La télémédecine est un aspect innovant de l’exercice de la médecine à l’ère du 21ème siècle. Cette nouvelle approche thérapeutique est actuellement généralisée dans les pays développés.
Au Maroc, un vaste chantier de mise en œuvre de cette pratique a été lancé.
Entretien avec le professeur Intissar Haddiya, écrivaine, PHD en responsabilité sociale en santé, et médecin-néphrologue.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : La médecine est évolutive. Où en est le Maroc dans la télémédecine ?
Pr Intissar Hadiya : La télémédecine est une composante relativement récente de la médecine moderne, qui est actuellement généralisée dans les pays développés. Au Maroc, un vaste chantier de mise en œuvre de cette nouvelle pratique a été lancé à l’échelle nationale afin de désenclaver les zones reculées et les déserts médicaux. Il s’agit de mettre en place au niveau des sites où il n’y a pas de médecins, des professionnels de santé (infirmiers ou techniciens formés à la télémédecine) pour répondre à des besoins de soins de santé spécifiques. Il est à noter que pour le Maroc, la télémédecine serait une alternative intéressante à un certain nombre de problèmes liés à l’offre de soins. Cela concerne à la fois l’accès à la santé et sa généralisation, ainsi que la qualité des soins. Cette pratique représenterait une véritable solution pour les zones vulnérables et reculées, ainsi que pour des populations urbaines fragilisées, telles que les personnes âgées ou les sujets présentant des maladies chroniques. En effet, la télémédecine est une vraie alternative au manque de médecins, notamment dans un contexte de migration accrue des praticiens vers l’étranger. Rappelons toutefois que la télémédecine n’est qu’une composante de l’e-santé, et devrait s’inscrire dans un schéma global pour réussir.
Aussi, le Maroc dispose de nombreux d’atouts pour implémenter cette pratique. Nous sommes un pays très connecté, avec un débit Internet important couvrant la quasi-totalité du territoire. La connectivité représente un atout, une vraie plateforme de départ pour mieux implémenter la télémédecine. Néanmoins, cette pratique est confrontée à plusieurs défis dans notre pays, où on ne peut parler d’exercice structuré de la télémédecine. Il existe un chantier avec des freins d’origine éthique, juridique, tarifaire ou social qui entravent son expansion. Le manque de ressources humaines opérationnelles et motivées; la perception de la télémédecine par les médecins et la population; les actes de télémédecine ne sont pas remboursés et ne figurent pas dans le panier des soins, en plus de l’absence de nomenclature. Ceci étant, la volonté des différents acteurs est présente, mais il reste beaucoup de travail à faire : des avancées réglementaires et des ajustements tarifaires sont impératifs, des efforts de pédagogie et de sensibilisation sont à considérer, en plus de former les prestataires de soins et les familiariser avec le matériel utilisé (logiciels, applications).
F.N.H. : Faciliter la démocratisation de la pratique grâce à la télémédecine est désormais possible. Quel rôle joue cette nouvelle approche médicale ? Et quelles sont ses principales composantes ?
Pr I. H. : La télémédecine est un aspect innovant de la pratique médicale, qui s’effectue à distance, en utilisant les technologies de l’information et de la communication, et qui requiert un équipement numérique spécialisé pour permettre son implémentation. Elle a pour but de faciliter l’activité des soignants, avec les mêmes principes de déontologie et les mêmes exigences de qualité et de sécurité. En effet, il s’agit d’utiliser le développement du numérique afin d’améliorer la coordination des professionnels de santé autour du patient pour lui faciliter l’accès aux soins, tout en améliorant les conditions d’exercice du soignant. Les champs d’utilisation de la télémédecine sont nombreux. Celle-ci est basée sur des actes variés : la téléconsultation entre un patient et son médecin (pouvant impliquer un auxiliaire médical), la télé-expertise qui permet à un médecin de solliciter l’avis d’un expert, la télésurveillance permettant à un soignant d’interpréter à distance les données du patient dans le cadre du suivi médical, notamment dans les pathologies chroniques, la téléassistance pour accompagner un autre professionnel de santé à distance dans la réalisation d’un acte. Et par extension, on pourrait envisager grâce à ces techniques, d’autres pratiques plus élaborées telles que la chirurgie à distance ou encore la robotique… Il est à noter que la crise sanitaire de la Covid-19 avait constitué un levier pour cette pratique, en provoquant dans l’urgence un recours intempestif au téléconseil et assurer la réalisation de différents actes en limitant le contact avec les patients fragiles, en plus du suivi à distance entre les actes présentiels.
F.N.H. : Pour combattre les déserts médicaux et améliorer l’accès aux soins, le Roi Mohammed VI a donné son aval pour le déploiement du programme d’unités médicales mobiles dans les zones rurales avec l’intégration de la télémédecine. Quelles seraient les retombées de ce programme ?
Pr I. H. : La volonté royale de généraliser la couverture sanitaire (AMO) et de permettre à la population un accès équitable aux soins de santé, traduit l’ambition d’un système de santé équitable, efficient et accessible. Dans ce contexte, la télémédecine serait bénéfique dans un pays comme le nôtre, où l’on note un grand déficit en ressources humaines médicales et paramédicales, une répartition inégale des professionnels de santé sur le territoire national. De plus, on assiste à une véritable transition démographique et épidémiologique avec le vieillissement de la population, l’accroissement des maladies chroniques, notamment le diabète, l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires et la maladie rénale chronique qui requièrent de l’expertise, un suivi, des bilans et des consultations régulières et au long cours. Aussi, il existe une transition sanitaire et une demande accrue en soins de santé qui dépasse l’offre existante. Le déploiement du programme d’unités médicales mobiles dans les zones rurales, avec l’intégration de la télémédecine, permettrait à coup sûr de pallier le problème des déserts médicaux et améliorer l’accès des populations désavantagées aux soins en leur évitant des déplacements coûteux et fatigants.
F.N.H. : L'intégration des technologies numériques pour améliorer les services de soins revêt une importance capitale à l’ère de la généralisation de l’AMO. En tant que praticienne, quel état des lieux en faites-vous ?
Pr I. H. : Comme beaucoup de secteurs, la santé pourrait profiter de la digitalisation, ou ce que l’on appelle e-Santé. Ces pratiques numériques apparaissent de plus en plus comme étant une solution pertinente pour répondre aux défis que doivent relever les systèmes de santé. De nombreux patients n’ont besoin que d’avis médical lors d’une consultation et non d’actes ni d’hospitalisation. Un avis peut se donner à distance au lieu de déplacer un patient dans des conditions souvent difficiles vers une ville ou un centre universitaire à la rencontre du médecin spécialiste. De plus, la digitalisation en santé a un rôle à jouer dans l’enseignement médical aussi. Certes, la télémédecine n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes du système de santé, mais elle devrait être une partie intégrante des réformes de ce système pour apporter des solutions à des problématiques bien définies. Mais audelà de la relation soignant-patient, il y a d’autres aspects à considérer, notamment la responsabilité du matériel technique (ingénieurs et concepteurs de logiciels); le respect des cadres règlementaires locaux avec la nécessité d’obtention de licence pour les plateformes de télémédecine. En effet, les médecins ne pourraient pratiquer la télémédecine que s’ils disposent d’une autorisation d’exercer, et doivent s’assurer que leur responsabilité civile professionnelle couvre la pratique de la télémédecine. En outre, la mise en œuvre de la télémédecine implique différents intervenants : le ministère de la Santé, la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP), le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) et la Commission de télémédecine.
F.N.H. : La télédialyse et la téléimagerie sont de bons exemples de pratique de la télémédecine. Que pouvez-vous nous dire sur ces exemples. Et quel rapport entretiennent les patients avec cette nouvelle approche ?
Pr I. H. : Dans plusieurs pays développés, la dialyse a été l’une des premières spécialités à bénéficier de l’apport des avancées technologiques, et notamment la télémédecine. En effet, la télédialyse s’effectue dans des situations particulières, notamment dans des unités de dialyse accueillant des patients relativement bien portants, où les séances sont gérées par le personnel soignant paramédical, ne requérant pas la présence d’un médecin sur place. Ces patients bénéficient de surveillance médicale à distance via la télédialyse. Cette surveillance englobe les paramètres de la machine et ceux du patient. Au Maroc, cette pratique pourrait être bénéfique et serait une solution pour les régions qui souffrent d’une pénurie de néphrologues. L’exemple de la téléimagerie est également intéressant. Il s’agit de l’interprétation de scanners et IRM à distance par des spécialistes, avec un bénéfice certain pour les patients des zones reculées qui ne comptent pas de médecins radiologues. Concernant les patients, leurs perceptions vis-à-vis de cette nouvelle approche de médecine novatrice seront conditionnées par la qualité de la sensibilisation et l’information reçues au niveau des structures de soins et à travers les médias.