◆ Alors que paraît son troisième roman, Hicham Lasri, mec cool et déjanté, décline avec son franc-parler la force de son texte aux traits hardcore. Tout uniment cinéaste, écrivain et dessinateur-bédéiste, il excelle à dépeindre le flou des frontières entre innocence et perversité.
Par R. K. Houdaïfa
A ceux qui seraient un jour perdus, c’est peut-être lui qui portera secours. Ou la petite embarcation sobrement intitulée «L’improbable fable de Lady Bobblehead». «Au début, c’était juste ‘bobblehead’. Ainsi, j’ai trouvé que c’est un peu trop mystérieux. Or, à la base, je voulais livrer une sorte de conte mythologique pour enfant-adulte, ou immature si vous voulez. Ensuite, j’ai trouvé intéressant d’avoir un titre à rallonge où le côté fable confronte l’irracontable. Où d’innombrables petites choses se relatent sans forcément dévoiler le contenu de l’histoire», nous explique l’auteur.
A la croisée de la philosophie, de la farce et du conte, Hicham Lasri déploie sa lumineuse fantaisie dans «L’improbable fable de Lady Bobblehead». Ici, il «ne parle que de l’absurdité du monde, tout en mettant en scène un protagoniste qui a perdu son âme parce qu’on la lui a volée». L’écriture, nerveuse, rapide, mène le récit à un terrain d’enfer, au point de s’enliser dans les tournements psychologiques des personnages. «Je trouve extraordinaire les drames que peuvent susciter les galères par exemple».
Ce roman est un rugissement de tempête où s’affrontent les éléments, le bien, le mal et cette quête d’identité qui pousse les plus tendres des hommes à affronter tous les dangers : se connaître soi-même. «Pourquoi avons-nous besoin d’âme en fait ? A quel point en avons-nous besoin ? Je trouve que ces questionnements sont une sorte de poésie enfouie en nous et que l’on n’active jamais. C’est comme une charge de plutonium (rires). Autrement dit, nous nous dotons d’un certain big bang; certes, il y a très très très peu de gens qui sont capables d’activer cette charge pour que cela explose.
Céline, c’est quelqu’un qui a réussi à le faire. Cette explosion génératrice est forcément destructive». Hicham Lasri est un homme curieux, plein d’humour, férocement intelligent et subtilement subversif qui évoque avec une grande simplicité, non seulement, ses chocs, son imaginaire, ses rêves, son attirance-répulsion pour la folie, ses lucides passions…mais les nôtres aussi. Au fur et à mesure que le récit se déploie, nous découvrons un petit bijou de prose entre le souci de rendre les sons, la beauté et la difficulté à installer une atmosphère paradisiaque dans un décor totalement mortifère.
«C’est l’histoire d’un personnage auquel nous avons dérobé l’âme. Ceci dit, afin de la récupérer, il connaîtra un long périple. Durant cette traversée, le voyage devient une sorte de tourbillon de folie, d’imagination et de poésie. De transformation également, car étant à la base un personnage minable, il s’en sortira héroïquement et en même temps complètement perdu à cause de l’aventure». Hicham Lasri est-il coupable ou n’est-ce qu’un simulateur qui jouit de dire l’essentiel ?
D’autant qu’il laisse superbement planer l’ambiguïté et nous entraîne dans son délire non moins hardcore, avec un soupçon de détresse, mais sans cynisme. Même juste une once. Si le roman est une aventure, c’est moins pour ce qu’il raconte que par la façon dont il raconte. Le tissu du texte impressionne davantage par la qualité de son fil que pour ses motifs. Il est tout d’une pièce : les descriptions sont brodées dans la narration. Les phrases tressent ensemble le décor et l’intrigue, laquelle devient un élément du décor – comme si la trame avait seule le pouvoir de donner une couleur à l’étoffe du récit.
Celui-ci «prend l’architecture d’un jeu vidéo. C’est-à-dire chaque chapitre est un level dans lequel se trouve un boss qu’il faudra affronter...». Hicham Lasri a quelque chose du cheminement initiatique d’une âme perdue dans un monde en déréliction. Il signe une fable contemporaine à point nommé, tout en finesse, en humour, en gravité et en délicatesse. So punk !