Xavier Reille, directeur de la Société financière internationale (IFC) pour la région Maghreb.
La crise induite par la propagation du coronavirus offre aussi des opportunités à saisir pour le Maroc.
Le Royaume peut gagner des parts de marché en sortant de la crise plus vite et relativement moins touché que les autres économies.
Propos recueillis par Momar Diao
Finances News Hebdo : Que pensez-vous de certaines prévisions qui tablent sur un taux de croissance fortement impacté par le coronavirus et la sécheresse pour l'année en cours ?
Xavier Reille : Cette pandémie a engendré une crise inédite, qui a un impact mondial : une crise de l’offre avec la plupart des unités de production à l’arrêt, et une crise de la demande avec une chute drastique de la demande due au confinement.
Tous les pays sont affectés, mais les pays les mieux préparés avec une saine gestion macroéconomique, un bon système d’aide sociale et une économie diversifiée comme le Maroc s’en sortiront mieux.
Je note que les agences de notation Moody’s et Fitch confirment la notation Investment Grade du Maroc. Le Maroc a également la possibilité de mobiliser des appuis importants de ses partenaires bilatéraux et multilatéraux et d’utiliser sa ligne de précaution (LPL) du FMI de 3 milliards de dollars pour répondre rapidement aux effets de la crise (entretien réalisé peu de temps avant l’annonce du tirage du Maroc sur la LPL ndlr).
La baisse du PNB pour la région MENA sera significative. Toutefois, il est difficile de faire des estimations à l’heure actuelle vu la volatilité de la crise.
Mais la région MENA sera l’une des plus touchées, d’autant plus que les pays producteurs de pétrole de la région font face à un double choc avec la chute des cours du baril.
F.N.H. : Jusque-là, d'après vous, l'État marocain a-t-il pris les bonnes décisions pour lutter contre la pandémie et ses incidences sur l'économie nationale ?
X. R. : La crise actuelle a plusieurs dimensions : médicale, sociale et économique. La réponse du Maroc a été exemplaire et reconnue par la communauté internationale.
Pour garantir la sécurité sanitaire des populations, le gouvernement marocain a mis en place un confinement strict dès le début de la pandémie.
Le Royaume a aussi augmenté la capacité de traitement du système hospitalier et sécurisé l’approvisionnement en chloroquine et d’autres fournitures médicales, afin de permettre au système de santé de faire face à la situation.
Mais c’est sur le plan social et de l’unité nationale que la réponse est la plus impressionnante. Le Fonds Covid-19 lancé à l’initiative de Sa Majesté le Roi a déjà mobilisé plus de 30 milliards de dirhams des différentes composantes de la société et les mesures d’aide sociale de grande ampleur vis-à-vis des ménages vulnérables et des salariés du secteur privé, qui sont en arrêt temporaire de travail, sont pertinentes.
Cette crise offre aussi des opportunités à saisir. Ainsi, le Maroc peut gagner des parts de marché en sortant de la crise plus vite et relativement moins touché que les autres économies. Il peut bénéficier des effets de relocalisation des chaînes d’approvisionnement (Supply Chains) internationales sur son territoire situé à 12 km de l’Europe.
Il peut aussi moderniser son système d’éducation et de santé en s’appuyant sur le digital.
F.N.H. : Selon vous, où mettre l'accent afin de permettre à l'économie nationale d'amortir le choc lié au coronavirus ?
X. R. : Les mesures de sauvegarde des entreprises sont les plus importantes pour le moment. L’effort des banques et de l’Etat pour permettre aux entreprises de survivre sera déterminant. Mais il faut aussi mettre en place des mesures de protection pour les TPME qui sont très affectées ainsi que les travailleurs du secteur informel.
Il est particulièrement important que les grandes entreprises payent leurs factures à leurs fournisseurs PME pour éviter des faillites en chaîne.
Enfin, le programme de transferts sociaux de grande ampleur en faveur des populations les plus vulnérables pourrait se faire à travers des moyens de paiement digitaux. Le gouvernement marocain considère cette option car cette crise offre la possibilité d’accélérer le déploiement des paiements digitaux au Maroc.
F.N.H. : Enfin, dans quelle mesure l’IFC peut-elle aider le Royaume à faire face à la crise sanitaire qui prend de l'ampleur ?
X. R. : Nous travaillons en partenariat avec la Banque mondiale pour aider le Royaume du Maroc à surmonter cette crise difficile. Nous pouvons intervenir à trois niveaux.
Nous partageons avec le gouvernement et le secteur privé, notamment la CGEM avec laquelle nous avons un partenariat, nos expériences internationales pour lutter contre les effets de la crise, à la fois sur le plan économique et sur le plan social.
Nous voulons soutenir les banques et le secteur de la microfinance afin d’aider les TPME qui sont particulièrement touchées. Nous soutenons aussi nos clients et les entreprises marocaines avec lesquels nous travaillons pour les aider à traverser cette crise. Et nous pouvons également travailler avec les régions du Maroc pour les aider à mieux répondre aux effets de la crise Covid-19 dans les territoires.
L’IFC s'inscrit dans le cadre de la réponse du groupe de la Banque mondiale à cette crise avec un programme de 14 milliards de dollars de réponse rapide. Dans cette enveloppe, IFC investira 8 milliards de dollars pour aider les entreprises privées des pays en voie de développement touchées par la pandémie à préserver les emplois et leurs activités.
Avec plus de 50 ans de présence au Maroc, l’IFC reste plus que jamais partenaire du Royaume du Maroc pour l’aider à traverser cette crise. ◆