La crise de la dette, prochaine crise mondiale ?

La crise de la dette, prochaine crise mondiale ?

2ème partie : La dette, un piège sans issue

 

Cet article est le deuxième d'une série de trois articles sur la crise de la dette.

 

Par Amine El Bied, MBA, PhD Économiste, Expert en Finance et Stratégie

 

Beaucoup de pays, fragilisés par la crise économique et sanitaire, ont vu leur niveau d’endettement littéralement exploser. On peut craindre dans ce contexte le déclenchement de nouvelles crises de la dette. Nous avons, dans le premier article de cette série, passé en revue les crises de la dette qui ont jalonné l’histoire économique de ces cinquante dernières années. Nous les avons analysées et avons montré que leurs causes sont pratiquement toujours les mêmes.

A la lumière du passé, nous avons identifié les mécanismes en jeu entraînant un pays dans ce type de crises. Nous en tirons à présent des enseignements utiles et identifions des règles de gestion. Mais ces règles restent néanmoins difficiles à appliquer en ces temps de pandémie et le risque de crise de la dette est aujourd’hui bien réel. Bien des pays risquent d’être pris dans le piège ou sont en train d’y tomber. Des voix s’élèvent en faveur de l’annulation de la dette, tandis que d’autres laissent entendre qu’elle est un faux problème. Les arguments sont discutables, nous en montrons les limites. Nous discutons des risques d’une nouvelle crise de la dette, et si l’on peut craindre une future crise planétaire, et à quel horizon.

Des règles de gestion éprouvées

Nous avons vu que les pays qui, dans le passé, ont connu une crise de la dette, étaient doublement fragilisés par un contexte de crise mondiale et leur niveau d’endettement. Ces pays présentent par ailleurs un certain nombre de faiblesses qui, conjuguées entre elles, créent un terrain favorable au déclenchement de la crise. Ces faiblesses sont généralement un déficit budgétaire important, une économie très importatrice avec un grand déficit commercial, ou une dégradation de la balance commerciale liée à un manque de ressources internes, une baisse de la demande extérieure ou une surévaluation de la monnaie nationale. L’endettement public a plus servi à combler le déficit budgétaire qu’à favoriser l’investissement.

La dette, à taux variable, est sensible à la hausse des taux dans un contexte inflationniste. La perte de confiance des créanciers s’est traduite par une hausse de la prime de risque et du service de la dette publique. La défiance des investisseurs étrangers a entraîné une fuite des capitaux. Pour éviter de tomber dans l’engrenage d’une crise de la dette, il convient donc de maîtriser son solde budgétaire par des dépenses publiques raisonnables et des recettes fiscales suffisantes, et de réduire autant que possible l’économie souterraine. Il convient aussi de favoriser les produits locaux pouvant se substituer aux importations et d’augmenter ses ressources agricoles et industrielles. Il est recommandé également de réduire l’endettement, privilégier les emprunts à taux fixe ou utiliser des mécanismes de couverture, et utiliser ces emprunts surtout pour l’investissement. On doit veiller aussi à garder un climat de confiance tant avec les créanciers qu’avec les investisseurs étrangers, en ayant toujours le souci de la transparence et en luttant contre la corruption. Enfin, il est important de trouver un équilibre pour sa monnaie nationale, qu’elle ne soit ni surévaluée, pénalisant alors la compétitivité, ni trop dévaluée, s’accompagnant d’une forte inflation. Toutes les crises historiques de la dette que nous avons citées dans le premier article n’auraient probablement pas eu lieu si ces bonnes pratiques avaient été adoptées.

Les conditions aujourd’hui réunies pour de nouvelles crises de la dette

Mais en ces temps de pandémie, on a bien vu que les règles de gestion sont de plus en plus difficiles à respecter par les États. Les pays ont de plus en plus de mal à maîtriser leur solde budgétaire ou à contrôler leurs niveaux d’endettement. Et non seulement ils sont plus endettés, mais, en plus, leurs capacités de remboursement sont plus réduites. A cause de la crise, les recettes fiscales sont à la baisse, les dépenses pour soutenir l’économie sont à la hausse et les déficits augmentent mécaniquement. Des pays ont vu leur monnaie se déprécier, ce qui a eu pour effet d’augmenter les montants à rembourser des emprunts contractés dans des devises étrangères.

Les pays exportateurs de matières premières ont également été impactés par la baisse de leurs cours. Il y a aussi la menace d’une hausse des taux en cas de retour de l’inflation, qui rendrait la dette insoutenable. Le climat n’est pas à la confiance. La majorité des pays sont aujourd’hui très fragilisés par la crise économique et sanitaire mondiale. Les conditions sont en fait réunies pour le déclenchement de nouvelles crises de la dette. Pour le Fonds monétaire international, c’est même déjà le cas. Selon le FMI, la moitié des pays pauvres et émergents «risque de connaîtreou connait déjà une crise de la dette». Déjà en 2019, et donc avant même la crise sanitaire, le FMI avait estimé que 25 pays pauvres surendettés étaient à «haut risque». Depuis la crise de 2008, la Chine a prêté des montants énormes, des centaines de milliards de dollars, à des États pour la construction de grandes infrastructures. Mais les routes de la soie peuvent mener à des impasses de surendettement. L’empire du Milieu a réalisé que le surendettement des pays à bas et à moyen revenu pouvait entraîner une cascade de défauts de paiement, et constituer donc un grand risque pour l’économie chinoise. Si ces défauts de paiement se réalisaient, ils accentueraient son déficit courant et impacteraient directement les entreprises de construction chinoises.

Les banques chinoises ont donc commencé, depuis maintenant 4 ou 5 ans, à beaucoup moins prêter aux États, et les prêts qu’elles accordent se font à des taux plus élevés. La Chine s’oriente aussi de plus en plus vers des projets numériques pour des raisons stratégiques évidentes, à la fois internes et externes. Les projets numériques répondent à la volonté chinoise de développer les nouvelles technologies en Chine, tout en ayant l’avantage de coûter moins cher que les infrastructures et de provoquer moins de réactions négatives de la part des populations. Mais le problème du surendettement des pays pauvres ou émergents est toujours là, et se fait sentir aujourd’hui plus que jamais. Il y a des pays surendettés dont les remboursements de la dette sont plus de dix fois supérieurs aux dépenses de santé ou de l’éducation. Les ressources publiques, au lieu de bénéficier aux populations, vont aux créanciers. Dans le contexte de la crise sanitaire, les capacités de remboursement des pays surendettés sont encore plus limitées, et le risque de défaut de paiement est devenu presque une réalité.

Une restructuration de la dette, oui; un allègement, peut-être; une annulation, non !

Pour éviter que des défauts de paiement n’apparaissent suite au déclenchement de la crise sanitaire, la Chine et les autres pays du G20 ont été contraints en avril 2020 de suspendre partiellement le remboursement de la dette de 77 pays, pour 14 milliards de dollars sur un total de 32. Les pays du G20 ont accepté ensuite de prolonger jusqu’à juin 2021 la suspension du service de la dette des pays les plus pauvres, puis ont annoncé le 7 avril une extension jusqu’à la fin de l’année, mais en laissant entendre que «ce sera la dernière prolongation». Depuis le début de la crise, il n’a donc jamais été envisagé sérieusement l’annulation pure et simple de la dette, tout au plus un rééchelonnement.

Le FMI a cependant annoncé, début avril 2021, qu’une aide d’urgence avait été approuvée en faveur des 28 pays les plus pauvres pour alléger leur dette et leur permettre de lutter contre les effets de la pandémie. Aujourd’hui, les pays pauvres et surendettés pourraient donc au mieux espérer un allègement de leurs dettes, mais une annulation pure et simple de la dette reste en revanche inenvisageable. D’ailleurs, les signes ne trompent pas. Le remboursement au début de la crise a seulement été reporté à 2022, et même avec un petit surcoût  !

La nature et le nombre élevé des créanciers ne facilitent pas non plus les choses. La dette publique des pays émergents est détenue à moitié par un grand nombre de créanciers privés, rendant plus difficile une quelconque décision commune d’annulation de dette. Et malheur au pays surendetté qui osera demander un quelconque traitement de sa dette; la réaction des marchés sera pénalisante et rendra sa situation financière encore plus difficile. C’est le cas par exemple de l’Ethiopie et de la Zambie qui, suite à cela, ont vu leur note souveraine être dégradée par les agences de notation. De quoi décourager ce genre d’initiatives… Le 7 avril 2021, le Vatican a lancé une campagne pour une annulation de la dette des pays africains, mais il y a peu de chance pour qu’il soit entendu.

Le piège de la dette se referme donc doucement mais sûrement sur les pays surendettés. Même en Europe, il a été évoqué plusieurs fois pour les Etats membres de l’UE la question de l’effacement des dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne. Depuis des années déjà, la BCE achète de la dette des Etats de la zone Euro pour diminuer les taux d’intérêt et doper l’économie. Le phénomène s’est largement accéléré depuis la crise sanitaire. Les Etats européens sont donc endettés auprès de la BCE et il est aujourd’hui demandé, ici et là, l’annulation de cette dette. Des centaines d’économistes de différents pays d’Europe ont en fait appelé à cette annulation, proposant un plan d’investissement européen pour stimuler l’économie, mais Christine Lagarde, la présidente de la BCE, n’a rien voulu entendre, et elle n’est pas la seule  ! L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE reste politiquement très difficile à réaliser.

Certains pays comme l’Allemagne ou l’Autriche s’y opposent fermement. Cette annulation est même d’ailleurs, en l’état actuel des choses, juridiquement impossible. L’obstacle du droit européen est majeur. Les traités sur lesquels repose l’Union européenne l’interdisent, purement et simplement. La question de l’annulation de la dette est donc débattue uniquement sur le terrain économique. Et même sur ce terrain, envisager une annulation pure et simple de la dette est contestable, car cela minerait la crédibilité sur les marchés des pays bénéficiaires de cette annulation. Il y aurait automatiquement une perte de confiance des marchés, et les pays en question ne pourraient plus emprunter, alors qu’ils en auront non seulement besoin, mais en plus ils ont la possibilité de le faire à des taux bas très avantageux.

Un autre argument économique qui ne plaide pas en faveur de l’annulation, est que cette dette fonctionne aujourd’hui presque en circuit fermé, puisque les intérêts reçus par la BCE sont rétrocédés en dividendes aux Banques centrales des pays européens. Il ne faut donc pas compter sur une annulation de la dette. Le piège de la dette est sans issue. Il n’y a aucune échappatoire possible. Surendetté ou pas, il faut payer. Il est, cela dit, prématuré d’envisager aujourd’hui, et ce tant que la crise sanitaire est là, le remboursement de cette dette. Mais rien n’empêche de réfléchir d’ores et déjà aux moyens de la rembourser, comme il faudra inévitablement le faire, quand la croissance sera revenue. Il faudra définir une politique à long terme de dépenses publiques pour l’appliquer dès la fin de la crise sanitaire.

 

 

 

 

 

 

 

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