Terres collectives : la bombe à retardement

Terres collectives : la bombe à retardement

(Photo : Les femmes sont les principales victimes du régime des terres collectives, puisqu’elles sont écartées le plus souvent du droit de jouissance)

 

La loi qui encadre les terres collectives est devenue obsolète et nécessite une profonde réforme. Outre le cadre juridique, volonté politique et approche participative sont nécessaires pour trouver une issue favorable.

 

 

Les terres collectives ou «Aradi Joumou’e» représentent un potentiel important pour le secteur agricole national du fait qu’elles sont le plus souvent fertiles et bénéficient en moyenne d’une bonne pluviométrie.

Mais leur statut juridique crée d’énormes problèmes en matière d’exploitation. Ce régime foncier ancestral qui a fait ses preuves pendant des siècles, a montré depuis un certain temps ses limites. Il est à l’origine le plus souvent de litiges, qui sont déférés aux tribunaux.

Concrètement, «Aradi Joumou’e» sont des terres léguées par des sultans marocains à des tribus, qui les mettent à la disposition des petits fellahs. Ces derniers n’ont qu’un droit de jouissance et ne peuvent en aucun cas prétendre à la propriété. La croissance démographique aidant, ces parcelles posent un véritable problème de morcellement pour les ayants droit.

«Auparavant, les chefs de tribus avaient une autorité morale, qui a permis pendant longtemps de gérer efficacement le système des terres collectives. Actuellement, ces entités ethniques commencent petit à petit à perdre de leur poids, et intègrent un mode social et de production plus moderne. Les terres collectives sont régies par un Dahir datant du 27 avril 1919, qui est nettement dépassé par la réalité socioéconomique du pays. Il est essentiel de réformer ce régime pour l’adapter à son environnement», souligne Nabil Haddaji, avocat au Barreau de Casablanca.

En effet, les tribunaux regorgent de litiges à cause de ce statut. Les plaignants avancent l’iniquité et l’injustice de ce régime. Le Roi Mohammed VI avait évoqué cette question lors de son intervention à l’occasion de l’ouverture de la session d’automne du Parlement. Il a affirmé que ce sujet est l’un des plus évoqués dans les réclamations qu’il reçoit des citoyens. Il a ordonné aux autorités concernées d’assumer leur responsabilité dans le sens de trouver une issue à ce problème.

Face à cette épineuse problématique héritée de l’époque coloniale, aucun gouvernement n’a osé franchir le Rubicon ! Interrogé à ce sujet lors des questions orales au Parlement en 1998 déjà, Fathallah Oualalou, l’ex-ministre de l’Economie et des Finances au sein du gouvernement d’alternance, a affirmé qu’«il s’agit d’une bombe à retardement qui peut dégénérer en une véritable crise. La solution nécessite une volonté politique pour une réforme en profondeur et l’intervention de plusieurs départements, notamment l’Intérieur, l’Agriculture et les Finances».

Force est de constater que l’ensemble des parties concernées reconnaissent la complexité du sujet et la nécessité d’agir rapidement. Mais à ce jour, les initiatives entamées n’ont pas dépassé le stade de la réflexion. ■

 


Privilégier l’approche participative

Les terres collectives représentent 15 millions d’hectares, soit plus de 17% de la superficie agricole utile, pour une population de 10 millions de personnes.

En 2014, le ministère de l’Intérieur a organisé un débat sur le sujet où plusieurs intervenants avaient proposé une approche participative se basant sur trois piliers, à savoir la sensibilisation sur l'importance du règlement de ce problème qui vise à améliorer le niveau de vie des intéressés à travers la réforme du foncier, la préservation de l'environnement (eau, forêts, espèces, mer...) et la mise en place d'une vision proactive pour éviter que des problèmes ne surgissent à l'avenir. Depuis, rien !

 

Par Charaf Jaidani

 

 

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