Gravipack est le seul exosquelette au monde qui s’installe dans des bretelles pour soulager le poids sur les épaules.
Aujourd’hui, l’innovation aux neuf brevets internationaux génère un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros en France et 130 millions de dollars dans le monde.
Entretien avec l’inventeur franco-marocain Mohammed Errafi.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Parlez-nous de votre innovation, un sac à dos qui défie les lois de la pesanteur, et qui reste à ce jour une création inédite ? Quel a été le déclic ?
Mohammed Errafi : Gravipack est une solution à un problème technique. Elle est devenue une norme de qualité pour les sacs à dos enfants, adultes, militaires ou livreurs de repas. C'est une création unique au monde avec neuf brevets internationaux dans plusieurs segments, tels que les sacs à dos, l'assistance physique des robots ou les porte-outils. Je suis ferronnier d'art de formation et j'ai créé un exosquelette que les scientifiques appellent la «côte Alpha N°12». Elle permet un transfert de charge plus proche du centre de gravité qu’un sac à dos classique, sans prendre appui sur les épaules et sans impacter la mobilité durant la marche. Cette innovation ingénieuse d'apparence simple possède une grande technicité jusqu’alors inexistante sur le marché.
F.N.H. : Comment avez-vous eu l’ingénieuse idée d’intégrer un exosquelette dans votre création de sacs à dos. Vous vous attendiez à cet énorme succès ?
M. E. : Le port de mon sac à dos de 20 à 30 kilos me générait de fortes douleurs au dos et aux épaules. J’ai donc cherché une solution pour soulager ces maux. J’ai commencé par observer les porteurs dans des halls de gare : ils étaient tous courbés vers l'avant, les épaules écrasées, les mains sur les bretelles pour tenter d’atténuer leur douleur. J’ai aussi constaté que les grandes marques de sacs à dos apposaient de plus en plus des tirettes sur les bretelles pour soulager les cervicales. Toute la problématique du portage tournait autour des bretelles; j’ai donc conclu que je pourrais soulager mon dos en insérant un exosquelette dans ces dernières. Étant ferronnier d’art, je suis allé au magasin de bricolage, j’ai acheté des tiges rigides que j’ai modifiées pour les glisser dans les fourreaux de mes bretelles. Je l’ai utilisé pendant plusieurs mois, je pouvais transporter plus de charge, j’allais plus loin et j’étaisen meilleure forme. Un jour, j’ai prêté mon sac à un ami, il m’a dit : «Mohammed, c’est dingue, comment as-tu fais ? Est-ce que tu peux m’en fabriquer un pour moi» ? J’avais également conçu un modèle pour mon fils en école primaire; les mamans de ses amis venaient me voir et me demandaient un modèle pour leurs enfants. C’est à partir de là que l’aventure a commencé. Mais je n’avais pas encore conscience que mon innovation allait avoir autant de succès, ni atteindre une dimension internationale.
F.N.H. : Votre innovation a eu énormément de prix et de consécrations. Qu’est-ce que cela vous procure ?
M. E. : Lorsque j'avais 5 ans, je vivais dans un quartier pauvre à Casablanca. Je rêvais de construire un orphelinat pendant que d'autres voulaient devenir médecin ou avocat. Depuis cet âge, je me suis battu pour sortir de la précarité et réussir, j'étais esclave du monde. Aujourd'hui, je suis le rêve concret de ma destinée. Pour y arriver, j’étais discipliné, ambitieux, bien entouré, positif et surtout j’avais une vision sur le long terme. La médaille d'argent du ministère français de la Défense, la médaille de l'innovation des armées, la médaille d'argent au Concours Préfet Lépine, lauréat national du trophée PME de France, lauréat national des talents des cités, sacralisé French Tech par le ministre de l’Economie sont le fruit de mon travail, de ma détermination et de mes rêves. Je partage avec vous un fait inédit. Jeudi, 16 décembre, j’ai rencontré les ministres français de l’Intérieur et de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, respectivement Gérald Darmanin et JeanMichel Blanquer. Ils m’ont demandé, à travers Gravipack, de réaliser des semelles orthopédiques pour tenir l’architecture corporelle, qui vont être commercialisées dans toute l’Europe. La bonne nouvelle, c’est que ces semelles vont être prises en charge par la sécurité sociale. Aujourd’hui, nous réalisons un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros en France et 130 millions de dollars dans le monde. Concernant les prévisions des ventes pour 2023, nous tablons sur plus de 35 millions d’euros en Europe. Il y a trois collections Gravipack; les prix se situent entre 149 et 249 euros (1.500 et 2.500 DH). Gaya, la future marque dotée de l’innovation, sera mise sur le marché pour le compte du grand public, au prix entre 80 et 120 euros (800 et 1.200 DH).
F.N.H. : Votre projet a réussi à décrocher plusieurs contrats. Le dernier en date consiste à équiper les sacs à dos opérationnels et techniques de l’US Army ? Parlez-nous de vos partenariats actuels, et ne comptez-vous pas conquérir le marché marocain ?
M. E. : Mes partenaires sont nombreux, mais il y a de la place pour tout le monde sur ce marché conséquent. J’octroie des licences d’exploitation de marque et de brevet pour Décathlon, Packcraft, Kid’abord, BSGroupe et bientôt Deliveroo ou Uber Eats. Nous allons équiper de nombreuses écoles et des armées du monde, telles que les USA ou la Russie avec les bretelles Gravipack. Concernant le Maroc, j'ai une vision différente avec la dynamique de mes brevets. Je souhaite créer un centre de formation avec un accompagnement professionnel jusqu'à l'autonomie pour des personnes vulnérables et en situation de handicap sensoriel, cognitif et moteur.
F.N.H. : Quelles sont vos ambitions actuelles ? Avez-vous un rêve qu’il vous tient à cœur de réaliser ?
M. E. : Mon rêve est d’avoir un plateau de bureaux où 200 personnes en situation de handicap, TR21, autistes, malvoyants et non-voyants… pourront travailler dans la joie. Une réussite sans partage n’est pas une réussite. Il faut partager son savoir et le faire savoir aux autres; un savoir qui ne sert pas les nations n’en est pas un. Tenter d’améliorer le quotidien de mes semblables est aussi un but. Le succès doit être collectif pour qu’il ait du sens. L’union fait la force.
F.N.H. : A travers votre parcours, quel message donneriez-vous aux jeunes, notamment marocains ?
M. E. : Si j'ai un conseil à donner, c’est d’abord de croire en soi. Il faut aussi savoir écouter les anciens entrepreneurs, poser des questions à ceux qui réussissent, être curieux, comprendre, accepter et apprendre de ses erreurs, car sans erreur il n’y a pas de réussite. Si on vous dit c'est difficile, c'est parce que c'est vraiment difficile. Croyez en vous, en votre intuition, soyez discipliné, allez jusqu’au bout de vos idées et vous y arriverez.