Gouvernance financière publique : «depuis 2011, les choses ont beaucoup changé»

Gouvernance financière publique : «depuis 2011, les choses ont beaucoup changé»

                                                              

Entretien avec Youssef Guerraoui Filali, secrétaire général du Centre marocain pour la gouvernance et le management, un centre de recherche et de formation à vocation scientifique.

 

 

Finances News Hebdo : Quelles sont les limites de la gouvernance financière au Maroc, qu’elle soit publique ou privée ?

 

Youssef Guerraoui Filali : Tout d’abord, la gouvernance financière est définie comme un mode de pilotage financier basé sur des principes et des règles liés à la performance économique de toute organisation, qu'elle soit publique ou privée. Je cite entre autres la rationalisation des coûts, l’efficacité des dépenses et la mutualisation des charges.

Pour ce qui est des limites, la gouvernance financière se veut un décentrement du pouvoir financier et même de la réflexion budgétaire qui vise à «faire faire». De ce fait, les décideurs non outillés en technologies de gouvernance financière (SI de gestion budgétaire, contrôle de gestion financier, etc.) ou peu imprégnés par les valeurs de la gouvernance se trouvent confrontés à plusieurs difficultés de gestion, sources de blocage décisionnel.

La décision financière «efficace & efficiente» est la conséquence d’une bonne gouvernance financière qui se nourrit d’un système informationnel pertinent, aboutissant à une meilleure collecte et traitement des informations ayant servi de base à fournir des éléments de réponse au système décisionnel budgétaire. Par conséquent, la non qualification des ressources humaines en gouvernance financière, les dysfonctionnements du système informationnel comptable et l’absence d’outils de planification budgétaire sont susceptibles de limiter l’impact d’une bonne gouvernance financière, que ce soit pour une entreprise publique ou privée.

 

F.N.H. : La Constitution de 2011 instaure le principe de reddition des comptes. Six ans plus tard, y a-t-il eu un quelconque impact sur cette gouvernance ?

 

Y. G. F. : Depuis 2011, les choses ont beaucoup changé. La constitutionnalisation du principe de reddition des comptes a permis de créer une nouvelle dynamique dans la gestion des finances publiques. L’institutionnalisation de l’obligation de rendre compte au niveau de plusieurs départements et institutions publiques ou semi-publiques a imposé aux différents gestionnaires une nouvelle méthode de management financier basé sur les principes de gouvernance tels que le pilotage de la performance, la maîtrise des coûts et les économies d’échelle.

Le Maroc a depuis adopté un nouveau mode de pilotage repris au chapitre 12 de sa Constitution et intitulé «Principes généraux de bonne gouvernance». Ledit chapitre renforce, d’une part, le rôle de la Cour des comptes et de ses juridictions financières régionales en matière de contrôle supérieur des finances publiques et, d’autre part, met en exergue les nouvelles prérogatives des institutions de bonne gouvernance qui participent au renforcement du système d’intégrité national de bonne gouvernance.

En revanche, en s’inscrivant dans cette dynamique, et pour la première fois, on a évoqué ouvertement la question du «contrôle de gestion public» qui est au cœur de la réforme budgétaire de l’Etat.

Dans le même ordre d’idées, la refonte du système de gouvernance du pays (renforcement des contrôles de performance, instaurations de mécanismes de régulation et de surveillance, mise en œuvre de réformes institutionnelles…) permettra non seulement de gagner le pari de la gouvernance, mais donnera un nouveau élan au Maroc dans la perspective d’un développement durable garantissant la pérennité de nos institutions et réconciliant les intérêts parfois contradictoires de l’ensemble des parties prenantes (Etat, collectivités territoriales, entreprises, citoyens…).

 

F.N.H. : Comment la Loi organique des Lois de Finances peut-elle contribuer à une performance de l’action publique ?

 

Y. G. F. : La loi organique des finances a donné une nouvelle dynamique à l’action publique, en passant par une programmation budgétaire centrée sur la performance et une gestion axée sur les résultats. Les gestionnaires publics sont tenus de préparer des projets de performance incluant des actions mesurables à travers un certain nombre d’indicateurs de performance inspirés du secteur privé.

De ce fait, les actions publiques seront pro­grammées sur l’année budgétaire et peuvent être amendées par le recours à une Loi de Finances rectificative et ce, afin de pouvoir mener des actions correctives en temps oppor­tun. Les acteurs publics seront dans l’obligation d’améliorer leur gestion, en déployant plus d’efforts pour l’atteinte des objectifs de per­formance. Les réalisations budgétaires seront indiquées dans leurs rapports de performance et en comparaison avec le projet de program­mation budgétaire. L’analyse de la performance budgétaire, qui traduit le niveau de réalisation des actions publiques entreprises et les coûts afférents, permettra d’évaluer les programmes budgétaires présentés sous forme de projets et actions.

 

F.N.H. : Malgré son impact direct certain sur les citoyens, la gouvernance finan­cière semble évoluer dans une bulle à part. A quoi faut-il imputer cela ?

 

Y. G. F. : La gouvernance financière s’opère dans un écosystème financier mettant en inte­ractions plusieurs intervenants institutionnels (Etat, collectivités locales, institutions finan­cières, instances de contrôle et de régula­tion…) dans la perspective d’une soutenabilité de nos finances publiques ou privées à moyen et long terme, et à travers un équilibre budgé­taire et monétaire conjugué dans les indicateurs macroéconomiques du pays.

La question de la gouvernance financière inter­pelle aussi la santé économique et financière du Maroc vis-à-vis des agences de notation à l’international et des organismes clefs tels que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. L’adoption d’un mode de pilotage financier vigilant et par anticipation positionnera le Maroc dans le club des pays émergents à faible risque économique et monétaire; la der­nière note de Coface sur le Maroc (A4 conve­nable à faible risque) en est un exemple.

Toutefois, le processus de gouvernance finan­cière doit garder le citoyen marocain au cœur de ses préoccupations. Nous sommes sur un paradoxe : il faut préserver le pouvoir d’achat du citoyen, voire améliorer sa qualité de vie, et en même temps garder l’équilibre budgé­taire et financier préconisé par bon nombre d’organisations internationales, pour pouvoir attirer de nouveaux investisseurs étrangers qui participeront au développement économique de notre pays.

 

F.N.H. : Depuis quelques années, des efforts de transparence importants ont été consentis pour rapprocher l’opinion publique de certaines réformes et de l’utilité de certaines lois. Cependant, on note un accès limité des citoyens à l’information et une faiblesse des règlementations liées au processus budgétaire. Comment y remédier ?

 

Y. G. F. : L’adoption de la loi relative au droit d’accès à l’information permettra de tirer les choses au clair. Elle devrait tracer les informations accessibles aux citoyens et les limites même de l’information. Cependant, nous constatons une amélioration continue des communications de nos institutions qui deviennent de plus en plus présentes sur les réseaux sociaux. Plusieurs instances de régulation et de contrôle disposent d’un portail web dédié aux citoyens, les rapports et les documents rendus publics sont accessibles et téléchargeables depuis leurs sites Internet.

Par rapport à la règlementation budgétaire, tous les lois et règlements en vigueur sont publiés sur le Bulletin officiel électronique du Secrétariat général du gouvernement, mais nous avons besoin d’une amélioration de la qualité au détriment du quantitatif. Aujourd’hui, les gestionnaires publics doivent avoir plus de souplesse de gestion et des prérogatives claires à travers des textes souples, résumés, concis et moins rigides afin de pouvoir agir en temps opportun. Le nouveau processus budgétaire de la Loi Organique des Finances a instauré l’obligation de la reddition des comptes, et comme vous le savez, il est indispensable d’équilibrer entre responsabilités et pouvoirs si l’on souhaite vraiment faire une évaluation pertinente des actions entreprises par le gestionnaire public.

 

F.N.H. : Aujourd’hui, en matière de gouvernance financière, où en est le Maroc par rapport aux lignes directrices de l’OCDE ?

 

Y. G. F. : Le point fort du Maroc vis-à-vis de l’OCDE est l’engagement politique de long terme de réformer la gestion publique financière. Cela s’est traduit par l’adoption rapide de la Loi Organique des Lois de Finances depuis novembre 2014. Depuis, le Maroc s’est engagé dans de nouvelles politiques financières opérationnelles traduites par l’adoption de textes d’application pour la mise en œuvre de la nouvelle Loi Organique des Finances, en tenant compte du principe de mise en oeuvre progressive pour l’accompagnement du changement même au sein de l’administration marocaine (modernisation des procédures, informatisation, formation des fonctionnaires…).

Par conséquent, les progrès réalisés par le Maroc dans le domaine du gouvernement ouvert et l’administration électronique ont permis au pays de déposer une demande officielle pour rejoindre les pays de l’OCDE au sein de l’initiative de l’OGP (Open Government Partnership). ■

 

Propos recueillis par I. Bouhrara

 

 

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