Marocains résidant à l’étranger : Les trois priorités de Nezha El Ouafi

Marocains résidant à l’étranger : Les trois priorités de Nezha El Ouafi

Une nouvelle approche pour la gestion du dossier des MRE s’impose.

Celle-ci doit prendre en considération les mutations profondes que connaît la population des Marocains vivant à l’étranger.

Entretien avec Nezha El Ouafi, ministre déléguée chargée des Marocains résidant à l'étranger.

 

Propos recueillis par M. Diao & C. Jaidani

 

Finances News Hebdo : L'Etat a décidé d’autoriser les Marocains du monde (MDM) à accéder au territoire national à partir du 15 juillet 2020, par voies aérienne ou maritime via les ports de Sète (en France) et de Gêne (en Italie). Quelles sont les mesures prises par votre département pour faciliter le retour des MDM dans ces conditions particulières imposées par la pandémie ?

Nezha El Ouafi : Le ministère délégué chargé des Marocains résidant à l'étranger a toujours veillé au bon déroulement de l'opération transit, mais également à l’accompagnement des MRE durant leur séjour au Maroc, lors de la période estivale. Cette année, le retour des MRE se fait dans un contexte particulier, celui de la pandémie du coronavirus.

Dans les conditions particulières liées aux mesures préventives mises en place par l’Etat marocain, le ministère a adapté les services habituels d’accompagnement des MRE au contexte actuel, tout en renforçant sa communication en mettant à leur disposition, en plus des canaux de communication usuels, des numéros de téléphone joignables 7 j/7.

Les services extérieurs du ministère à Nador, Béni Mellal et Tiznit sont aussi mobilisés pour accompagner, orienter et anticiper les besoins des MRE dès leur arrivée au Maroc. Le ministère a pu mobiliser la société civile et les réseaux de compétences qui assurent un accompagnement dans les pays de résidence afin de faciliter les démarches nécessaires à l’opération spéciale de retour mise en place par le Royaume.

Nous avons aussi programmé une série de conférences, webinaires et journées d’études encadrés par la réflexion post-covid-19 et qui permettrait d’impliquer davantage et de manière efficiente les compétences MRE dans le processus de transformation que connaît le Maroc afin d’aboutir aux nouvelles priorités nationales dictées par les mutations mondiales.

Aussi, et dans le but de renforcer les liens et la communication avec les Marocains établis à l’étranger et qui n’ont pas pu se rendre au Maroc cet été à cause de la pandémie du coronavirus (covid-19), une version digitale de l’Université culturelle d’été est prévue les 5 et 6 août prochain.

Cela permettra de rapprocher nos jeunes compatriotes vivant hors du Maroc, malgré la distanciation imposée par le contexte actuel. Dans la conjoncture particulièrement anxiogène de la crise sanitaire, pour célébrer la journée du 10 août, le choix s’est orienté vers une manifestation résolument marquée par la confiance en l’avenir. Une journée de réflexion sous le thème : «Quelle contribution des compétences MRE aux grands chantiers de développement nationaux ?» sera organisée le 10 août sous la forme de trois panels :

• La contribution des compétences MRE aux grands chantiers de développement nationaux;

• L’entrepreneuriat et les investissements des MRE;

• L’évolution vers l’e-gouvernement et les perspectives que cela ouvre devant les compétences MRE dans les technologies numériques.

 

F.N.H. : Lors de la 8ème réunion de la Commission ministérielle pour les affaires des Marocains résidant à l'étranger et de la migration, ladite commission a recommandé la mise en œuvre d’une série de mesures immédiates afin d’œuvrer à la mise en place d’un système de protection sociale au profit des Marocains résidant dans des pays n’ayant pas d’accords de coopération avec le Royaume dans ce domaine. Pourquoi une telle recommandation spécifique ?

N. E. O. : L’amélioration des services à destination des MRE a une place particulière dans le programme de notre ministère. Il s’agit de trouver des réponses aux différentes contraintes et préoccupations que rencontrent nos MRE, notamment en périodes de crise que connaissent certaines régions du monde et qui impactent les droits et les acquis de nos concitoyens à l’étranger.

Dans ce cadre, notre département, en partenariat avec plusieurs acteurs concernés, veille à améliorer la protection sociale de nos concitoyens à l’étranger en renforçant les dispositifs qui entrent dans leurs attributions. Il est question aussi d’actualiser les conventions bilatérales de sécurité sociale signées avec le Maroc et les élargir à d’autres pays. Malgré l’évolution du nombre des MRE qui sont répartis dans plus de 80 pays, les conventions bilatérales ne concernent que 18 Etats seulement. Par exemple, les MRE basés dans des pays du Golfe

 

ou africains et qui sont estimés à plus de 150.000 personnes ne bénéficient pas de protection sociale. Ces personnes ont besoin d’un système de protection sociale spécifique. Notre département a réalisé une étude en partenariat avec d’autres institutions concernées. Celle-ci a permis de diagnostiquer la situation du système de protection sociale actuel des MRE. Les conclusions de cette étude seront la base pour mener les discussions avec les institutions et les administrations concernées.

Des réunions ont été organisées à ce sujet avec le ministère de l’Emploi et la CNSS. Les rencontres ont abouti à intégrer cette population dans la catégorie des bénéficiaires prévue par les lois 15-98 et 15-99, qui concernent les professionnels indépendants. Il est prévu de concevoir la mouture finale du projet. Dans un premier temps, cet écosystème ne prévoit que la retraite pour les MRE, avant de passer, dans une seconde étape, à l’étude de l’intégration de la couverture sanitaire dans le système.

La création d’un écosystème de protection sociale des MRE qui ne disposent pas de couverture sociale dans leurs pays d’accueil est une étape importante dans la mise en œuvre de la politique éclairée de SM le Roi Mohammed VI en matière de généralisation de la couverture sociale à tous les Marocains et aussi pour se conformer à l’esprit de la Constitution à ce sujet. Il s’agit également d’exprimer la volonté du département de tutelle et du gouvernement en matière d’accompagnement des MRE, et ce dans le cadre des évolutions profondes que connaît le monde, et d’effectuer un travail de fond pour préserver leurs acquis.

 

F.N.H. : Enfin, quel bilan faites-vous de l'action de votre département au cours des derniers mois marqués par la crise liée à la pandémie dans les pays européens, qui abritent la majeure partie des MDM ?

N. E. O. : Parler aujourd’hui du bilan nous pousse à évoquer deux éléments sur lesquels nous nous sommes attelés depuis ma nomination. Premièrement, il faut une nouvelle approche pour gérer le dossier des MRE et prendre en considération les mutations profondes que connaît la population des Marocains vivant à l’étranger. 20% d’entre eux sont nés dans leurs pays d’accueil, 50% sont de jeunes femmes. Par ailleurs, 70% des MRE ont moins de 45 ans. Ils présentent des compétences de qualité dans tous les secteurs.

Nos concitoyens à l’étranger ont besoin d’un nouveau dispositif pour renforcer leur lien avec la mère patrie. Le deuxième élément très important, et qui a été marginalisé auparavant, concerne le traitement du dossier des MRE qui doit être transversal. Tout programme dédié à ces personnes doit prendre en considération tous les aspects et impliquer tous les intervenants dans le secteur. Nous avons à cet égard travaillé étroitement avec les administrations et les acteurs concernés. Aujourd’hui, nous avons trois priorités.

La première concerne la mobilisation des compétences et leur insertion dans les différents chantiers économiques et de développement nationaux. Nous avons opté pour une nouvelle approche évitant les rencontres et autres rassemblements. Actuellement, nous avons lancé le programme MRE Académie, dont la philosophie consiste à relier l’expertise marocaine dans le monde (évaluée à 17% de l’expertise mondiale par l’OCDE) avec les secteurs concernés.

Nous avons signé une convention-cadre avec l’OFPPT, qui prévoit d’insérer les réseaux organisés d’une façon pragmatique pour assurer le transfert de savoir-faire dans des domaines pointus comme l’ingénierie de la formation et la compétitivité économique. A cet égard, nous avons également scellé un partenariat avec Maroc des Compétences, comme les médecins d’origine marocaine ou le réseau en Allemagne qui regroupe près de 1.200 personnes réparties entre experts, ingénieurs et techniciens dans plusieurs domaines, pour ne citer que l’industrie automobile.

Le réseau implanté au Canada est spécialisé dans l’aéronautique. Aux Etats-Unis, on note la présence du réseau American Moroccan Competencies Network (AMCN), qui est spécialisé dans plusieurs secteurs. Nous envisageons des conventions pour la formation des formateurs. Pour MRE Green, nous ciblons les compétences spécialisées dans les énergies renouvelables, l’économie verte, la valorisation du développement durable, la transition énergétique, la transition écologique…

Ces profils auront la possibilité de collaborer avec les institutions nationales comme l’Iresen. Il est essentiel d’ériger un pont entre les compétences marocaines à l’étranger et celles au niveau national. Nous avons également prévu des dispositions pour inciter les investisseurs MRE à lancer des projets au Maroc. Un plan de travail est décliné en partenariat avec la CGEM et le département de l’Enseignement supérieur. Nous devons changer de paradigme dans nos relations avec les compétences marocaines pour qu’elles soient intégrées. Nous devons faire en sorte que ces compétences apportent une valeur ajoutée à notre pays. Le portail maghribcom sera lancé prochainement.

Nous allons développer ce portail à partir du site fincom afin qu’il soit une plateforme institutionnalisée comportant une base de données riche et variée. Notre pays a pu, au cours de la crise de la Covid-19, profiter des compétences marocaines à l’étranger. Par exemple, le réseau AMCN a fourni beaucoup d’efforts comme la réparation du matériel médical, la formation des innovateurs marocains et l’accompagnement de quelques hôpitaux.

Le réseau de compétences médicales des Marocains du monde a lancé une plateforme d'assistance médicale et psychologique, à distance et à titre bénévole, au profit des Marocains résidant à l'étranger. L’opération a ciblé les MRE dans 17 pays. Nous voulons conforter le capital de confiance des MRE dans leur pays pour les rapprocher davantage de leur mère-patrie.

Notre deuxième chantier concerne l’amélioration des services, surtout l’administration consulaire, qui a connu une nette évolution pour qu’elle soit à la hauteur des attentes. Parmi les priorités, figure également la revalorisation des conventions signées avec les pays d’accueil. En effet, dans les évolutions constatées chez les MRE, on note l’apparition d’une population vulnérable de la première génération regroupant des femmes et des enfants. Une équipe d’experts s’attelle à revoir 18 conventions qui datent de 20 ans. A cet égard, nous allons organiser prochainement, en partenariat avec le ministère de la Justice et d’autres acteurs, une conférence pour un bilan d’évaluation.

La rencontre traitera des sujets ayant trait à des domaines qui touchent directement les MRE, comme l’exécution des clauses de la Moudawana à l’étranger. Nous travaillons également sur le chantier de l’offre culturelle, du fait des évolutions que connaissent les MRE. La promotion cultuelle doit faire valoir l’identité nationale. Un programme de travail est en cours pour répondre aux aspirations des MRE.

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