ANOC : «Les professionnels sont aujourd’hui appelés à repenser leurs pratiques d’élevage»

ANOC : «Les professionnels sont aujourd’hui appelés à repenser leurs pratiques d’élevage»

L’élevage ovin et caprin marocain doit se réinventer pour survivre et prospérer. La rareté de l’eau et les aléas climatiques imposent une transformation profonde des systèmes de production pour aller vers plus de technicité, de résilience et d’innovation. Entretien avec Dr Saïd Chatibi, Directeur général de l’Association nationale ovine et caprine (ANOC).

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Quels sont aujourd’hui les principaux défis auxquels font face les éleveurs marocains dans les filières ovine et caprine ? Comment l’ANOC les accompagnet-elle pour améliorer leur productivité, notamment en termes de qualité et de rentabilité ?

Saïd Chatibi : Au cours des 5 dernières années, le secteur de l’élevage des petits ruminants a été confronté à de nombreux défis. Il s'agit des crises sanitaires (Covid-19 et fièvre aphteuse de 2021), une inflation mondiale provoquant une flambée des prix des intrants (2022 – 2023), et surtout cinq années consécutives de sécheresse sévères ayant lourdement affecté la production des parcours à l’échelle nationale. Ces crises cumulatives ont considérablement alourdi le coût de production des ovins et caprins, compromis la capacité des éleveurs à entretenir leurs troupeaux et entraîné une baisse du cheptel. Cette situation s’est traduite par une hausse des prix de la viande sur le marché, associée à une baisse du cheptel, créant un déséquilibre entre une offre réduite et une demande croissante, avec d’importantes répercussions économiques et sociales majeures. Aujourd’hui, les professionnels sont amenés à repenser leurs pratiques d’élevage afin d'améliorer leur efficience et leur résilience, notamment face aux aléas climatiques. L’enjeu est de maintenir, dans ce contexte, une activité d’élevage rentable pour les professionnels et une production à prix raisonnable pour le consommateur.

 

F.N.H. : Le Salon international de l’agriculture (SIAM) a placé cette année l’eau au centre du développement durable avec le thème «Agriculture et monde rural : l’eau au cœur du développement durable». Comment l’ANOC s’inscrit-elle dans cette démarche ?

S. Ch. : L’eau est en effet un élément indispensable à l’agriculture et à l’élevage. Compte tenu des changements climatiques et de la rareté de cette ressource dans notre pays, le Maroc est appelé à optimiser l’utilisation de l’eau en captant au mieux les eaux pluviales et en recourant à des ressources non conventionnelles, telles que le dessalement des eaux de mer ou encore la réutilisation des eaux usées traitées. Cette année encore, l’ANOC participera au SIAM 2025 avec 110 éleveurs exposant plus de 400 têtes ovines et caprines sélectionnées parmi celles ayant les meilleures performances génétiques de l’année. L’ANOC assure l’animation du pôle élevage à travers l’organisation du concours national pour chacune de nos races locales, ainsi que de nombreuses activités visant la promotion de l’élevage et de nos races auprès du grand public. Le SIAM demeure une occasion de grande importance pour nos éleveurs, car il représente une forme de reconnaissance pour ce métier exigeant, tout en leur apportant un soutien moral et une motivation précieuse pour maintenir et développer l’activité d’élevage.

 

F.N.H. : Dans ce contexte, quelles actions mène l’ANOC pour relever les défis liés à la gestion de l’eau dans l’élevage ovin et caprin ? Existe-t-il des initiatives spécifiques pour promouvoir des pratiques d’élevage plus durables et résilientes face aux défis climatiques ?

S. Ch. : La majorité des systèmes de production classiques reposent essentiellement sur les parcours naturels et les pluies, avec peu de maîtrise technique, une productivité globale assez moyenne et une forte vulnérabilité face aux aléas climatiques. Il est désormais nécessaire d’évoluer vers des systèmes de production plus modernes, plus intensifs, moins dépendant du climat, avec une meilleure maîtrise technique pour améliorer significativement la productivité du cheptel nationale et réduire les risques. Nous avons des marges de manœuvre importantes pour améliorer les paramètres de la reproduction (fertilité et prolificité), réduire les pertes (avortement, mortalité) et optimiser les cycles de production, par exemple, passer d’une naissance en 1 an, à 3 naissances en 2 ans. La maîtrise de ces aspects peut améliorer la productivité numérique de notre cheptel, actuellement de l’ordre de 80% vers 130%. L’ANOC peut contribuer activement à cet objectif à travers l’accompagnement sur le terrain des éleveurs pour la modernisation de leurs pratiques d’élevage. Dans ce cadre, nous avons été approchés récemment par le ministère de l’Agriculture pour justement mettre en place un programme national d’encadrement technique des éleveurs.

 

F.N.H. : Quels sont les objectifs de l’ANOC à moyen et long terme pour améliorer la compétitivité des exploitations sur le marché national ?

S. Ch. : L’inflation est un phénomène mondial qui a touché la majorité de nos pays voisins. Ainsi, malgré la hausse significative des coûts de production des petits ruminants, nos exploitations d’élevage demeurent compétitives. La preuve : la quasitotalité des importations d’ovins de l’étranger a été rendue possible grâce à la subvention de 500 DH. Mais dès que cette subvention est levée, les importations cessent. Néanmoins, étant donné que le cheptel national a été impacté par les différentes crises, il est essentiel d’intervenir pour permettre sa reconstitution et renforcer sa résilience face aux aléas. À court terme, l’État, à travers le ministère de l’Agriculture, déploie d’importants efforts, notamment via la subvention de l’alimentation et les campagnes de prophylaxie sanitaire. Mais à moyen et long terme, nous sommes appelés à faire évoluer nos systèmes d’élevage traditionnels vers des modèles plus performants.

 

F.N.H. : Quel regard portez-vous sur l’importation des ovins comme solution pour réduire le déficit en viandes rouges ?

S. Ch. : L’importation a constitué une solution ponctuelle pour soulager le cheptel national et renforcer l’offre en viandes rouges. Toutefois, elle ne peut représenter une solution durable. La crise du Covid-19 et les tensions géopolitiques récentes ont bien montré les limites de la dépendance à l’importation, surtout pour un produit aussi essentiel pour les Marocains que la viande rouge. Il est donc important de miser sur la production nationale. Par ailleurs, avec l’annulation du sacrifice cette année, nous estimons qu’il n’est plus nécessaire d’importer des petits ruminants, car le stock de moutons initialement destinés au sacrifice permettra d’approvisionner progressivement le marché de la viande.

 

F.N.H. : Comment l’ANOC envisage-t-elle son rôle dans la modernisation du secteur et l’accompagnement des éleveurs vers des pratiques plus innovantes ?

S. Ch. : L’ANOC est une association professionnelle à but non lucratif, reconnue d’utilité publique, qui œuvre dans le secteur de l’élevage depuis les années 1980. Elle a ainsi développé une expertise solide dans le domaine des ovins et des caprins au Maroc. Aujourd’hui, l’ANOC dispose d’un staff technique de plus de 200 salariés, dont 75% sont des techniciens d’élevage déployés à l’échelle nationale, en plus d’une douzaine de cadres hautement qualifiés (ingénieurs, docteurs vétérinaires et titulaires de PhD). Ces acquis renforcent la capacité de l’ANOC à jouer un rôle central dans la conjoncture actuelle, en accompagnant la modernisation du secteur dans le cadre d’un partenariat avec le ministère de tutelle. 

 

 

 

 

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