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Un jour, une œuvre : Najia Mehadji, du sensible au spirituel

Un jour, une œuvre : Najia Mehadji, du sensible au spirituel

Mêlant corps et âme, espace et temps, dessin et peinture, géométrique et organique, couleur et lumière… depuis une infinité d’expositions, Najia Mehadji met en œuvre un langage plastique, poétique, d’une intensité sublime à nulle autre pareille.

 

Par R.K.H

 

L’artiste, née en 1950, vit et travaille entre Paris et Essaouira. Après l’obtention, en 1974, d’une maîtrise d’arts plastiques et d’histoire de l’art à l’université de Paris I, elle fréquente l’Ecole nationale des beaux-arts de Paris. Najia Mehadji réalise ses premiers dessins au fusain dont certains seront reproduits dans la revue Sorcières en 1976.

Nomade culturelle, son va-et-vient d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, embellira son imaginaire. Pour elle, le monde n’a pas de frontières et son art se nourrit de toutes les cultures qu’elle rencontre. Elle les façonne à sa manière, par une abstraction purement sensible. La première série de tableaux de Najia Mehadji, réalisée entre 1985 et 1988, s’appelait Icare. La figure, sous la forme d’un papier collé intensément coloré, semble tout droit sortie du mythe pour créer des situations plastiques à vivre dans l’immédiat, voire dans l’étrangeté d’un rebus dont chacun invente la clé.

En 1990, le musée des beaux-arts de Caen commanda à Najia Mehadji un triptyque qu’elle intitula M. Dans cette œuvre apparaît une architecture sublimée qui forme une figure ô combien abstraite, magnétisante et hypnotique.

En 1991, l’artiste composa une toile, revêtant le même titre, pour la Collection Institut du monde arabe, à Paris. Sur la toile règne une esthétique des lignes, des figures géométriques et de la couleur pure, bleu et rouge.

Indignée par les crimes d’épuration ethnique à l’encontre des Bosniaques musulmans et la destruction de leur patrimoine culturel, le nomadisme de l’artiste se poursuivit, en 1994, avec les œuvres Coupole. Cette série marqua son intérêt pour les figures transculturelles dans l’architecture et fait explicitement référence à l’art de l’Islam. Les architectures qui ont naguère sublimé les œuvres M, certaines d’entre elles, recouvriront profondément Rhombe, œuvres réalisées en 1995.

 

Le cosmos et le végétal

Faisant du dessin son élément primordial, Najia Mehadji se préoccupa, par-dessus tout, d’affiner son art dans le sens de la rigueur, de l’austérité et de la puissance évocatrice.

En 1996, elle change de technique et par là-même de style en utilisant de gros pastels à l’huile qui lui permettent de dessiner de longs traits continus sur la toile brute à l’intérieur de sphères aux couleurs pures, rouges ou jaunes. Autant de qualités palpables qui hantent Végétal, Gradient, Chaosmos, ou encore Souira.

Depuis lors, l’artiste utilise des craies ou des sticks à l’huile de couleur pure, sur papier ou sur toile, pour créer des formes monochromes renvoyant à des «structures de flux» liées à la nature et plus spécifiquement au cosmos et au végétal. Une esthétique que l’on retrouve dans Arborescence ou Grenade, dont les motifs traversent de nombreuses civilisations de la Chine à l’Andalousie. Najia Mehadji crée sur la toile un monde où les contrées distantes seraient harmonieusement confondues. D’où l’apparition de la série Fleur-Flux où l’artiste revisite - exactement - le symbole universel de la grenade, dont la fleur stylisée parcourt les toiles, dessins et aquarelles.

Najia Mehadji est une archéologue du floral, en ce sens qu’elle s’évertue à le dépister pour le faire affleurer et l’enfermer dans la durée… Jamais fané. Dans Pivoine, Vanité et Volute, à l’unisson floral et cosmique sont forgés sous diverses latitudes. Certes, tous dégagent une unité et une harmonie délectables.

 

Comme bon lui semble

Ayant toujours été rebutée par les matériaux et les supports traditionnels de la peinture, Najia mêle les techniques, qu’elle invente ou utilise à contre-emploi, comme ce pinceau coréen – qui servait, à l’origine, à maroufler les affiches – qu’elle fait chanter en un seul et même geste dans les registres graphique et chromatique, ou ces sticks à l’huile qui lui permettent de tracer, telle la craie, fleurs et arborescences sur la toile brute.

La diversité des moyens lui permet d’affiner le geste et de creuser le mouvement. En effet, moyennant de couleurs en gros sticks de pastels gras, que l’artiste sillonne sa toile brute ou sa feuille de papier de lignes colorées jusqu’à en faire un champ graphico-chromatique, et où s’épanouissent des figures végétales aux silhouettes épurées dont seule l’énergie se propage… Ici, dessins et couleurs s’entremêlent, se confondent, se fondent dans une parfaite harmonie. Nulle dichotomie règne.

 

Le floral sublimé

Poser votre regard sur les toiles sublimées de Najia Mehadji, instantanément désemparés (es) vous serez. D’emblée, elles font l’effet du florale. Les formes ne sont pas sans rappeler Georgia O’Keeffe, mais l’essence même de la peinture de Najia se refuse à toute catégorisation. Elle s’échappe immanquablement aussitôt qu’on la fige dans un style, irréductible aux étiquettes. On est fondé à situer ses œuvres dans une ligne expressive entre l’abstraction et la figuration, mais en ce faisant, on ne percera pas le secret de cette peinture lumineuse. Quand l’œil se décrispe, le charme opère, la magie s’installe, les œuvres dégagent leur splendeur et leur radiance.

 

* Toile de Najia Mehdaji : Mystic Dance n°4, 2011, épreuve numérique pigmentaire, 160 x 160 cm

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