- Les grandes entreprises représentent une bonne partie du montant du crédit interentreprises privé (390 Mds de DH) qui poursuit sa tendance haussière depuis plusieurs années maintenant.
- L’allongement des délais de paiement fournisseur des grandes entreprises est particulièrement néfaste pour les PME.
Par M. Diao
L’a l l o n g e m e n t continu des délais paiement constitue l’un des plus grands périls qui guette l’activité économique. D’ailleurs, le lancement de l’Observatoire des délais de paiement (ODP) en juillet dernier, lors d’une rencontre organisée par le ministère de l’Économie et des Finances et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), traduit la ferme volonté des secteurs privé et public à endiguer le fléau de l’allongement des délais de paiement.
Si l’Etat et les entités publiques doivent déployer des efforts pour payer leurs fournisseurs à temps, il en est de même pour le secteur privé, qui fait pâle figure en termes de délai de paiement.
D’ailleurs, l’assertion de Salaheddine Kadmiri, vice-président général de la CGEM, lors de la rencontre de juillet dernier, faisant allusion à l’ampleur du travail du secteur privé, est sans appel. «Nous devons balayer devant notre porte», suggérait-il.
Il faut dire que les chiffres des délais de paiement entre entreprises du secteur privé suscitent une grande inquiétude. En effet, la TPE affiche un délai de paiement client moyen de 9,9 mois et un délai de paiement fournisseur de 6,6 mois. Pour les deux délais mentionnés, les PME enregistrent respectivement 5,1 mois et 3,5 mois.
Pour les grandes entreprises, on constate une inversion de ces deux délais : les grandes entreprises paient leurs fournisseurs à 4,3 mois et se font payer par leurs clients à 3,4 mois. Une situation «complètement anormale», selon Kadmiri.
Quand la grande entreprise tue la TPME
Amine Diouri, directeur études & communication d’Inforisk, et Ahmed Elazraq, patron de la société Gtel, spécialisée dans les télécoms, ne manquent pas de pointer la responsabilité des grandes entreprises (Voir leurs témoignages).
«L’allongement des délais de paiement fournisseur des grandes entreprises, notamment celles en difficulté et mal structurées, tue les petites entreprises qui ont très souvent des difficultés de trésorerie au Maroc. En tant que petite entreprise, nous éprouvons des difficultés à nous faire payer à temps par certaines grandes entreprises», s’offusque le patron de GTEL, qui reste convaincu que les TPE et les PME financent les grandes entreprises par le biais du crédit interentreprises privé. Ce dernier prend de grandes proportions. Près de 390 Mds de DH d’après les données d’Inforisk.
Pour limiter la casse et mettre un terme à l’hémorragie de l’allongement des délais de paiement entre entreprises privées, plusieurs pistes doivent être explorées au Maroc. En cela, il faudrait d’abord commencer à appliquer la loi 45-15 modifiant et complétant la loi n° 15-95 formant Code de commerce et édictant des dispositions particulières relatives aux délais de paiement.
A l’instar de la France, des suggestions vont dans le sens de la mise en place d’une instance indépendante investie de pouvoirs de sanctions et chargée du contrôle des délais de paiement fournisseur des entreprises. Bien entendu, redoubler les efforts de sensibilisation auprès des grandes entreprises de l’intérêt de régler à temps leurs fournisseurs à temps doit être de mise. Il en va de la pérennité de notre tissu économique, constitué à plus de 90% de TPME. ■
Amine Diouri, directeur études & communication d’Inforisk
«Quand on parle des délais de paiement, il est important de garder à l’esprit que le crédit interentreprises avec l’Etat tourne autour de 50 Mds de DH. Tandis que le crédit interentreprises privé représente la bagatelle de 390 Mds de DH. Ces chiffres traduisent un déséquilibre flagrant. Même si l’on a tendance à croire, à juste titre parfois, que le secteur public est à l’origine de l’allongement des délais de paiement, car l’Etat a une part de responsabilité, force est de constater que la problématique majeure provient de la relation privé-privé.
Les grandes entreprises représentent une bonne partie du montant du crédit interentreprises privé qui poursuit sa tendance haussière depuis plusieurs années maintenant.
Il faut savoir que le rapport de force est au cœur de la problématique des délais de paiement au Maroc. Le constat est que ce rapport de force est défavorable aux PME et TPE. Par exemple, une petite entreprise qui collabore avec une multinationale n’a pas la possibilité d’influer sur le fait d’être payée au bout de 60 ou 90 jours.
Généralement, ce sont les grandes entreprises qui imposent leurs conditions à prendre ou à laisser, avec la fixation de la marge de la petite entreprise et l’échéance du paiement pouvant intervenir par exemple au bout de six mois après l’émission de la facture. Les petites entreprises n’ont pas le choix car elles ont souvent un, deux, voire trois gros clients au maximum. En conséquence, le choix d’accepter les conditions désavantageuses fixées par les grandes entreprises est vite fait par celles de petite taille.
Pour remédier à cette situation malsaine en France, l’Etat a créé une entité autonome dénommée Direction de la concurrence et de la répression des fraudes, qui est rattachée au ministère de l’Economie. Cet organisme public est chargé de contrôler les délais fournisseurs des grandes entreprises. Il a également le pouvoir d’infliger des sanctions aux mauvais payeurs, qui peuvent aller jusqu’à 2 millions d’euros pour les entreprises qui ne respectent pas la loi.
Pour juguler le fléau de l’allongement des délais de paiement au Maroc dont les grandes entreprises ont une grande part de responsabilité, il est indispensable de veiller à l’application de la loi 45-15 modifiant et complétant la loi n° 15-95 formant Code de commerce et édictant des dispositions particulières relatives aux délais de paiement. Certains arrêtés d’application n’ont pas encore vu le jour. Jusque-là, le flou plane sur les taux de pénalité à appliquer aux mauvais payeurs. A cela s’ajoutent certains délais de paiement dérogatoires pour des secteurs en difficulté et les branches d’activité dont les process de production sont différents, c’est-à-dire plus longs. La répression et la sanction peuvent constituer une partie de la solution de la problématique au Maroc. Ce qui passe, à l’instar de l’Hexagone, par la création d’une instance indépendante chargée du contrôle.
Les Français sont allés plus loin. Le ministère de l’Economie affiche sur son site Internet le nom des entreprises ayant fait l’objet de sanctions. Ce qui constitue une communication peu valorisante pour les grandes entreprises, notamment en termes d’image, puisqu’elles sont assimilées aux mauvais payeurs. La prévention et la répression permettront également de juguler le fléau.
Les grandes entreprises doivent être sensibilisées à l’idée qu’il est dans l’intérêt de tout le monde que les délais légaux de paiement soient respectés au Maroc et que la construction d’un écosystème entrepreneurial fort est important pour le dynamisme de l’économie nationale». ■
Ahmed Elazraq, patron de la société Gtel, spécialisée dans les télécoms
«L’allongement des délais de paiement fournisseur des grandes entreprises, notamment celles en difficulté et mal structurées, tue les petites entreprises qui ont très souvent des difficultés de trésorerie au Maroc.
En tant que petite entreprise, nous éprouvons des difficultés à nous faire payer à temps de la part de certaines grandes entreprises.
J’estime qu’au Maroc, les TPE et les PME financent les grandes entreprises par le biais du crédit interentreprises. Ceci est aussi valable pour les multinationales, dont certaines appliquent des délais de paiement fournisseur pouvant atteindre 12 mois. Sachant que cette firme multinationale se fait payer par un grand opérateur télécoms national dans des délais plus courts.
A mon sens, le système bancaire doit s’impliquer davantage pour résoudre cette problématique nationale qui épargne en réalité très peu de secteurs. Dans le même ordre d’idées, l’Etat doit inciter les établissements bancaires à appliquer des taux moins élevés pour les opérations d’affacturage. Je trouve très élevés les taux ayant trait au factoring, ce qui grève substantiellement la marge de l’entreprise. Il n’est pas aussi dénué de sens de réfléchir à la mise en place de lignes de financement auprès des banques, avec des taux préférentiels, dédiés aux grandes entreprises pour le paiement des PME et TPE.
Ceci dit, je suis convaincu que l’application des pénalités de retard de paiement peut être efficace pour inciter l’Etat à payer ses fournisseurs à temps. A contrario, pour le secteur privé, notamment les relations interentreprises, je reste perplexe. Une chose est sûre, les petites entreprises n’ont aucun pouvoir pour changer les choses. La solution se trouve du côté du ministère de tutelle et des autres départements concernés. » ■