Accord de pêche Maroc-UE : Le langage ambigu de l'Union européenne

Accord de pêche : Le langage ambigu de l'Union européenne

 

- La Cour de justice de l’Union européenne estime que l’accord n’est pas applicable au Sahara.

- Réaction policée du Maroc face à cette décision davantage politique que juridique.

- Le malaise est palpable, compte tenu du langage ambigu de l’UE.

 

 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée le 27 février sur la validité de l’accord de pêche Maroc-UE. Dans son arrêt, elle estime que «l’accord de pêche conclu entre l’UE et le Maroc est valide dès lors qu’il n’est pas applicable au Sahara occidental et aux eaux adjacentes à celui-ci».

«... L’inclusion du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application de l’accord de pêche enfreindrait plusieurs règles de droit international général applicables dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, notamment le principe d’autodétermination», ajoute la CJUE.

Cette décision fait écho à un précédent arrêt par lequel la CJUE avait jugé que «les accords d’association et de libéralisation conclus entre l’Union et le Maroc devaient être interprétés, conformément au droit international, en ce sens qu’ils n’étaient pas applicables au territoire du Sahara occidental».

Si la CJUE a clos un chapitre juridique, elle a tout autant ouvert un débat géopolitique très polémique, d’autant que, avant cet arrêt, plusieurs juristes avaient mis en garde la Cour de ne pas outrepasser ses prérogatives strictement juridiques en empiétant sur le politique.

Et c’est pourtant ce qu’elle a fait. «Nous l’aurons compris, derrière cette obscure querelle de poissons, il s’agit de faire juger par une Cour de justice que la présence du Maroc au Sahara est contraire au droit international et notamment à celui des peuples à l’autodétermination. Il s’agit donc d’une question bien plus politique que juridique», a d’ailleurs récemment écrit le juriste français Jean- Jacques Neuer, dans un article publié sur le site Mediapart.

A travers son verdict, la CJUE semble remettre en cause une donne fondamentale sur laquelle le Maroc ne tolère aucun compromis : la marocanité du Sahara. Il semble dès lors utile de rappeler, à ceux dont la mémoire s’use avec le temps, ces propos du Roi Mohammed VI. «(…) Lorsque le Maroc a ouvert la porte à la négociation pour trouver une solution définitive au conflit artificiel suscité autour de son Sahara, ce choix ne portait et ne portera en aucune manière sur sa souveraineté et son intégrité territoriale. (…) Le Maroc n’a aucun complexe pour négocier avec qui que ce soit, aussi bien directement que par le biais de la médiation onusienne. Mais là, il faut insister sur le fait que la souveraineté du Maroc sur l’ensemble de son territoire est immuable, inaliénable et non négociable», avait notamment dit le Souverain dans son discours du 6 novembre 2017.

 

Accord fortement compromis

 

La décision de la CJUE compromet-elle la signature d’un nouvel accord de pêche Maroc-UE ? A l’évidence oui. Car il est difficile d’imaginer que les autorités marocaines puissent souscrire à un accord qui exclut, de fait, le Sahara marocain. Pour autant, les deux parties ont décidé de poursuivre leur partenariat stratégique. Dans une déclaration conjointe de la haute-représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, Federica Mogherini, et du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Nasser Bourita, les deux parties affirment avoir «pris connaissance de l’arrêt rendu ce jour par la Cour de Justice de l’Union européenne au sujet de l’accord de pêche entre le Maroc et l’Union européenne». Et se disent «déterminées à préserver leur coopération dans le domaine halieutique». Une réaction policée, pour ne pas dire très diplomate, qui cache mal le malaise suscité par l’arrêt de la CJUE.

Mais, visiblement, le gouvernement marocain préfère voir le verre… à moitié plein. La réaction du ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts en témoigne largement. Aziz Akhannouch préfère plutôt insister sur la validité de l’accord de pêche, tout en mettant l’accent sur le fait que la CJUE n’a pas suivi l'avis de son avocat général qui demandait l'interdiction de la pêche. Et même si, comme il le dit, la Cour ne «donne aucun rôle au Polisario dans ce dossier», Akhannouch reconnaît néanmoins, du bout des lèvres, qu’il y a des zones d’ombre et demande à ce que les choses soient plus claires à l'avenir, en apportant plus de précisions sur les provinces du sud dans le cadre du futur protocole de pêche. Car, explique-t-il, les coordonnées précisées dans l'actuel accord ne sont pas assez définies pour intégrer les régions du sud d'après l'arrêt.

Un arrêt qui confirme, une fois de plus, l’incapacité de l’Union européenne à parler d’une seule voix. Ses tergiversations  récurrentes jettent le trouble sur ses relations avec le Royaume et incitent surtout à se poser une question : que veut l’UE ? Une interrogation légitime quand on sait qu’il y a peu, elle louait de façon jubilatoire les retombées socioéconomiques très positives de l’Accord de pêche avec le Maroc (voir encadré) et recommandait vivement de le renouveler.

Le Maroc et l’UE ont en tout cas jusqu’à juillet prochain, date de l’expiration du présent accord, entré en vigueur en 2014 pour une durée de 4 ans, afin de trouver une solution.

Rappelons que cet accord donne accès aux navires européens à la zone de pêche atlantique du Royaume, en échange d’une contrepartie financière de 30 millions d’euros par an financés par l’UE et 10 millions d'euros comme contribution des armateurs.

Le premier accord de pêche entre le Maroc et l’UE date de 1988. En définitive, de tout cela, il faut tirer les bonnes conclusions. Et celle qui est la plus saillante est que l’UE tient un langage très ambigu face à une diplomatie marocaine davantage dans la réaction que l’action. Car comment expliquer qu’une ONG (Western Sahara Campaign) insignifiante, militant pour une entité fantoche non reconnue par l’UE, ait pu arriver à remettre en cause un accord aussi important conclu entre un Etat souverain et le tout puissant bloc européen ! ■

 


Les raisons du satisfecit de l’UE

Dans un rapport publié mi-décembre dernier par la direction des Affaires maritimes relevant de l’exécutif européen, l’UE estime que l’accord s’est révélé «efficace dans l’atteinte de son objectif de durabilité de l’exploitation» et de soutien au développement durable du secteur.

Cet objectif a été concrétisé grâce notamment à la contribution de l’appui sectoriel à la mise en œuvre de projets de la stratégie Halieutis et à l’embarquement de 200 marins marocains à bord des navires de pêche européens (près de 1.000 contrats d’embarquement conclus).

Selon le rapport, les premières estimations des retombées socioéconomiques de l’appui sectoriel font déjà apparaître la création de 180 emplois directs et l’amélioration des conditions de travail d’environ 59.000 personnes opérant dans le secteur ou ses activités connexes, précisant que 75% des impacts socioéconomiques sont au bénéfice des régions de Dakhla-Oued Eddahab et de Laâyoune- Boujdour-Sakia El Hamra.

S’agissant des retombées économiques à l’avantage de l’UE, le rapport évoque un bon retour sur investissement pour l’Union, ce qui signifie que chaque Euro investi, est estimé supporter la création de 2,78 euros de valeur ajoutée totale (directe et indirecte) pour le secteur européen de la pêche. A rappeler que le rapport d’évaluation de décembre 2010 estimait qu’un Euro investi par l’UE ne générait que 0,65 euros de valeur ajoutée totale. ■


 

 

 

Par D. William

 

 

 

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