Selon un rapport de la Cour des comptes, le Maroc fait face à un déficit de 47.000 médecins en 2023.
Par M. Boukhari
Cela fait déjà plusieurs années que le Maroc connaît un déficit criant de médecins, ce qui n’est pas sans fragiliser son système de santé, en sus de comporter plusieurs risques pour la population. En vue de limiter la casse, l’Exécutif est appelé à agir efficacement et promptement sur plusieurs volets, dont notamment l’exode des blouses blanches à l’étranger. Le choix que font la plupart de ces médecins formés pourtant au Maroc est loin d’être anodin. S'ils choisissent d’exercer sous d’autres cieux, c’est principalement pour saisir des opportunités bien moins présentes dans leur pays d’origine.
«L'émigration des médecins est un phénomène qui est à l’origine de bon nombre de problèmes. Ces départs en masse se font du sud vers le nord. Cela appauvrit par conséquent le sud qui devient de plus en plus un désert médical. Une étude réalisée en 2021 au Maroc a démontré que plus de 9 étudiants en dernière année de médecine sur 10 estiment que parmi les raisons principales qui poussent leurs confrères à quitter leur pays, figurent des salaires peu attractifs, voire faibles, des conditions de travail qui laissent à désirer, la qualité de la formation médicale baisse au fil des années et les perspectives de carrière restent floues», explique Dr. Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en systèmes et politiques de santé et viceprésident de la Fédération nationale de la santé (FNS). Force est de constater que le Maroc ne peut pas assumer les conséquences d’une tendance appelée à s’amplifier dans le futur dans le cas où des mesures concrètes ne sont pas prises à temps. Et ce, particulièrement dans un contexte contraignant caractérisé par un vieillissement de la population, qui souffre de plus en plus de maladies chroniques et dégénératives.
D’après Hamdi, le premier pas à faire pour maîtriser les flux des médecins est de revoir les salaires à la hausse : «Dans le public, cela est en train de se faire, mais modestement. Les responsables sont désormais conscients de leur incapacité à retenir les médecins avec des salaires variant entre 7.000 et 8.000 DH». Stopper l’hémorragie Abordant la question des professionnels de santé marocains exerçant à l’étranger à la Chambre des représentants en janvier 2023, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, avait assuré que son département planche sur l’amélioration des conditions de travail dans le domaine médical et son attractivité, de manière à attirer pas moins de 14.000 desdits médecins et les convaincre de s'installer définitivement ou temporairement dans le pays. Le ministre considère en revanche que la problématique ne réside pas dans la motivation des médecins marocains expatriés pour favoriser leur retour au pays, mais surtout dans la manière de stopper leur expatriation et de les inciter ainsi à ne pas céder à la tentation des gros salaires et autres conditions de travail dans les pays d'accueil.
L’autre question sur laquelle il faut s’atteler, d’après lui, concerne le renforcement des centres de formation dans le cadre de la régionalisation. Le but étant de permettre à chaque région d’avoir les moyens d’assurer la formation et ainsi combler le déficit sur le plan régional. Dans son rapport au titre de l’année 2021, la Cour des comptes a dressé le constat selon lequel la couverture de la population est affectée par le déficit enregistré dans les nombres de médecins, d’infirmiers et de techniciens spécialisés, estimant que ce déficit devrait continuer à croître. La répartition du déficit entre les médecins, d’une part, et les infirmiers et techniciens de santé, d’autre part, laisse entrevoir une tendance à l’aggravation du déficit en nombre de médecins qui, comme l’indique le rapport, devrait passer d’environ 47.000 médecins en 2023 à plus de 53.000 en 2035. Ce cas de figure se présenterait alors si les actions nécessaires ne sont pas entreprises dans ce sens.
L’Exécutif à la rescousse
L’absence d’une véritable stratégie de gestion des ressources humaines dans le secteur de la santé, conjuguée à l’absence d’une planification efficace basée sur une gestion prospective des emplois et des compétences, ne font qu’accentuer les problèmes majeurs qui impactent ces ressources, martèle la Cour des comptes. A noter, dans ce sens, que le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a supervisé le 25 juillet 2022 la cérémonie de signature d’un accord portant sur la mise en œuvre d’un programme d’augmentation du nombre d’emplois dans le secteur de la santé à l’horizon 2023. Ayant mobilisé une enveloppe budgétaire de plus de 3 milliards de dirhams, ledit programme vise à réduire la pénurie actuelle de ressources humaines que connaît le secteur de la santé et à réformer le système de formation. Il vise également à faire passer le nombre de professionnels de santé de 17,4 pour 10.000 habitants en 2021 à 24 en 2025, puis à 45 d’ici 2030. Il a pour ambition aussi d'augmenter le total des travailleurs dans le secteur de la santé, actuellement de 68.000 personnes, à plus de 90.000 d’ici 2025. A fond la formation ! L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait popularisé cette expression : «Il n’y a pas de santé sans personnels de santé».
En effet, en présence d’un déficit en ressources humaines, l’impact se fait tout de suite sentir dans la performance et la viabilité du secteur sanitaire. «Le Royaume dispose d’approximativement 30.000 médecins, alors que selon les normes basiques de l’OMS, chaque pays doit avoir 1 médecin pour 650 habitants. En effectuant des calculs, on constate que le Maroc connaît un déficit de 33.000 médecins. Il est à noter qu’en plus du déficit quantitatif, nous témoignons également sur un déficit qualitatif. Son premier aspect est relatif à la moyenne des médecins au Maroc qui est répartie entre 40% de médecins généralistes et 60% de médecins spécialistes pour un système de santé qui se veut basé sur la prévention. Or, pour optimiser et améliorer la performance de ce secteur vital, il faudrait plutôt inverser la donne, à savoir 60% de médecins généralistes et 40% de médecins spécialistes», souligne Tayeb Hamdi. Le deuxième aspect est quant à lui relatif au rendement de ces médecins qui, selon ce praticien, reste hélas en dessous des attentes.
«Si nous prenons l’exemple du secteur public, un médecin spécialiste fait en moyenne une intervention chirurgicale sur deux jours, ce qui reflète, à mon sens, une sous-productivité énorme. Cela est dû à plusieurs raisons, notamment l’insuffisance, voire l’absence de blocs, d’équipes paramédicales ou d’anesthésistes. Par ailleurs, un spécialiste dans le privé peut avoir trois consultations par jour, ce qui est aussi une aberration. Non seulement nous avons un nombre limité de médecins, mais en plus ce système ne tourne pas à plein régime. Ajoutons à cela la condition matérielle d’un bon nombre de citoyens marocains qui n’ont pas de quoi payer une consultation dans le privé ni la facture des médicaments, analyses, radios et autres. La plupart des médecins au Maroc sont donc au chômage technique», poursuit-il.
De surcroît, dans le dessein de pallier les nombreux dysfonctionnements que connaît le système de santé, la Cour des comptes a suggéré l’adoption d’une stratégie de recrutement et de mobilité du personnel soignant. Ses principaux objectifs seront dès lors de compenser les départs prévisionnels, d’assurer une répartition équilibrée des ressources entre les régions et de corriger les disparités de façon continue et en tenant compte des priorités. Elle a, également, préconisé d’adopter des mesures efficaces, telles que la formation et la mise en place d’un système de motivation, pour améliorer l’attractivité du secteur public et renforcer le corps des médecins généralistes ainsi que de veiller au développement des spécialités prioritaires qui correspondent aux besoins réels de la population.