Election de la Chambre des représentants : Quels enjeux du vote du 7 octobre ?

Election de la Chambre des représentants : Quels enjeux du vote du 7 octobre ?

Sehimi

Quelque 15,7 millions d’électeurs sont appelés à se rendre aux urnes le 7 octobre prochain.

Un vote de plus ? Le sens et la portée de cette consultation vont bien au-delà; ils emportent en effet des conséquences «structurantes» sur la transition démocratique à l’ordre du jour. Et d’abord celle-ci : quel sera le chiffre des votants ce jourlà ?

• Le 25 novembre 2011, pour ce même scrutin législatif, l’on n’avait enregistré qu’un modeste taux de participation de 45,40%. Ce pourcentage doit être mis en perspective avec deux autres données : celle des Marocains en âge de voter de l’ordre de 21,6 millions de personnes selon une enquête du HCP de 2014 ; et celle des inscrits mais qui ont boudé les urnes. Cela donne en gros trois blocs de citoyens : ceux qui ne sont pas inscrits, ceux qui le sont mais qui n’ont pas voté, et enfin ceux qui ont accompli leur devoir civique. Le 7 octobre, avec un potentiel de corps électoral de 23 millions de citoyens, la probabilité est forte de voir ces trois blocs se reproduire, même avec des nuances à la marge. A qui profite ce phénomène ? Plus au PJD qu’aux autres partis. L’examen affiné de la cartographie électorale de 2011 et de 2015 montre que le fait abstentionniste bénéficie surtout à la formation islamiste. Pourquoi ? Parce que son électorat est motivé, discipliné, et qu’il est pratiquement attaché à l’expression de son choix dans les urnes, le jour venu. Dans ce même registre de la participation électorale, quel sens donner au bulletin des uns et des autres ? Du côté du PJD, c’est sans nul doute un vote d’adhésion. Ce même état d’esprit n’est pas absent du côté des autres formations, mais a-t-il la même teneur et la même ferveur ? En tout cas, pour ce qui est des partis d’opposition, prévaut le vote-sanction. C’est en effet la censure du bilan de ce gouvernement dirigé par Abdelilah Benkirane qui est mise en avant. Les griefs sont nombreux et relèvent de ce que l’on peut appeler l’inachevé. Référence est faite à de grandes réformes pratiquement en panne : lutte contre la corruption, moralisation de la vie publique, réforme fiscale, éducation, justice, … Si à son actif des mesures diverses ne sont pas à minorer ni à évacuer - caisse de compensation, régime des caisses de retraite, social, … - le compte d’exploitation, si l’on ose dire, reste largement sujet à caution. Sans esprit partisan, il vaut mieux de noter que le mémorandum GPBM – CGEM - Bank Al-Maghrib qui a été adressé au Chef du gouvernement, à la mi-juin, témoigne de ce passif pour ce qui est du chômage, de la récession économique et de la stagnation des investissements. Un appel pour un nouveau modèle économique adossé à une série de ruptures autour de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques. Un argumentaire s’apparentant à un constat d’échec et qui ne pouvait que faire le miel des partis d’opposition. Aux électeurs de se prononcer et de juger … Cela dit, le rendez-vous du 7 octobre ne va-t-il pas plus loin que cela ? Doit-il en effet être circonscrit à choisir entre des programmes de 32 partis en lice ? Déjà, ce chiffre d’une trentaine pose problème : y a-t-il donc tant de différences au sein de cette grande palette recouvrant pratiquement tout le spectre des inclinations, des sensibilités et des positions ?

Rien n’est moins sûr. Pour l’heure, on peut présenter une typologie de ces programmes électoraux comme suit :

• Pour une bonne vingtaine de petites formations, l’on n’a pas affaire véritablement à autre chose qu’à un catalogue de pétitions de principe, de professions de foi et d’annonces ; une sorte de «copier-coller» de tout ce qui peut se dire à ce sujet.

• Pour d’autres, des indications parfois trop généralistes qui témoignent soit d’une impréparation soit d’une frilosité. Réclamer la promotion de la culture amazighe et la priorité à accorder au monde rural

- comme le demande le MP de Mohand Laenser - paraît bien décalé. Enfin, six partis à vocation plus gouvernementale - aujourd’hui ou demain ? - se sont efforcés à entrer dans le détail. Ainsi, le PI défend 556 mesures, l’USFP 555, le PJD 205 : comment l’électeur de base va-t-il s’y retrouver ? Pour contourner cette difficulté, l’UC de Mohamed Sajid s’est replié sur une charte pour ne pas rejoindre le lot des partis qui se distinguent surtout par des promesses irréalistes. En affinant un peu plus, chacun de ces partis prône un référentiel propre : un contrat pour la dignité (PI), un contrat économique et social (USFP), un modèle économique alternatif (PAM), continuité et réforme (PJD), «Ma’koul» (PPS). Autant de programmes largement convergents qui ne permettent pas de donner identité, lisibilité et visibilité à ces partis. Mais la confusion va encore plus loin. S’il faut se féliciter que les promesses de 2011 ne soient pas réitérées (7% de croissance, 8% de taux de chômage …) il reste que le réalisme qui s’installe dans les programmes des partis frappe par son mimétisme. A croire qu’ils se sont tous plagiés pour avancer ces chiffres : 5% de croissance, création de 150.000 emplois par an, inflation de 2%, déficit budgétaire maîtrisé à 3%, abaissement de la fiscalité (IS surtout et réexamen de l’IR), taux d’investissement de 36% …

Cependant, des formations s’efforcent d’innover :

SMIG augmenté de 30% ; programme de start-up de 500 MDH, TVA à deux taux, promotion de l’industrie à hauteur de 20% du PIB au lieu des 14% actuels … A noter encore que la question sociale et culturelle est davantage priorisée (PAM, USFP) permettant ainsi un débat de fond sur l’efficience et l’équité des allocations de ressources publiques. Tous ces programmes supportent cependant au moins deux interrogations. La première est celle du «chiffrage» Rien n’est précisé en effet sur les conditions et les modalités de leur financement. Par la rationalisation des dépenses publiques ? Par la mobilisation d’une épargne ? Par une réaffectation de crédits, mais où et au profit de qui ? Aucune formation ne se risque à traiter la question de la charge de la masse salariale du Budget de fonctionnement de l’ordre de 104 milliards de DH liée à quelque 800.000 fonctionnaires des administrations étatiques et des collectivités territoriales. Quant à la seconde incertitude, elle a trait à l’absence d’une hiérarchie des priorités, à un séquençage du programme sur les cinq années de la législature ainsi qu’à la nécessité d’un dispositif plus volontariste de gouvernance. A cet égard, le modèle économique de la région n’est pas davantage abordé, avec ses contraintes financières et de ressources humaines. Des programmes peu distincts ? Une offre partisane peu attractive ? En tout cas, cette campagne électorale ne devrait pas esquiver la compétition entre deux visions de la société, deux projets aux antipodes l’un de l’autre. D’un côté, une conception conservatrice, voire rétrograde, soucieuse de formater la société suivant un modèle prétendument «religieusement correct»; de l’autre, autre chose : un projet moderniste, démocratique et solidaire. C’est la cohésion sociale qui est ainsi en jeu dans ce scrutin du 7 octobre : réformer, oui, mais sans diviser, en s’attachant au progrès social ainsi qu’aux droits et libertés.

Mustapha Sehimi, politologue

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