A l'occasion de la journée mondiale du livre et du droit d'auteur (jeudi 23 avril), nous avons demandé à 4 écrivains.es marocains.es de décliner les raisons qui les incitent à commettre l'acte d'écrire. (De gauche à droite et de haut en bas : Loubna Serraj, Anissa M. Bouziane, Mohamed Hmoudane, Bahaa Trabelsi).
Par R. K. H.
Quelle est cette force irrésistible qui propulse la main d’un être sur une page blanche ? Une pirouette plaisante : on écrit, en général, parce que l’on a beaucoup lu. Et cela peut devenir une raison de vivre. «Ecrire a tourné à l’habitude, pour ne pas dire à la manie, avoue Roger Grenier. Une manie dans laquelle je m’enfonce chaque jour davantage, de sorte qu’à présent, je suis incapable de goûter aucune autre activité, aucune autre distraction.» Ce qui a été exprimé avant lui par plus d’un auteur, mais avec des inflexions différentes. Ecrire pour combattre la solitude (Montaigne), pour se défendre des offenses de la vie (Pavese) ou apaiser une angoisse (Nerval). Ecrire pour être aimé (Barthes) ou pour revivre par la plume des plaisirs désormais interdits (Casanova). Ecrire parce qu’on «n’est bon qu’à ça» (Beckett) et d’ailleurs «que faire d’autre ?» (Sartre). Ecrire pour laisser une trace, «mériter une petite immortalité» (Scott Fitzgerald). Les bonnes raisons ne manquent pas.
Bahaa Trabelsi : «J'écris pour ce souffle: Celui de l’écriture. Mon espace de respiration et de libertés. Celui de la créativité. Un souffle que j’implore et qui m’habite de temps en temps, pas toujours. Souffle coupé, quand, je me perds dans cet espace quasi divin où j’écris. Egarée quelque part dans les arcanes de mes incertitudes, de mes peurs et de mes frustrations. A la recherche d’un mot. Le souffle des mots et de leurs contenus à la fois précis, parce que je n’ai pas le droit de me tromper et en même temps magiques, parce que salvateurs. Ces mots que je chine éperdument comme dans une brocante, parfois dans la douleur et qui, une fois trouvés me font de nouveau respirer. Le souffle du récit. Celui qui m’emporte dans une course folle, où je raconte une histoire qu’au bout d’un moment je ne maîtrise plus. Et me voilà soufflée par ma fable. Ne me reconnaissant plus, happée par mes personnages qui prennent vie et me narguent. Et enfin le souffle de vie. Quand tout est fini. Une tranche de vie ou plusieurs sont nées. Dans un texte. Dans un livre. Alors, essoufflée, vidée, je me surprends à retenir ma respiration, déjà en quête d’un nouveau souffle».
Mohamed Hmoudane : « Qu'est-ce qui me pousse à écrire ? En me posant cette question que tu m'as posée, une autre a traversé, comme une fulgurance, mon esprit : qu'est-ce qui me pousse à chier? Et cette dernière question a donné lieu à une suite de réflexions. Pour pouvoir chier, il faut forcément manger! Mais, faut-il manger, pour écrire? Oui et non! Oui, puisque l'écriture est une activité physique comme une autre, comme celle, par exemple, d’une connasse qui dépense une fortune - alors qu'un écrivain dépense les ressources son être - dans des séances de fitness pour paraître éternellement jeune ! Non, puisque je peux me passer de nourriture, aussi bien terrestre, pour écrire. En fin de compte, j'écris comme je chie, C'est naturel chez moi... ! ... aussi bien terrestre que spirituelle... »
Loubna Serraj : « Décliner les raisons qui incitent les écrivains et les écrivaines à commettre l'acte d'écrire ? C'est comme vouloir expliquer coûte que coûte quelque chose qui relève parfois du domaine de l'irrationnel, de l'irrépressible. C'est comme vouloir apposer systématiquement une même grille de lecture à un ouvrage... Autant dire que face à cette question, dont je ne conteste aucunement la pertinence, je me retrouve bien souvent aussi surprise que perdue. Surprise car j'avoue ne jamais m'être interrogée à ce propos : l'écriture et la lecture ayant très tôt fait partie de ma vie, je m'exprimais par écrit avant de publier un roman. Perdue car cela m'amènerait à restreindre l'acte d'écrire à la raison. Or, pour ma part, je dirais qu'il n'y a aucune raison, et encore moins plusieurs à décliner, à coucher sur le papier une histoire. C'est plus de l'ordre de l'urgence, de la nécessité, de la passion. Comme une évidence contre laquelle il est vain de lutter, quand bien même on essaierait, mais qui nous porte pleinement mêlant nos tripes, notre esprit et notre cerveau. Cette "évidence" devient une idée fixe, elle nous hante littéralement tant qu'elle n'a pas trouvé un chemin vers la plume. »
Anissa M. Bouziane : «Depuis mon jeune âge l'écriture a été une nécessité, car le monde ne m’a jamais paru comme ayant un sens évident. À travers ma plume, j'essaie de trouver un sens au monde qui est autour de moi et à celui qui est en moi. L’écriture est un mode d'exploration, de moi-même et du monde qui m'entoure. Ensuite, les mots, parlés ou écrits, m’ont toujours fasciné. Je suis attirée par le rythme que pouvait prendre les mots lorsqu'on les exprime…et donc pour moi, c'est aussi transformer quelque chose que l'on utilise dans notre quotidien et en faire quelque chose de magique, de beau et de rythmée. L’écriture m'a toujours permis de façonner les mots pour créer des histoires. J’ai toujours été entouré d'histoires, que ce soient celles que ma grand-mère me racontait, ou celles que mon père me raconte encore aujourd'hui (rires)…Et les écrire, c'est une façon de les partager avec un plus grand nombre de personnes. Les livres ont le pourvoir de me transporter bien au-delà des quatre murs dans lesquelles je me suis enfermée - dans lesquelles nous nous sommes tous enfermés en ces temps de confinement -, au-delà des horizons, lointains, qui sont ceux de notre imaginaire. Les livres, comme l'écriture, nous permettent ce voyage unique qui est une espèce de symbiose entre l'imagination de l'écrivain et du lecteur».