Le monde selon Villepin

Le monde selon Villepin

 

L’ancien Premier ministre français a magistralement décrit les mutations en cours dans un monde de plus en plus compliqué, sur fond de guerre de moins en moins feutré entre les Etats-Unis et la Chine.

Outre la puissance militaire, économique ou encore culturelle, l’exercice de la domination se fera aussi (surtout) par les nouveaux moyens technologiques.

 

La toute première Université d’été de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) n’aura pas déçu. Certes, pour une première, tout n’était pas parfait, mais il faut reconnaître que la barre a été placée assez haut. Le choix des intervenants, la nature des débats, le ton franc des échanges, ou encore le caractère crucial des sujets abordés, étaient à la hauteur.

Pari réussi donc pour Salaheddine Mezouar, président de la CGEM, qui compte faire de cette plateforme un véritable think tank, capable de contribuer efficacement à la définition du nouveau modèle de développement que le Roi Mohammed VI appelle de ses vœux.

Rendez-vous est déjà pris d’ailleurs pour le prochain Summer Camp de la CGEM en 2019 qui, cette fois, se déroulera bien durant l’été, et non au début de l’automne.

«Le nouveau modèle de développement ne pourra se faire sans une entreprise forte, citoyenne, en phase avec les évolutions de son environnement», a ainsi déclaré Mezouar lors de son allocution. Son crédo : une entreprise forte est incontournable pour que le Maroc n’ait pas à subir le contrecoup des mutations en cours dans un monde de plus en plus compliqué.

Afin de pouvoir mieux appréhender cette complexité, qui de mieux que Dominique de Villepin pour en parler. L’ancien ministre des Affaires étrangères et ex-Premier ministre français a, de façon magistrale, planté le décor d’un monde en mouvement où il n’est pas sûr qu’il n’y ait que de bonnes nouvelles à venir. «Il vaut donc mieux savoir vers où l’on s’avance», conseille-t-il.

 

Perte de repères

Le premier bouleversement est de nature politique, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères. «Nous sommes dans un temps d’effondrement des grands repères qui organisent le monde depuis la deuxième guerre mondiale et la chute du Mur», assène-t-il à une assemblée qui l’écoute religieusement.  L’idéal partagé de la démocratie libérale est aujourd’hui à l’épreuve. Sur le Vieux continent, la montée des populismes et des séparatismes en sont un signe inquiétant.

Le capitalisme financier est lui aussi remis en question. Les promesses du libéralisme triomphant butent aujourd’hui sur la montée des inégalités, qu’elles soient sociales, éducatives, entre territoires, entre ruraux et urbains, entre pays, etc. La théorie du ruissellement a montré ses limites.

Le multilatéralisme, qui a défini les relations entre puissances depuis 1945, est lui aussi battu en brèche par la montée de l’unilatéralisme américain et sa poussée protectionniste et souverainiste. Donald Trump a dynamité cet équilibre précaire en s’appuyant sur une vision dominée par la primauté de l’intérêt des Etats-Unis.

 

Chine vs Etats-Unis

Pour Dominique de Villepin, ce à quoi nous assistons, c’est une repolarisation du monde, voire sa désoccidentalisation. Selon lui, beaucoup de conflits d’aujourd’hui, qu’ils soient commerciaux, politiques ou militaires, cachent en réalité un affrontement de moins en moins feutré entre la Chine et les Etats-Unis.

La toute puissance américaine est menacée par l’ascension chinoise. «Trump prend le taureau par les cornes pour retarder la puissance chinoise», explique de Villepin. C’est comme cela qu’il faut comprendre les évènements qui se déroulent actuellement sous nos yeux. Il a rappelé qu’il y a toujours un risque d’affrontement entre puissances descendante et ascendante. L’Histoire du monde fourmille d’exemples dans ce sens. Et l’Histoire a montré que ces frictions se terminent souvent par des guerres. Pas toujours, mais souvent.

Aujourd’hui, outre la puissance militaire, économique, ou encore culturelle, l’exercice de la domination se fera aussi et surtout par les nouveaux moyens technologiques. Un chiffre pour s’en convaincre : «la Chine va investir 60 milliards de DH par an dans l’intelligence artificielle», rappelle ainsi de Villepin.

 

Rester ce que nous sommes

Et le Maroc dans tout cela ? Comment doit-il évoluer dans ce contexte ? Doit-il choisir son camp ? «Ma conviction est qu’il faut éviter ce jeu de polarisation», estime l’ancien diplomate. «Nous devons rester ce que nous sommes pour ne pas perdre sur tous les tableaux. Nous devons nous assumer dans notre différence», suggère-t-il.

L’effort doit être mis en priorité sur l’éducation. «Si l’on veut participer à ce monde qui change, il faut avoir une capacité à mieux former et à innover», ajoute-t-il.

Il faut également faire preuve de solidarité. Il faut avoir la capacité d’agir en réseau. Grandes entreprises, PME, entrepreneurs et Etats doivent avancer solidairement et valoriser cette capacité à agir ensemble. ■

 


De Villepin, Verbatim  : «Le Maroc a des atouts, plus que jamais»

«C’est un moment important pour les responsables économiques marocains de mesurer la mobilisation qui existe sur le plan économique à travers l’ensemble du pays et prendre la mesure des opportunités que crée une situation régionale et internationale changeante, avec également des défis importants en matière de formation et d’éducation, dans le domaine commercial, alors que des nuages s’accumulent sur la scène mondiale avec la compétition croissante et les blocages nés de la position américaine.

Des défis également d’ordre éthique, pour s’assurer que la création de valeurs ne se résume pas seulement aux dimensions économiques et financières, mais englobe également une création de valeurs sociales et une création de valeurs au bénéfice de chacun.

Cette occasion d’échanges avec les entrepreneurs marocains montre à quel point l’esprit d’initiative et d’entreprise s’affirme de plus en plus au Maroc. Nous l’avons d’ailleurs vu à travers le témoignage de jeunes entrepreneurs sortis il y a peu de l’ISCAE, et qui, par leur dynamisme, leur enthousiasme et leur volonté de construire de façon innovante apportent beaucoup de fraîcheur et d’esprits neufs sur la scène marocaine. 

Je veux vous dire ma confiance dans le dynamisme du Maroc. Je veux vous dire également combien la solidarité, la proximité entre l’Europe et le Maroc restent un atout pour les uns comme pour les autres.

Une proximité bien sûr entre la France et le Maroc, illustrée par la qualité de leurs relations politiques, économiques et culturelles. Dans une situation internationale changeante et mouvante, ces solidarités sont essentielles.

Le Maroc, plus que jamais, a des atouts. Une plateforme vers l’Afrique, de grands réseaux dans le domaine de l’assurance et de la banque, un esprit d’innovation et de mobilisation et un engagement très fort du Roi Mohammed VI à porter le message et les capacités du Maroc, bien au-delà des frontières. On le voit en particulier sur la scène africaine, avec la réintégration dans l’Union africaine, le processus d’intégration de la CEDEAO et l’élargissement puissant des investissements des Marocains un peu partout sur le continent».  ■

 


Intelligence artificielle : la révolution

Lorsque l’on interroge Jean-Fançois Copé, ancien ministre français du Budget et maire de la ville de Meaux en région parisienne, sur la principale crise qui pèserait sur le monde, voici sa réponse : ce n’est pas une crise, mais une révolution qui va transcender toutes les autres, c’est celle de l’intelligence artificielle (IA). Selon lui, l’irruption de l’intelligence artificielle va transformer notre monde dans des proportions qu’on a encore du mal à imaginer. L’IA va déterminer tous nos choix, notamment politiques, et changer la manière dont sont organisés les Etats.

Jean Staune, fondateur de l'Université interdisciplinaire de Paris, résume assez bien le contexte actuel : «nous sommes face à une crise conceptuelle. Nous sommes en train de changer de paradigme, mais nos outils ne sont pas adaptés».


 

 

A. E.

 

 

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