Abderrahim El Hafidi, Directeur général de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable
La capacité renouvelable prévue à l’horizon 2030 serait de 15,5 GW, dont 5,5 GW en éolien, 6,8 GW en solaire et 3,2 GW en hydraulique.
Abderrahim El Hafidi, Directeur général de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable, aborde dans cet entretien les questions liées à la réforme du secteur de l'énergie électrique nationale, au dessalement de l’eau de mer, aux avantages de l’interconnexion électrique ainsi qu’aux enjeux de l’approvisionnement en eau potable dans le Royaume.
Propos recueillis par : Momar Diao
Finances News Hebdo : Comment l’ONEE promeut le développement des énergies renouvelables au Maroc ?
Abderrahim El Hafidi : En absence de sources d'énergie conventionnelles significatives, le Maroc a vu se mettre en place une stratégie énergétique ambitieuse et engagée, faisant des énergies renouvelables (ENR) le centre de ses priorités.
Dans le cadre de cette stratégie visant à répondre aux besoins énergétiques d’une population jeune et croissante, des plans bien élaborés et des investissements bien optimisés vont permettre au pays de continuer à développer et à diversifier son économie.
En effet, le Maroc dispose de ressources importantes en énergies renouvelables qui peuvent contribuer à satisfaire la demande en électricité et à atteindre d’autres objectifs tels que le renforcement de la sécurité énergétique et le développement durable.
En outre, les coûts d’investissement en technologies à base d'énergies propres, telles que le solaire et l'éolien, ont considérablement baissé dans le monde entier, renforçant ainsi les arguments économiques en faveur du déploiement massif de ces technologies pour permettre d'atteindre des niveaux d’intégration renouvelable plus élevés dans le système électrique national.
C’est ainsi qu’en 2009, le Maroc a adopté la nouvelle stratégie énergétique nationale, fixant les objectifs de la politique énergétique nationale à l'horizon 2030. Le développement des sources d'énergie renouvelables est l'une des composantes essentielles de cette politique, l'objectif étant d'atteindre une part des énergies renouvelables de plus de 52% de la capacité totale du système, prévue d’être installée d’ici 2030.
Afin d'atteindre cet objectif ambitieux en matière d'énergies renouvelables, soit 52% à l’horizon 2030, le Maroc a mis en place en 2010 un pilier important de la réforme de l'électricité à travers une série de politiques et de plans visant à encourager le développement des énergies renouvelables.
Ces dispositions, ayant marqué le début de la libéralisation du marché de l’électricité, permettent l’accès aux réseaux électriques de haute et moyenne tension à tous les producteurs à base d’énergies renouvelables qui vendent leur énergie directement aux consommateurs finaux.
La réforme du secteur de l'énergie électrique au Maroc avait donc pour résultat un modèle de marché hybride dans lequel un marché réglementé, alimenté par l’ONEE comme acheteur unique et les distributeurs historiques, coexiste avec un marché libre où les clients éligibles peuvent s’approvisionner en énergie électrique auprès des producteurs à base d'énergies renouvelables ou par leur propre autoproduction.
L’ONEE, dans le cadre de ses attributions en tant garant de la continuité et de la sécurité d’approvisionnement du pays en énergie électrique, prévoit des investissements importants pour développer et renforcer son réseau électrique et pour assurer la flexibilité nécessaire et la fiabilité requise du système électrique national, notamment en présence d’une intégration massive des énergies renouvelables. A cet égard, l’ONEE oeuvre à mobiliser les capitaux privés et à inciter les investisseurs locaux et internationaux à contribuer au financement du secteur électrique national, à travers des partenariats publics-privés, pour réussir la transition énergétique nationale en énergies renouvelables. Il s’agit notamment des mesures d’accompagnement axées sur :
• Le développement des moyens de stockage et des moyens de flexibilité renforçant la fiabilité du système et assurant la flexibilité nécessaire au développement de la production à base des énergies renouvelables (notamment solaires et éoliennes) telles que les centrales à gaz, les stations d’épuration d’eaux usées (STEP) et les systèmes de stockage par batteries;
• La mise en place d’une plateforme de gestion et de pilotage à distance, dédiée aux installations de production renouvelable;
• Le renforcement potentiel des interconnexions avec les pays voisins;
• L’amélioration du réseau pour le raccordement et l’évacuation de la production des énergies renouvelables jusqu’aux centres de consommation, notamment le réseau Sud par la technologie du courant continu haute tension ou HVDC (~ 1 500 km).
F.N.H. : Quel regard portez-vous sur l’évolution des énergies renouvelables dans le mix énergétique du Royaume (autour de 34%) ?
A. E. H. : Le système électrique actuel dispose de centrales renouvelables d’une capacité installée de 3 700 MW dont 1 220 MW en éolien, 710 MW en solaire et 1 770 MW en hydraulique, ce qui représente 35% de la capacité totale installée à fin 2019.
L’évolution du mix énergétique s’inscrit dans la stratégie nationale visant la sécurisation de l’approvisionnement du pays en énergie électrique et la promotion des énergies renouvelables.
A ce titre, l’intégration optimale du plan ENR dans le processus d’optimisation global du programme d’équipement à l’horizon 2030 va permettre le dépassement de l’objectif national, fixé à 52%.
En effet, la capacité renouvelable prévue à l’horizon 2030 serait de 15,5 GW dont 5,5 GW en éolien, 6,8 GW en solaire et 3,2 GW en hydraulique (incluant les stations de transfert d’énergie par pompage). Cette capacité renouvelable dépasserait largement 60% par rapport à la puissance totale, prévue d’être installée à l’horizon 2030. A noter également que, à cet horizon, la contribution des énergies renouvelables à la satisfaction de la demande nationale en énergie électrique dépasserait le niveau de 50%.
F.N.H. : Qu’est-ce qui justifie l’engagement de l’ONEE dans le domaine du dessalement de l’eau de mer ? Et quels sont les avantages de cette technologie ?
A. E. H. : Permettez-moi tout d’abord de rappeler que la planification et la production de l’eau potable à l’échelle du Royaume figurent parmi les missions majeures de l’ONEE.
En effet, à travers un processus de planification éprouvé et dynamique, et une coordination étroite avec les gestionnaires des ressources en eau (Département de l’Eau relevant du ministère de l’Equipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau et les Agences de bassins hydrauliques) d’une part, et les différents opérateurs dans la distribution de l’eau potable, d’autre part (l’ONEE étant lui-même le premier distributeur d’eau potable au regard du nombre de villes et localités où il assure la gestion de ce service), l’alimentation en eau potable de l’ensemble des villes du Royaume est assurée, et ce malgré les périodes de sécheresse récurrentes que connaît notre pays.
En outre, l’alimentation en eau potable du milieu rural a connu un accroissement substantiel en passant d’un taux d’accès de 14% en 1994 à 97,4% en 2019.
Ces résultats ont été rendus possible grâce à des investissements conséquents en matière de production d’eau potable. En effet, l’ONEE dispose aujourd’hui d’une capacité de production de 74,7 m3/s et a produit durant l’année 2019 un volume de 1,2 milliard de m3. Cette production est assurée au moyen de 80 stations de traitement des eaux superficielles mobilisées au niveau des barrages, de 6 stations de dessalement d’eau de mer et d’un nombre considérable de forage contribuant à plus de 30% de la production globale de l’ONEE.
S’agissant maintenant de la question du dessalement de l’eau de mer, cette technologie représente un moyen de production d’eau potable, qui comme rappelé précédemment, est l’une des missions essentielles de l’ONEE. De ce fait, et compte tenu de la répartition inégale des ressources en eau conventionnelles à travers le pays, le recours au dessalement de l’eau de mer est incontournable pour garantir une production en adéquation avec la demande en eau potable au niveau des zones souffrant d’une insuffisance ou de l’absence de ressources en eau conventionnelles.
A ce titre, je rappelle que la première unité de dessalement d’eau de mer a été réalisée par l’Office, il y a 43 ans, à Boujdour en 1977. Depuis, d’autres unités de dessalement ont été construites ou étendues pour atteindre aujourd’hui, 6 stations de dessalement avec une capacité globale qui avoisine les 54 000 m3/j.
D’autre part, la multiplication des cycles de sécheresse sous les effets des changements climatiques et l’accroissement de la demande en eau potable consécutive au développement socioéconomique que connaît notre pays, rendent le recours au dessalement de l’eau de mer nécessaire dans des zones qui étaient alimentées exclusivement à partir des ressources en eau conventionnelles (Agadir, Sidi Ifni, Al Hoceima).
Globalement, l’Office réalise actuellement 4 stations de dessalement pour renforcer et sécuriser l’alimentation en eau potable des villes d’Agadir, Laâyoune, Sidi Ifni et Tarfaya avec une capacité cumulée de 186 000 m3/j d’eau potable.
A ce sujet, il faut savoir que la station de dessalement d’Agadir, dont l’état d’avancement a été présenté le 13 février 2020 au Roi, lors de la glorieuse Visite Royale à Agadir, est en cours de réalisation en mutualisation avec le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts dans le cadre d’un partenariat public-privé. La capacité globale de cette station est de 275 000 m3/j en période de démarrage dont 150 000 m3/j pour l’eau potable et 125 000 m3/j pour l’irrigation, qui atteindra 400.000 m3/j à terme répartie à parts égales entre les deux partenaires.
Le dessalement de l’eau de mer présente des avantages importants, notamment au regard des aléas liés aux effets des changements climatiques. Il garantit une sécurité de l’alimentation en eau potable indépendamment de la pluviométrie, d’autant que notre pays dispose de 3.500 km de côtes et que de nombreuses agglomérations côtières connaissent un développement important occasionnant un accroissement significatif de la demande en eau potable.
Ainsi, et conformément aux Hautes orientations du Souverain quant à l’usage de la technique de dessalement en tant qu’ultime voie de recours, le développement d’unités de dessalement pour l’alimentation en eau potable de zones littorales permet de réorienter les ressources en eau conventionnelles vers les zones continentales où le dessalement n’est pas envisageable.
Néanmoins, il ne faut pas occulter le coût élevé du dessalement de l’eau de mer et sa forte consommation d’énergie. En effet, et malgré les évolutions technologiques, le dessalement de l’eau de mer demeure une technologie relativement chère par rapport aux techniques conventionnelles.
Par conséquent, il n’est fait recours à cette technologie qu’en cas d’absence d’alternatives à partir des ressources en eau conventionnelles. Parallèlement, les technologies les plus évoluées dans ce domaine sont utilisées pour réduire au maximum le coût du m3 d’eau dessalée, notamment à travers l’utilisation des techniques de pointe pour réduire la consommation énergétique et en couplant le dessalement à des sources de production d’énergie renouvelables.
F.N.H. : Quelle est la contribution de l’ONEE pour permettre au Maroc de relever les défis majeurs en matière d’approvisionnement en eau potable.
A. E. H. : Il y a lieu de prime abord de souligner que l’ONEE fait partie des plus grands donneurs d’ordres publics au Maroc intervenant dans des secteurs d’utilité publique stratégiques à savoir l’électricité, l’eau potable et l’assainissement liquide. L’Office est ainsi un acteur territorial de premier plan car il couvre l’intégralité des régions du Royaume avec une forte présence en milieu rural. De ce faite, il est considéré comme un vecteur de création de richesses et de valeur ajoutée locales en tant que véritable acteur majeur de développement territorial.
Pour atteindre les objectifs fixés par les pouvoirs publics, ce ne sont pas moins de 160 milliards de DH qui ont été investis par l’ONEE dans ces secteurs durant la période 1999-2019 dont 57,8 milliards de DH pour l’eau potable et l’assainissement.
Ainsi, en matière d’eau potable, les investissements réalisés par l’Office durant ces deux dernières décennies se sont élevés à 46,1 milliards de dirhams dont 31,3 milliards de dirhams destinés à la production et à la dis
tribution d’eau potable. Cela a permis l’équipement d’un débit supplémentaire dépassant 33 m3/s et portant la capacité globale de production de l’Office à 74,7 m3/s.
Les eaux produites qui ont atteint 1.200 millions de m3 en 2019, sont acheminées jusqu’aux différentes localités du pays au moyen de systèmes adducteurs dont le linéaire avoisine les 12.900 Km.
Ces efforts se sont accompagnés également par la réalisation de réseaux de distribution au niveau des 726 localités où l’Office gère le service de distribution d’eau potable permettant ainsi la desserte à domicile de 2,3 millions d’abonnés. Concernant le milieu rural, celui-ci a bénéficié d’un intérêt particulier. Les 20 dernières années ont vu le taux d’accès à l’eau potable en milieu rural passer de 38% en 1999 à 97,4% en 2019 avec un investissement de 14,8 milliards de dirhams.
Pour relever les défis futurs de l’approvisionnement en eau potable, et dans le cadre du programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation couvrant la période 2020-2027 signé devant le Souverain, l’Office a prévu une enveloppe d’investissement de 38,7 milliards de dirhams.
Cette enveloppe vise :
• Le développement de l’offre pour un coût d’environ 25 milliards de dirhams à travers la réalisation de nombreux projets de renforcement et de sécurisation de l’alimentation en eau potable dont près de 3,8 milliards de dirhams à travers des projets de dessalement d’eau de mer. Outre les projets de dessalement en cours de développement et cités précédemment, de nouveaux projets concerneront les villes de Safi, Dakhla, et l’extension des stations de Sidi Ifni et de Tarfaya;
• La gestion de la demande, l’économie et la valorisation de l'eau pour un coût de 5,4 milliards de dirhams dont 4,7 milliards de dirhams pour l’amélioration des rendements des installations d'eau potable et 0,7 milliard de dirhams pour l’augmentation de l’autonomie de réserve en eau potable.
• Le renforcement de l'approvisionnement en eau potable en milieu rural pour un coût de 8,3 milliards de dirhams.
F.N.H. : Quelle sera la valeur ajoutée des énergies renouvelables dans le cadre des interconnexions avec l’Espagne ou d’autres pays africains éventuellement ?
A. E. H. : Le développement des interconnexions entre les systèmes électriques contribue à améliorer l’efficacité économique et à réaliser des échanges d’énergie qui sont bénéfiques à triple titre :
• Bénéficier de la complémentarité de la demande et des parcs de production;
• Pallier la variabilité des énergies renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque) par le foisonnement et réduire les coûts liés à leur intégration en mutualisant les réserves et les sources de flexibilité;
• Faciliter l’opération des réseaux par la mise en oeuvre d’une assistance mutuelle des gestionnaires de réseaux dans le cas d’une défaillance technique brutale, et d’un réglage commun de la fréquence.
La valorisation des ressources en énergies renouvelables et leur intégration dans les systèmes électriques nécessitent le renforcement de la flexibilité du système électrique, et ceci peut être apporté moyennant le renforcement des interconnexions.
Aussi, la baisse soutenue des coûts d’investissement des énergies renouvelables, la mutualisation des réserves ainsi que le foisonnement des sources de production renouvelables entre les réseaux interconnectés, à l’échelle régionale, conduit à promouvoir des opportunités d’échange d’énergie entre les pays et à la réduction du coût de l’énergie.
C’est dans ce sens que le déploiement massif des énergies renouvelables contribuera au développement et au renforcement des interconnexions entre les pays voisins.
C’est dans cette perspective aussi que l’ONEE prévoit le renforcement de l’interconnexion Maroc-Espagne par la construction d’une troisième ligne sous-marine ainsi que l’examen de l’opportunité d’une interconnexion du Maroc avec les pays de la CEDEAO via la Mauritanie (Projet en perspective).