Maroc ?

Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich : La décision de la CJUE sur les accords entre l'UE et le Maroc peut être vue sous plusieurs angles. Le Maroc considère le Sahara comme une partie intégrante de son territoire national, et les efforts de développement dans cette région sont essentiels à sa politique intérieure. La CJUE met l'accent sur le respect du droit international, en particulier le consentement des populations locales, et souligne l'importance de s'assurer que les bénéfices des accords profitent directement aux habitants de la région. Cela peut encourager un dialogue avec l'UE pour que les accords respectent les exigences légales tout en soutenant les objectifs de développement du Maroc dans le Sahara marocain. La décision appelle à une approche équilibrée respectant à la fois les aspirations du Maroc et le cadre juridique international.

 

F.N.H. : Le Maroc a réagi, estimant que le contenu de cet arrêt contient «des errements juridiques et des erreurs de fait suspectes». Comment analysez-vous cette réaction ?

Me A.E.K.B. : La réaction du Maroc souligne les divergences entre sa perception et l'interprétation juridique de la CJUE. Le Maroc voit le Sahara comme une partie intégrante de son territoire, et toute remise en question de cette souveraineté est perçue comme une atteinte. La CJUE insiste sur le consentement des populations locales, ce qui peut être vu par le Maroc comme une méconnaissance de ses efforts de développement. Le Maroc pourrait considérer certaines conclusions de la Cour comme basées sur des informations incomplètes. En effet, le Royaume voit dans les accords une opportunité de développement économique pour le Sahara, et l'arrêt de la CJUE pourrait être vu comme un obstacle à ces opportunités. Cela met en lumière les tensions entre la légalité internationale et les réalités politiques et économiques du Maroc.

 

F.N.H. : Quel impact cette décision pourrait-elle avoir sur les relations économiques entre l'UE et le Maroc ?

Me A.E.K.B. : La décision de la Cour de justice de l'Union européenne pourrait avoir plusieurs impacts sur les relations économiques entre l'UE et le Maroc. Si cette décision concerne des accords commerciaux ou des partenariats spécifiques, elle pourrait entraîner des ajustements dans certains secteurs clés. Le Maroc exporte une grande quantité de produits agricoles vers l'UE. Une décision défavorable pourrait affecter les exportations agricoles, notamment les fruits et légumes, qui sont importantes pour l'économie marocaine. Les accords de pêche entre le Maroc et l'UE sont cruciaux pour les deux parties. Une remise en question de ces accords pourrait perturber le secteur de la pêche et avoir des répercussions sur les communautés côtières marocaines. Les échanges commerciaux et les investissements directs étrangers pourraient être impactés si des barrières supplémentaires sont mises en place. Cela pourrait affecter la confiance des investisseurs et compliquer les transactions commerciales. Même si ce secteur est en croissance, des incertitudes juridiques pourraient ralentir les investissements et la coopération technologique dans ce domaine. Bien que principalement politiques, les aspects économiques liés à la gestion des flux migratoires et à la coopération en matière de sécurité pourraient également être affectés, car ils sont souvent liés à des financements et à des ressources partagées. Pour minimiser les impacts négatifs, il serait bénéfique pour les deux parties d'engager un dialogue constructif pour adapter leurs accords et maintenir une coopération stable et mutuellement avantageuse, loin de toute influence sur la souveraineté intangible du Maroc sur son Sahara.

 

F.N.H. : Comment expliquezvous la «nonchalance» de la Cour d'appel européenne face à la position de plusieurs Etats membres de l'Union européenne qui ont rejoint celle du Maroc ?

Me A.E.K.B. : La perception de «nonchalance» de la Cour d'appel européenne peut s'expliquer par plusieurs facteurs : Primo, la Cour de justice de l'Union européenne opère de manière indépendante des influences politiques, y compris des positions des États membres. Son rôle est d'interpréter le droit de l'UE de manière impartiale et basée sur des principes juridiques établis. Secundo, la Cour doit s'assurer que les accords internationaux respectent le droit international, y compris les principes relatifs aux territoires non autonomes et au consentement des populations locales. Cela peut primer sur les considérations politiques ou économiques avancées par certains États membres. Tertio, les questions liées au Sahara sont juridiquement complexes et impliquent des interprétations du droit international qui peuvent diverger des positions politiques des États membres. Quarto, la CJUE peut également être guidée par des précédents juridiques et des décisions antérieures qui influencent son interprétation actuelle des accords. En somme, la «nonchalance» perçue pourrait être le résultat de l'engagement de la Cour à maintenir une approche strictement juridique, même lorsque cela diffère des positions politiques de certains États membres.

 

F.N.H. : Ce verdict de la CJUE a-t-il un poids ? Existet-il des recours pour l’invalider ?

Me A.E.K.B. : Ce verdict n’a pas un poids considérable, puisque le Maroc a effectivement toujours affirmé que sa souveraineté, notamment sur son Sahara, est une question non négociable. Dans ce contexte, le Royaume pourrait choisir de ne pas adhérer à des accords qui ne respectent pas cette position. Cela signifie que toute décision de la CJUE qui pourrait être perçue comme remettant en cause la souveraineté du Maroc, pourrait être ignorée ou contestée par le Maroc dans ses relations avec l'UE. Cependant, il est également possible que les deux parties cherchent à trouver un compromis qui respecte les positions de chacun, tout en permettant la poursuite de leurs relations économiques et politiques. Les négociations et le dialogue diplomatique jouent souvent un rôle clé dans la gestion de ces situations complexes.

 

F.N.H. : Comment voyezvous l’avenir des échanges économiques, les relations commerciales et les intérêts politiques entre Rabat et Bruxelles ?

Me A.E.K.B. : Les relations entre Rabat et Bruxelles, bien que confrontées à des défis juridiques, ont le potentiel de se renforcer grâce à un dialogue équilibré. Historiquement solides, ces relations couvrent des domaines clés comme le commerce et la sécurité. Malgré les tensions liées aux décisions de la CJUE, le Maroc et l'UE ont un intérêt commun à coopérer, le Maroc étant crucial pour la stabilité régionale et l'UE étant un partenaire économique majeur. Pour surmonter les obstacles, un dialogue diplomatique intensifié et l'exploration de nouvelles collaborations, notamment dans les énergies renouvelables et la technologie, sont primordiaux. Un engagement renouvelé pourrait transformer les défis en opportunités, nécessitant une volonté politique pour garantir des bénéfices mutuels continus. Toutefois, S.M. le Roi Mohammed VI, dans son discours du 11 octobre courant, a mis en avant une stratégie pour renforcer la souveraineté marocaine, en insistant sur la défense de l'intégrité territoriale, notamment au Sahara. Le Souverain a mis en avant le soutien international, notamment celui de la France, et appelle à consolider les acquis diplomatiques avec l'appui des pays influents. Le discours royal insiste sur l'importance d'une diplomatie parlementaire professionnelle pour défendre la position marocaine avec des arguments solides. Le Sahara est présenté comme un axe stratégique de la diplomatie royale, avec un soutien international croissant. 

 

 

 

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