◆ La crise sanitaire a provoqué un violent coup d’arrêt dans le monde du spectacle vivant, qui ne compte plus les événements annulés ou repoussés.
◆ Tous les corps de métiers ne savent pas s’ils vont pouvoir tenir au-delà de l’été. En plein flou artistique.
Par R.K.H
Il est là. Indéniablement. Sur cette tasse, sur ce clavier. Peut-être traîne-t-il sur le corps du stylo ? A moins qu’il ne s’agrippe à une poignée de porte ? La Covid19. Sa présence invisible relève de la peur des fantômes.
Il nous entoure, nous assaille, mais où? Les masques, les gants et le métrage de distanciation sociale sont autant de barrières contre sa propagation que de frontières face à l’inconnu mortifère dont il faut bien délimiter un territoire. Les troupes ont d’abord vécu l’arrêt brutal des répétitions avec une profonde tristesse. Nombreux sont les comédiens en cours d’élaboration d’une nouvelle pièce qui ont dû plier bagage.
Parallèlement à la gestion des contrats et de l’intermittence, des tournées annulées qui vont impacter la diffusion de la saison 2020-2021; se replier chez soi est une épreuve. Les comédiens se sont vu pour la dernière fois lundi 16 mars, sans savoir qu’ils ne se reverraient plus. Ils se sentaient comme «gelés». Leur travail se fait d’abord entre eux dans le studio, dans un lien journalier, et progresse au fil du temps.
Répéter ensemble est un processus très intime qui demande beaucoup de confiance. Continuer sans cette relation quotidienne, leur semble presque une trahison.
Confinée et désespérée
Aucune équipe ne répète, les montages techniques ne pouvaient plus avoir lieu, elles naviguent, toutes, à vue. Pour autant, leur art a pris le pli du numérique. Les équipes s’envoient par WeTransfer des solos filmés dans leur cuisine ou leur salle de bains.
Mais les projets ne sont pas une suite de solos en cabine. Pour eux, les répétitions via les applications Zoom ou Skype n’ont aucun sens. Les troupes les plus en difficulté sont celles dont les répétitions avaient à peine commencé avant le confinement, surtout si -elles pratiquent l’écriture dite «de plateau»- c’est-à-dire sans texte préalable.
Mais si les comédiens peuvent peu ou prou continuer, du moins, à répéter chez eux, les danseurs se retrouvent dépourvus sans interprètes. Concevoir une pièce de danse contemporaine se tisse au plus près des corps, de leurs techniques, de leur imaginaire, se surfilant à la peau même de chacun.
Ils préparent beaucoup à table, comme on dit, mais ils ne deviennent véritablement chorégraphes que lorsqu’ils sont en studio avec les danseurs, en prise avec leur caractère et leur singularité. Cloitrés et seuls, ils ne savent pas comment avancer. Il leur est impossible de travailler la chorégraphie à distance en l’absence des danseurs.
Ils ne procèdent jamais avec une chorégraphie préfabriquée. Ils arrivent en répétition avec une structure, mais pour construire le spectacle, il faut que le groupe se rassemble, dialogue, prenne le temps d’élaborer des propositions. Ils ne peuvent pas raboter le temps de la rencontre.
Comment répéter un spectacle en période de confinement ? A fortiori quand ils doivent jouer une fois la reprise annoncée ? Peuvent-ils présenter un «work in progress» à un public qui, lui, aura payé l’intégralité de sa place ? Et se déplacera-t-il même, ce public, si peu de temps après l’interdiction des rassemblements ? Toute prise de décision est bloquée.
Les reports et les pertes financières vont inéluctablement rendre beaucoup plus ardu l’aboutissement des projets et les raréfier. Et, à terme, mettre en péril bon nombre de compagnies. «On est dans l’impossibilité de savoir quoi faire» ! Notamment parce qu’il est impossible de savoir si les rassemblements de, du moins, 500 personnes seront autorisées en juillet…
Paralysie du secteur
Comment surmonter alors cette «année noire» ? La mobilisation des intermittents du spectacle monte en puissance pour réclamer une solution radicale face à la situation catastrophique dans laquelle la crise liée au coronavirus a plongé durablement le secteur culturel. Une partie importante des intermittents du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel se retrouve à court terme sans ressource...
Comment éviter alors l’hécatombe sociale et culturelle ? Ou tout court: comment éviter de mourir ? Les intermittents ont des fonctionnements particuliers, du fait du caractère saisonnier de leur métier et de calendriers contraints (la plupart des salles de spectacle ont leur programmation engagée pour la saison 2020-2021 depuis le mois de février).
Ainsi, la plupart des spectacles ou des projets reportés ne pourront se réaliser au mieux qu’un an à un an et demi après la réouverture des salles de spectacle. Noire, l’année 2020 l’est et le sera au moins jusqu’à l’automne : la mise à l’arrêt, depuis lundi 16 mars, des salles de spectacles, de cinémas, des théâtres, des répétitions, des tournages et l’annulation en série des festivals et événements du printempsété ont stoppé net toute possibilité pour les artistes et techniciens de travailler.
A cela s’ajoute l’absence de visibilité sur la date à laquelle les lieux pourront de nouveau accueillir des spectateurs.
Dispositifs d’urgence pour maintenir l’accompagnement
Pour l’heure, quelques mesures d’urgence ont été prises. Othman El Ferdaous, le ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, a annoncé, le 1er mai, le déblocage immédiat d’une somme de 7,7 MDH pour près de 124 dossiers de subventions de soutien aux arts au titre de 2019 (52% aux théâtres, 44% aux musiques et arts chorégraphiques, le reste est dédié aux arts-plastiques). Dimanche 14 juin, El Ferdaous a annoncé le lancement d’un programme de soutien aux acteurs culturels des mondes de l’art et du livre, «en vue d’atténuer l’impact socioéconomique de l’état d’urgence sanitaire».
Ce programme prévoit, entre autres, le lancement d’un appel à projets artistiques, pour une enveloppe globale de 39 MDH, dans les domaines du théâtre et tournées nationales; de la musique, chanson, arts de la scène et arts chorégraphiques; des expositions d’arts plastiques et/ou visuels (portées par les galeries); d’acquisition d’œuvres d’arts plastiques ou visuels auprès des artistes «afin d’enrichir les collections du ministère et d’encourager les jeunes talents».
Certes, nous sommes loin du compte et beaucoup ne sont pas très optimistes. Pourtant, on ne peut pas à la fois dire que la culture est essentielle et ne pas mettre les moyens pour la sauvegarder.