Mohamed Tazi, Directeur général de l’Association marocaine des industriels du textile et de l’habillement.
L’invasion des produits textiles turcs, exaspère les industriels du textile marocain qui parlent d’un combat inégal.
Les produits turcs bénéficient de subventions qui sont à la limite de ce qui est légal.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : La mesure de sauvegarde préférentielle sur les importations de produits de textile et d’habillement en provenance de Turquie désormais définitive a-t-elle contribué substantiellement au recul des importations textiles issues de ce pays ?
Mohamed Tazi : Il est clair que cette mesure qui sera en vigueur jusqu’en 2021 ne contribuera pas substantiellement à la réduction des importations des produits textiles turcs. Toutefois, il est judicieux de se pencher sur ce qui a été à l’origine de la mise en place de cette mesure.
En premier lieu, nous avons remarqué l’explosion des importations des articles textiles issues de ce pays sur les quatre, cinq dernières années à tel point que les Turcs, qui représentaient moins de 20% du total des importations, ont progressé pour atteindre 40%.
Deuxièmement, sur ces trois dernières années, ces importations ont progressé de plus de 170%, ce qui conforte leur hégémonie sur le marché local. Heureusement que cette mesure a été mise en place. Elle a freiné la frénésie de la croissance vertigineuse des importations. L’initiative est certes salutaire mais n’est pas suffisante. Les taux de croissance sur les trois, quatre exercices qui ont certes baissé d’intensité, sont encore importants. Les importations des produits turcs continueront de progresser et la mesure de sauvegarde permet de rétablir les droits de douane. Les produits textiles turcs sont désormais taxés à hauteur de 90% du droit commun, ce qui représente en réalité un taux qui tourne autour de 22%.
L’autre facteur de nature à encourager la percée des articles textiles issus de ce pays sur le marché local est la dévaluation de la Livre turque, qui a perdu près de la moitié de sa valeur même si depuis le début de l’année, elle regagne du terrain. En définitive, la mesure d’ajustement qui est courageuse, n’a pas permis de compenser ne serait-ce que la dévaluation de la monnaie turque.
F.N.H. : Quels sont les avantages comparatifs des produits textiles turcs ?
M. T. : Il ne faut par se leurrer. Les Turcs ont une filière complète, ce qui est loin d’être le cas pour les industriels marocains. Outre cet avantage de taille, les textiliens de la Turquie bénéficient d’une série d’aides publiques, y compris des subventions qui boostent la filière et rendent extrêmement agressifs leurs produits sur les marchés extérieurs. En clair, nous sommes en compétition avec un rouleau compresseur qui a tous les avantages de l’économie d’échelle, la taille etc. Les opérateurs marocains ont également en face un Etat turc qui dope de manière très artificielle ses producteurs, et qui est dans une optique de conquête de marché. Les pays qui ont compris cette posture, notamment les pays du pourtour méditerranéen, ont mis en place des politiques extrêmement agressives pour restreindre l’invasion des produits turcs. Le Maroc à travers la mesure présentée plus haut vient de s’y mettre. Nous sommes en train de voir tous les moyens qui pourraient freiner cette hégémonie et nous nous permettrons tout.
F.N.H. : Les entreprises turques de textile bénéficient-elles de subventions publiques, d’accompagnement étatique ou d’exonérations fiscales de nature à accroître leur compétitivité ?
M. T. : C’est de notoriété publique que les produits turcs bénéficient de subventions qui sont à la limite de ce qui est légal. Mais de l’autre côté, ce que nous trouvons anormal, c’est que nous nous sommes pas traités de la même manière, il n’y a pas de réciprocité.
Lorsque nos exportateurs essayent d’approcher le marché turc, ils se trouvent confrontés à toute une série de barrières non tarifaires qui les dissuadent de continuer à travailler sur ce marché, alors que de notre côté nous avons ouvert notre marché aux produits turcs. Ce que nous trouvons incompréhensible.
F.N.H. : Selon vous, comment les entreprises marocaines qui exportent bien à l’étranger pourraient-elles contrecarrer l’offensive turque sur le marché local ?
M. T. : Il faut savoir que la compétition qui nous est livrée par les produits turcs sur le marché local, est identique à celle de nos marchés à l’exportation. Compte tenu de la dévaluation de la Livre turque et en raison de l’aide publique apportée aux exportations de ce pays, nous sommes pris dans un étau, à la fois sur le marché local mais également sur les marchés à l’export.
F.N.H. : Quelle serait la partition de l’Amith pour gagner ce combat ?
M. T. : Il n’y a pas de recettes miracles, il faudrait que les règles du jeu soient égales pour tout le monde et qu’il y ait une compétition loyale. Sans cela, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Aujourd’hui, le combat est inégal. Il faudrait le rendre loyal, équitable et égal à la fois sur les marchés marocain et turc.
Il est clair que l’on ne peut pas prétendre aux mêmes aides publiques octroyées par l’Etat turc mais au moins, nous avons remarqué que lorsqu’une mesure courageuse est prise, elle donne ses fruits. ◆