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Un jour, une œuvre : «Les 7 couleurs de l’Univers», de Viviana Pâques

Un jour, une œuvre : «Les 7 couleurs de l’Univers», de Viviana Pâques

Toujours là. Viviana Pâques est morte en 2007, mais son regard demeure…

 

Par R. K. H.

Gros plans sur les cultes, ou le savoir des gnaouas. C’est le rituel de processions des confréries gnaouis qui attira l’ethnologue Viviana Pâques, les «petites gens» de la derdba (l’assemblée), les scènes de danse et, surtout, surtout l'importance que les Marocains attribuent aux couleurs -Ô combien cabalistiques-, aux parfums, et à la transe.

Viviana Pâques nous livre une recherche saisissante sur la philosophie des gnaouas, magistralement éclairée par moqqadem (chef d’une confrérie religieuse) L’Ayachi. En effet, le film rend compte du singulier dialogue qui s’est établi, pendant pas moins de 20 ans, entre l’ethnologue et son informateur.

Traducteur, mais pas gnaoui !

 «J’ai travaillé avec L’Ayachi, avec un interprète, toujours… Mais combien de fois, il me parlait, et que l’interprète ne comprenait absolument pas ce qu’il disait. Il ne voyait pas l’intérêt. L’Ayachi me parlait par-dessus sa tête. Et moi, je comprenais». Toutefois pour expliquer les faits, l’informateur parle par images et surtout par métaphores. La phrase type est : «C’est comme … !» Viviana Pâques, de son vivant, n’aurait jamais pensé qu’elle serait, un jour, amenée à comprendre «le Cosmos sur un couscoussier».

Une leçon d’anthropologie

Les «Les 7 couleurs de l’Univers», réalisé entre 1969 et 2004 par Jacques Willemont sous la direction scientifique – effectivement - de la magnifique Viviana Pâques, est le docu le plus vrai et exact de tous les temps… qui se situe loin, très loin, au-dessus - vraiment au-dessus - de ceux auxquels nous avons habituellement droit.

Pourquoi les gnaouas disent : « les génies montent du sol» ; les différentes étapes de la derdba ; le panorama sur le Moussem de Tamesloht ; l’évolution des rituels … tout y est dans «Les 7 couleurs de l’Univers».

L’énigmatique gnaoua

Qui nous a dit qu’en principe, les femmes qui accompagnent les tambours en dehors du lieu où se tient la lila, devraient être au nombre de dix, comme les dix étoiles d’Orion ? Qui nous a également dit que taper dans les mains désigne le croisement entre la vie et l’au-delà, car la main droite, c’est le vivant, le monde de la vie, le monde manifesté ;  et la main gauche, c’est le monde de l’au-delà, l’hira ? Qui nous a expliqué que les gnaouas font tourner la tabieka (panier de pain) trois fois, parce que le monde a tourné trois fois ?...

«Ce qui constitue une derdba, depuis le début jusqu’à la fin, chaque détail, a une signification. C’est un code. C’est simple, tant qu’on n’a pas compris ce que représentait telle chose, on n’a pas compris encore ce qu’était la derdba. Tout, absolument tout, est code.»

Sept couleurs et sept génies

«Je me suis cassé la tête pendant 40 ans, pour essayer de comprendre ce qu’était un génie. Et plus j’essayais de le circonscrire, et plus il fuyait, et plus il n’y en avait pas. Finalement, il n’y avait pas de génies. Ça n’existe pas … J’ai compris que c’était un métalangage. Ce sont des personnifications d’énergies. » Leurs couleurs, sont les sept qui se succèdent suivant une règle absolue qui est celle de la cosmogonie.

Illusion, ou le passage vers l’au-delà

«Le possédé, c'est un dressé, c'est-à-dire un mort-vivant. Ce n’est plus lui qui danse, mais c’est l’énergie qui est en lui. La danse et les chants sont des métalangages. On ne les définit pas par des mots !»

Après que les gnaouas, munis de tambours et de crotales, eurent arpenté les rues et les artères, ils regagnèrent le lieu où se tient la derbda pour invoquer à travers des chants et des danses ponctuées, la mal vie des esclaves, les maalems (maîtres gnaouas) défunts et les saints patrons.

Le clou de la soirée

C’est indiscutablement les mlouk (énergies). Partie sacrée du rituel, introduite par des chants à la gloire d’Allah et du prophète. A ce stade, les adeptes entrent en transe lorsque leur malk (énergie) est invoqué. Ils et elles tombent en transe le temps d’un air de musique.
A savoir Moulay Abdelkader Jilali (lui reviennent couleur blanche et benjoin blanc) ; les Mlouk marins (couleur bleu et benjoin blanc) ; les mlouk rouge, ceux des abattoirs (couleur rouge et benjoin rouge) ; les Chorfa (couleur blanche, benjoin blanc et bois d’aloès) ; Sidi Mimoun, appelé le ténébreux (couleur noir et benjoin noir) et les gens de la forêt (couleur noir, benjoin et plateau de farine d’orge grillé sans sel). La Derdba se clôt par l’invocation des mlouk féminins (qui sollicitent couleurs jaune, rouge, violet et noir, benjoin noir ou blanc, sucreries et bois d’aloès). Il faut voir ces adeptes jouir également du noir absolu, après avoir mis en scène Lalla Malika, Lalla Meriem, Lalla Rqia et Lalla Houwwa…Un spectacle de transe so hard.

Ce qui est indispensable

Moqadma ; Arifa ; Talâa ; Chouafa, toutes et tous veillent au bon déroulement des rites de procession. Les accessoires requis, ici, sont : sept boites d’encens ; du lait et des dattes ; un brasero et des poignards ; des voiles de plusieurs couleurs et des tuniques ; des bâtons et des aspergeoirs remplis d’eau de fleur, d’oranger et d’eau de rose.

Gnaouas, de grands philosophes

«Ils symbolisent des énergies par des couleurs. Quoi de moins matériel qu’une couleur finalement. Ce sont des gens qui manipulent l’abstraction mieux que n’importe quel philosophe. De nos philosophes. Ils sont aussi à l’aise dans le monde abstrait que dans le monde concret, parce que les deux se rejoignent. L’un pénètre l’autre… »

Gare à vous, l’encens et les benjoins empliront votre air… Vous les sentez déjà monter ?!

*voir le film : https://vimeo.com/181171388

*PHOTO : Gnawa de Marrakech © Jacques Willemont – 1969
TEXTE : Après le -premier- sacrifice que font les gnaouas -celui du bouc-, la moqaddema, voilée de blanc, danse seule devant les musiciens et toute la confrérie. Viviana Pâques précise : «Le possédé est un dressé, un mort-vivant. Ce n’est plus lui qui danse. C’est l’énergie qui est en lui qui s’exprime par la danse».

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