◆ La pandémie révèle partout dans le monde, et aussi au Maroc, que le renforcement des systèmes de santé est une nécessité pour lutter contre les urgences sanitaires et maintenir la continuité des services.
◆ L’OMS prône une meilleure intégration du privé dans le secteur de la santé pour la couverture santé universelle et l’atteinte des Objectifs de développement durable.
◆ Interview avec Maryam Bigdeli, représentante de l’OMS au Maroc.
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Comment aujourd'hui l'OMS accompagne-t-elle ses pays membres sur le volet sanitaire, plus particulièrement pour la gestion liée à la crise de la Covid-19 ?
Maryam Bigdeli : Depuis l’apparition de ce nouveau virus, l’Organisation mondiale de la santé s’est engagée à combattre la pandémie de la Covid-19 sur tous les fronts et en étroite collaboration avec les Etats membres ainsi qu’avec ses partenaires internationaux, en facilitant et en accélérant la recherche et le développement dans de nombreux domaines, allant de l’identification du virus aux modes de transmission, traitements de la maladie, études épidémiologiques, mise au point des vaccins, etc.
De même, en aidant les pays à se préparer et à répondre au mieux. Plus de 13 formations en ligne et plus de 130 documents d’orientation et conseils de santé publique ont été développés et mis à disposition des décideurs, professionnels de santé et autres partenaires dans plusieurs langues. Mais également en coordonnant la riposte mondiale, notamment en aidant de nombreux pays à accéder aux tests diagnostics, matériels et équipements de laboratoires ou hospitaliers et en communiquant régulièrement à destination de toutes les cibles, scientifiques, décideurs, médias, grand public pour informer sur ce nouveau virus et ses caractéristiques et combattre «l’infodémie» qui accompagne cette épidémie.
F.N.H. : Et de manière générale…
M. B. : Pour ce qui est du rôle de l’OMS en général, le mandat de l’organisation est inscrit dans notre constitution. En résumé, notre rôle est d’agir en tant qu’autorité directrice et coordinatrice dans le domaine de la santé pour les travaux ayant un caractère international. Pour ce faire, nous devons collaborer avec les organismes internationaux, les institutions gouvernementales de la santé, les groupes professionnels…, et fournir une assistance technique à la requête des gouvernements, favoriser les collaborations, stimuler et faire progresser les actions pour lutter contre les maladies, agir sur les déterminants de la santé et améliorer l’état de santé des populations. Il s’agit aussi de fournir des services tels que par exemple des services statistiques, développer des recommandations et des guides et en encourager l’adoption, informer et contribuer à former une opinion publique éclairée sur la santé. C’est aussi ce mandat qui nous guide dans notre action contre la pandémie Covid-19.
F.N.H. : Que révèle, selon-vous, cette pandémie quant à la structure du système de santé au Maroc ?
M. B. : Très tôt au cours de la crise, le Maroc a écouté l’appel urgent de se préparer et a agi rapidement et efficacement, tant dans le secteur de la santé qu’à travers un soutien multisectoriel. Cette action «pangouvernementale» ambitieuse est d’ailleurs citée en exemple dans de nombreux pays. Les effets se sont fait ressen-tir sur la maîtrise de l’épidémie, ce qui a permis de lever le confinement et de reprendre des activités économiques et sociales. Mais la pression sur le système de santé (diagnostic, surveillance, traitement, etc.) est beaucoup plus forte après le déconfinement, car les mouvements de populations reprennent et le virus se transmet plus rapidement. Et pendant que nous luttons contre ce nouveau virus, nous ne devons pas perdre de vue les autres problèmes de santé qui continuent à affecter la population et nécessitent un recours aux soins qui ne peut être retardé. La continuité des services de santé essentiels doit être assurée, et ce double fardeau est un défi pour tous les systèmes de santé. La pandémie révèle partout dans le monde que le renforcement des systèmes de santé est critique pour lutter contre les urgences sanitaires et maintenir la continuité des services. L’OMS pointe depuis des décennies la nécessité de mettre en place un financement pérenne des systèmes de santé, de mobiliser et motiver plus de ressources humaines pour la san-té, et de renforcer tous les piliers du système, comme l’accès aux médicaments, le système d’information sanitaire ou la recherche. Le rapport «Un monde en désordre», publié récemment par le Conseil mondial de suivi de la préparation, met l’accent sur les systèmes et les ressources qui doivent être mis en place pour prévenir les crises sanitaires et bâtir des systèmes de santé résilients. Ce conseil met en garde contre ce qu’il appelle les cycles alternant la panique face à une crise et l’oubli des problématiques de santé une fois que la crise est passée. C’est ce cycle qu’il faut briser en favorisant des investissements soutenus et pérennes dans la santé et la sécurité sanitaire des populations.
F.N.H. : En quoi consiste le mécanisme Covax et quel rôle jouera l'OMS dans la distribution des vaccins anti-coronavirus ?
M. B. : Le mécanisme Covax est une initiative mondiale dirigée par GAVI, CEPI et l’OMS, qui vise à garantir que, quel que soit le vaccin qui s’avèrera sûr et efficace, chaque pays y ait un accès équitable le plus rapidement possible une fois homologué et approuvé. Le mé-canisme Covax donnera aux pays participants l’accès au portefeuille de vaccins candidats le plus vaste et le plus diversifié au monde. Le mécanisme est destiné à faciliter et accélérer la recherche du vaccin, mais aussi d’anticiper les obstacles à sa production et sa distribution, ainsi que les barrières financières ou matérielles que les pays pourraient avoir à y accéder.
F.N.H. : Qui décidera de la manière dont sera déployée la vaccination ainsi que la population cible : les États ou l'OMS ?
M. B. : Le déploiement de n’importe quel vaccin est une prérogative des Etats membres. Les autorités sanitaires décident quels sont les vaccins qu’elles veulent se procurer et quelle approche de vaccination elles veulent adopter. L’OMS peut donner des recommandations, par exemple sur le schéma de vaccination, les procédures standard à mettre en place pour une vaccination efficace et sécu-risée, lorsque ces données seront disponibles et vérifiées. Mais la décision de déploiement revient toujours aux autorités nationales.
F.N.H. : Pour revenir au Maroc, pensezvous que des partenariats public-privé amélioreront davantage le système de santé ? Et quelle pourrait être la nature de ces partenariats ?
M. B. : L’OMS recommande d’explorer les possibilités d’engagement du secteur privé dans le secteur de la santé pour la couverture santé universelle et l’atteinte des objectifs de développement durable. Le secteur privé peut contribuer très efficacement aux objectifs de santé de la population de plusieurs manières. Par exemple, en exerçant une veille sanitaire pour détecter les maladies, en participant au diagnostic et au traitement des maladies, en appliquant les programmes de prévention ou d’éducation à la santé, mais aussi en contribuant à la recherche ou encore en investissant dans l’offre de soins comme la construction et l’équipement de structures sanitaires.
La nature exacte des partenariats pertinents doit être étudiée en fonction du contexte et peut même être adaptée au niveau régional pour être plus spécifique. L’un des domaines de partenariat que nous soutenons activement est le développement de la médecine de famille, une approche qui permet de renforcer l’offre de soins de première ligne, de mettre en œuvre une prise en charge centrée sur le patient, son environnement familial, sa communauté et qui en même temps contribue à une stratégie nationale de soins de santé primaires.