Le Chef de gouvernement et les syndicats auraient abouti à un nouveau deal à l’issue du dernier round de dialogue social. Au sommet des priorités figure la réforme des retraites, principalement celle de la Caisse marocaine des retraites (CMR).
En contrepartie de leur accord, les syndicats auraient obtenu certaines concessions, notamment le relèvement de la pension minimale de 1.000 à 1.500 DH. Dans cet entretien, le Directeur chargé des dossiers spéciaux du Pôle prévoyance de la CDG, nous parle de l’impact que ces éventuelles «mesures» pourraient avoir sur la viabilité du régime RCAR. L’occasion également de revenir sur la situation de ce régime et de sa contribution dans la réforme globale des retraites au Maroc.
Finances News Hebdo : En contrepartie de l’adhésion des syndicats au projet de réforme des retraites, le gouvernement aurait accepté de relever le montant de la pension minimale de 1.000 à 1.500 DH. Quel serait l’impact d’une telle mesure sur la viabilité du régime RCAR ?
Ahmed Kherrazi : Le relèvement de la pension minimale garantie de 1.000 à 1.500 DH aura pour effet une amélioration des prestations au profit de quelque 22.000 personnes. Quant à l’impact sur l’équilibre du régime RCAR, il reste insignifiant dans la mesure où l’horizon de viabilité (date d’épuisement des réserves), qui s’étale jusqu’à 2041, ne va diminuer que de cinq mois. L’assise actuariale restera également solide. En effet, le coût additionnel d’une telle mesure avoisinerait un milliard de dirhams sur une durée de 50 ans. Nous pensons que cette mesure est raisonnable, sachant que les syndicats plaident pour un alignement de la pension minimale sur le niveau du SMIG.
F.N.H. : Pour pouvoir absorber ce coût additionnel, ne seriez-vous pas amenés à réajuster les paramètres du régime, notamment en relevant le niveau des cotisations de vos adhérents ?
A. Kh. : L’impact est faible et reste insignifiant. Par conséquent, cela ne nécessite pas une réforme paramétrique. Le régime RCAR est viable jusqu’à l’horizon 2041.
F.N.H. : Le gouvernement et les syndicats semblent s’accorder sur l’urgence de réformer le régime CMR, jugée prioritaire. Quid du RCAR, sachant que ce régime serait amené, à terme, à fusionner avec celui de la CMR, conformément au schéma-cible des scénarios de la réforme ?
A. Kh. : L’un des schémas auxquels ont abouti les travaux de la Commission technique chargée de la réforme des retraites consiste à mettre en place un système bipolaire (public-privé). Celui réservé au secteur public devrait regrouper, à la fois, la CMR et le RCAR. On estime entre trois et cinq ans la faisabilité de ce scénario.
En attendant d’y arriver, les salariés du secteur public doivent être logés à la même enseigne, en harmonisant les paramètres techniques de la CMR et du RCAR.
F.N.H. : L’unification à terme des deux régimes du public exigerait donc une réforme du RCAR, au même titre que la CMR ?
A. Kh. : Certes, l’urgence s’impose beaucoup plus du côté de la CMR. Il faut éteindre le feu. Mais nous estimons que le RCAR a également besoin d’une réforme au regard de sa vulnérabilité sur le plan démographique. Plusieurs facteurs de fragilité guettent le RCAR. En effet, de par la loi, les affiliés titularisés de la fonction publique quittent le RCAR vers la CMR, provoquant un manque à gagner pour le régime. Notons aussi la montée en puissance des charges, qui tend à dégrader l’équilibre démographique du RCAR : le rythme d’accroissement de l’effectif des pensionnés dépasse celui des cotisants.
Par ailleurs, certaines organisations syndicales pensent que le RCAR, comparé à la CMR, est un régime «avare», offrant des prestations relativement maigres. Car, effectivement, la réglementation n’est pas la même entre les deux régimes. A titre d’exemple, la CMR liquide les pensions sur la base du dernier salaire, au moment où le RCAR retient comme référence le salaire moyen de carrière revalorisé.
F.N.H. : Le calendrier que le gouvernement et les syndicats auraient arrêté lors du dernier round de dialogue social prévoit de soumettre le texte de loi réformant la CMR au vote lors de la prochaine session d’automne ? Quid du RCAR ?
A. Kh. : Nous n’avons pas été saisis de manière officielle par les pouvoirs publics quant à une éventuelle réforme du régime RCAR. Mais à chaque fois que l’occasion se présente, nous n’hésitons pas à soulever le besoin de réforme du régime. Certes, l’horizon de viabilité est lointain. Mais les choses évoluent vite. Nous avons constaté récemment une montée en puissance des charges, due notamment à l’absorption des caisses internes de retraite de certaines entreprises et établissements publics. Voilà pourquoi le RCAR, au même titre que la CMR, a besoin d’une réforme ne serait-ce qu’en modifiant le paramètre de l’âge de départ à la retraite. Le repousser maintenant à 62 ans, puis à terme à 65 ans, ne coûte rien, ni à l’Etat ni aux adhérents cotisants.
F.N.H. : Quel regard portez-vous sur la réforme des retraites au Maroc, tous régimes confondus ?
A. Kh. : La pérennisation de la réforme des retraites passe par la généralisation de la couverture à l’ensemble de la population. On a beau modifier les paramètres techniques des régimes, encore faut-il étendre le filet de protection à l’ensemble de la population active. Force est de rappeler que cinq à six millions de Marocains ne bénéficient d’aucune couverture retraite à ce jour. Puis, une loi-cadre régissant les retraites s’impose. Enfin, nous devons réfléchir à une instance d’étude et de concertation, à l’instar du Conseil d’orientation des retraites en France.
Propos recueillis par Wadie El Mouden