La photographie de Celine est floue et mal définie.
Devant nous, se tient un curieux fantôme, qu’on croit plutôt flâner la nuit. Âme qui, peut-être, a perdu son chemin. Que fait-elle? Inquiétante personne de l’ombre. Figure à la fois malfaisante et innocente, consciente et inconsciente de sa transformation, elle se retrouve coincée au centre du cliché. Impossible pour elle d’aller plus loin ou de se cacher, la voilà désormais à la merci de nos regards.
Une silhouette fantomatique immergée à telle enseigne qu’elle occupe presque tout le cadre. Le contenu compose donc le portrait d’un sujet propice au délire hallucinatoire. C’est dans un laisser-aller provoqué par l’enclenchement de l’appareil photo que les angoisses et désires s’échappent du corps sous forme d’un langage : danse.
Une musique l’aurait déposé-là ? Malgré sa position, le sujet n’a pas l’air de se préparer à un cours de danse, mais plutôt à bondir jusqu'à satiété. Pour taquiner, feu Abdelhafid Chliyeh aurait dit maskoun (habité) ou mrayeh (victime de rih, terme qui désigne les djinns), ou encore madroub (frappé) voire même maqyous (touché). A croire que le sujet n’est pas mamlouk (possédé rituel).
La part fantastique de ces photographies provient d’abord de l’harmonie du flou, et ensuite d’un pareil grand serré de la valeur. Ce qui ne manque pas de frapper, c’est que Celine fait surgir à l’aide d’un flou de mouvement une poétique du délire, émotion, exaltation, excitation, extase. A ces synonymes de transe, «Le Robert» associe la peur et l’inquiétude.
Le cliché dégage une énergie chaotique. Il a quelque chose de terrible et sensible à la fois. Le contenu projette effectivement le cri, la fureur, la transe. Ce qui est pour «Larousse» l’acte de passer dans l’au-delà. L’œil de Céline a essayé d’immortaliser un état d’exaltation d’une personne qui est transportée en dehors d’elle-même en pleines convulsions.
Il s'agit-là exceptionnellement d’images uniques particulièrement percutantes, qui mettent en scène le délire de possession. L’adepte, connait-il la présence du photographe qui l’immortalise, ou bien, est-ce nous, spectateurs, qui l’observons par le truchement de l’objectif ? Mime-t-il l’asphyxie du corps due à la multiplication des soucis ?...
Plus largement, à travers des clichés déjantés tantôt gore, tantôt nettement moins effrayants, la talent-tueuse Celine capte les bonheurs simples de la vie mais pointe aussi du doigt les difficultés et les injustices.
Par R.K. H