Réformes économiques : 2019, année zéro

Réformes économiques : 2019, année zéro

 

Le gouvernement n’a que deux ans pour initier les réformes structurelles susceptibles de sortir l’économie de sa léthargie. 

Mais il lui faudra beaucoup de courage politique. 

 

Par A. Elkadiri

 

Une nouvelle année commence, sans grand enthousiasme, avouons-le, mais avec de l’espoir, tout de même.

Sans enthousiasme, car sur le plan de l'activité économique, 2019 (et vraisemblablement 2020) ressemblera comme deux gouttes d’eau à 2018. Toutes les institutions sont d’accord, pour une fois, pour dire que grosso modo, la croissance du PIB ces deux prochaines années devrait s'établir autour de 3%. En d'autres termes, il ne faut pas s'attendre à un décollage de notre économie. Il n’y aura pas de miracle, à moyen terme du moins.

Déjà pour 2019, le haut-commissariat au Plan (HCP) a un peu cassé l'ambiance juste après les fêtes, en livrant sa prévision de croissance pour le premier trimestre. Celle-ci devrait s’établir à 2,5% seulement.

On en saura plus dans les tout prochains jours sur les perspectives macroéconomiques à moyen terme, avec la présentation par le HCP du budget prévisionnel de l’exercice 2019. Ce rendez-vous, qui se tient chaque année à la même période, est particulièrement attendu par les observateurs de la sphère économique, puisque les prévisions du budget prévisionnel du mois de janvier sont généralement assez proches de la réalité.

Au vu du premier trimestre 2019 décevant, la croissance sera-t-elle révisée à la baisse ? C’est possible. D’autant que la pluie se fait rare ces derniers temps. Il n’y a certes pas de quoi s’affoler pour le moment, mais une récolte inférieure à la moyenne (80 millions de quintaux) serait désastreuse. Alors… prions !

L’on peut d’ores et déjà dire, sans se tromper, que les indicateurs clés de notre économie ne connaîtront pas d’améliorations notables en 2019. Le chômage, surtout celui des jeunes, restera à son niveau inquiétant, le crédit bancaire aux entreprises ne décollera pas ou prou, le déficit de la balance commerciale ne se résorbera pas, etc.

Bref, tout cela pour dire qu’à moyen terme, les voies de l’émergence resteront fermées pour notre économie, que le Maroc intègre d’ici-là le top 50 du classement Doing Business de la Banque mondiale ou pas. Notre pays restera, pour quelques années encore, un pays à revenu intermédiaire (tranche inférieure), selon la nomenclature de la Banque mondiale, avec un PIB qui dépasse légèrement les 1.000 milliards de dirhams (1.063,3 milliards de dirhams très exactement en 2017).

Dans notre éditorial du numéro 915, nous évoquions «la désagréable impression que pendant 6 ans, l’économie marocaine a fait du surplace». On peut élargir ce sentiment à toute la décennie 2010 (2010-2020). Pour paraphraser Nabil Benabdallah, SG du PPS qui, dans notre Hors-série de décembre 2018, parle de «dix glorieuses» pour les années 2000-2010, on peut qualifier la décennie 2010 des «dix moyennes» (parler de «10 piteuses» serait un brin exagéré).

Cette croissance mollassonne est, en réalité, le résultat d’années d’attentisme et de manque de courage politique pour faire les réformes structurelles nécessaires. Les économies ont leur cycle, et les réformes qui ne sont pas faites aujourd’hui se payent cash demain.

Le Maroc a eu une fenêtre de tir idéale entre 2014 et 2016 (pétrole pas cher, etc.) pour réaliser ces réformes. Cela n’a pas été le cas. Aujourd’hui, le gouvernement, dos au mur, se montre déterminé à les faire. Mieux vaut tard que jamais, pourrait-on dire, même si les conditions sont aujourd’hui autrement moins idéales, avec des marchés qui doutent, une guerre commerciale à l’échelle mondiale qui, si elle venait à éclater, pourrait, par ricochet, nous coûter cher, et une grogne sociale toujours latente.

Il faut donc que ces deux prochaines années (2019 et 2020) soient celles des réformes. Il faudra aussi avoir le souffle long et l’endurance d’un marathonien. La réforme de l’éducation par exemple, mère de toutes les réformes, ne portera ses fruits que dans 10 ans.

 

Des raisons d’y croire

Ceci étant dit, les motifs d’espoir ne manquent pas, heureusement. Tout d’abord, le Roi Mohammed VI semble plus que jamais déterminé à superviser de très près les réformes majeures, comme celle de la formation professionnelle, n’hésitant pas à secouer le gouvernement quand il le faut. De ce dernier, nous sommes en droit d’attendre un peu moins d’autosatisfaction et un peu plus d’humilité, et qu’il mette en sourdine les batailles d’égos entre les pseudos ténors de l’Exécutif.

Du reste, le gouvernement envoie ces derniers temps des signaux rassurants. Certaines administrations (la DGI ou la conservation foncière, pour ne citer que celles-ci) se montrent à la hauteur. Sur les délais de paiement, l’Exécutif a, semble-t-il, pris le taureau par les cornes et affiche sa détermination à régler définitivement ce problème.

De même, il est permis de penser que l’Etat soldera l’intégralité du stock des arriérés de TVA dès cette année, donnant un peu d’oxygène au tissu des entreprises. Ce n’est pas rien.

La volonté de réforme est elle aussi forte, si l’on se fie aux discours du chef de gouvernement. Des réformes cruciales seront lancées cette année. Celle de la Charte de déconcentration, par exemple, publiée au Bulletin officiel fin décembre, et dont la feuille de route est annoncée comme imminente.

D’autres réformes importantes seront lancées en 2019. Il s’agit notamment du projet de loi sur le système d'éducation, de formation et de recherche scientifique. Il s’agit aussi du projet de loi portant sur les Centres régionaux d'investissement (CRI) qui se trouve actuellement au Parlement. Le chef de gouvernement cite aussi le Plan national pour la démocratie et les droits de l'homme, déjà approuvé par le Conseil de gouvernement, ou encore le projet de développement du système de protection sociale.

2019 devrait être aussi l’année de la mise en œuvre du Registre social unique (RSU), un projet stratégique pour l’avenir du pays, puisqu’il permettra une restructuration globale des politiques et des programmes nationaux en matière de protection sociale. Une phase pilote de ce projet sera lancée dans la région de Rabat-Salé-Kénitra dès cette année, avant d’être généralisée à l’ensemble du pays d’ici 2024. Précisons que de la réussite de ce projet, dépendent d’autres réformes, comme celle de la Caisse de compensation. Les subventions accordées à «l’aveuglette» feront place à des aides directes au profit des populations les plus démunies. Espérons que ce projet ne souffre aucun retard.

Un dernier mot sur le patronat. Ce dernier multiplie les initiatives pour libérer le potentiel des entreprises. Le comité tripartite CGEM-GPBM-BAM qui sera réactivé incessamment, doit permettre d’apporter des solutions novatrices au financement des entreprises.

Le patronat est néanmoins appelé à mettre un peu d’ordre dans les délais de paiement du secteur privé (les délais de paiement interentreprises frôlent les 400 milliards de DH). Les grandes entreprises sont tenues de montrer l’exemple en la matière.

Si toutes ces questions cruciales pour l’avenir de notre économie ne sont pas réglées dans les 2 prochaines années, le Maroc perdra encore 10 ans.

Bonne année ! ◆

 

 

 

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