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Surdité infantile : comment le CAC brise le mur du silence

Surdité infantile : comment le CAC brise le mur du silence

 

Depuis un an, l’hôpital universitaire international Cheikh Khalifa Ibn Zaid a créé Casablanca Audition Center, qui assure toute la chaîne de prise en charge de la surdité infantile. Un plein d’émotions lors de la visite des lieux à la rencontre d’un staff mobilisé pour sortir ces enfants de la bulle du silence !

 

 

Il est toujours délicat de traiter des sujets en relation avec les enfants, ces anges qui ne sont pas autonomes et qui ont besoin de la protection de leurs parents, mais également de la société tout entière. Que dire lorsqu’il s’agit d’aborder une pathologie qui prend en otage leur avenir ! Et l’une des pathologies qui passe sous silence, est justement la surdité, qui fait partie des déficiences peu visibles à la naissance, mais qui peuvent avoir des conséquences sérieuses chez les enfants atteints, retarder leur développement et réduire les chances à une vie «normale».

Mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, dit le proverbe. Un espoir nourri et porté par le Casablanca Audition Center (CAC), niché au sein de l’hôpital universitaire international Cheikh Khalifa qui, depuis mai 2016, assure une prise en charge totale de la surdité infantile, proposant un dépistage systématique de la surdité chez les nouveaux-nés, un diagnostic, un accompagnement à l’implantation cochléaire ainsi qu’une rééducation orthophonique et une guidance parentale. Le CAC couvre aujourd’hui l’ensemble des aspects de la prise en charge de la surdité particulièrement infantile, au grand bonheur des petits et leurs familles.

 

Une équipe pluridisciplinaire à l’écoute et réactive

 

 

 

La prise de rendez-vous pour visiter le Centre se fera en quelques secondes avec le Dr Khalid Snoussi, chirurgien ORL, auquel l’hôpital a fait appel pour développer le CAC. Une fois sur place, on peut facilement relever le contraste entre l’imposante (et belle) bâtisse de l’hôpital universitaire international Cheikh Khalifa Ibn Zaid et l’aile où se trouve le CAC. En effet, les murs intérieurs sont peints en un jaune apaisant, avec des dessins et un espace de jeux aménagé dans la salle d’attente au grand bonheur des tout petits. Les petits patients, dont certains sont implantés, sont bercés par une musique douce. La petite salle est déjà bondée et le docteur nous reçoit entre deux opérations chirurgicales. Il vient en effet d’opérer, en ce mardi 9 mai au matin, la petite Dalya (voir encadré), un cas bien délicat, puisque la patiente est âgée de six ans, âge vraiment limite pour que l’implantation réussisse en termes d’apprentissage et de développement de langage. «Le but de la création de ce centre est la prise en charge totale de la surdité, du dépistage jusqu’à la rééducation. Nous sommes fiers d’être les premiers à avoir mis en place le dépistage néonatal automatique de la surdité pour tous les accouchements qui se déroulent au niveau de l’hôpital. Une fois l’enfant diagnostiqué, nous avons sur place tous les moyens nécessaires pour établir le type de surdité et nous pouvons même réaliser des examens génétiques pour en connaître la cause si les parents le désirent et, bien entendu, tous les moyens humains et techniques nécessaires si la chirurgie s’impose», précise d’emblée le Dr Khalid Snoussi.

L’un des points forts du CAC est que sur la même plateforme, une équipe pluridisciplinaire assure l’accompagnement psychologique, le diagnostic orthophoniste, la chirurgie et parfois même l’accompagnement psychomoteur. La rééducation orthophonique post-opération est également assurée sur place. Des éléments qui ont toute leur importance quand on sait que les parents atterrissent ici comme des naufragés et trouvent enfin une équipe à leur écoute, sans devoir faire les va-et-vient entre différents services. D’autant qu’ils arrivent de différentes villes et patelins !

«Dès que le médecin diagnostique une surdité infantile, il nous l’adresse dans un premier temps pour établir un bilan pré-implant. Il s’agit d’une étape sensible puisqu’il faut pour l’orthophoniste évaluer les capacités de communication non verbale de l’enfant et la motivation des parents. Nous essayons en effet de voir si les parents sont prêts à s’engager dans ce processus très lourd et très long pour évaluer si l’implantation donnera de bons résultats chez l’enfant. Un rapport est par la suite préparé pour le chirurgien et la psychologue, et un échange se fait entre les différents intervenants sur le cas pour décider si l’implantation sera favorable ou non. Bien évidemment, l’enfant et les parents sont par la suite préparés à la chirurgie en leur expliquant toute l’étape post-opération, notamment la rééducation orthophonique proprement dit», explique pour sa part, Dr Warda Zine, orthophoniste du CAC. Dans sa salle de travail existe une multitude d’objets, de jouets et de dessins avec lesquels elle stimule le langage de ces petits patients.

Le CAC assure également l’activation et le réglage de l’implant sur place. Il faut souligner que peu de centres de ce type existent même en Europe, un motif de fierté de plus pour Dr Khalid Snoussi. «Nous opérons deux à trois cas par semaine. L’année dernière, nous avons opéré 103 cas, ce qui est un chiffre très important sur les 200 cas opérés à travers tout le Royaume. Depuis le début d’année, nous sommes déjà à 45 cas opérés, et nous tablons sur 120 enfants implantés en 2017», soutient Dr Snoussi.

 

Une belle chaîne de solidarité

 

Pour atteindre cet objectif, l’équipe se heurte néanmoins à plusieurs obstacles qu’elle doit surmonter. Le premier qui vient à l’esprit est bien évidemment le facteur financier. En effet, la pathologie de la surdité chez les enfants touche essentiellement les familles démunies, avec comme cause principale les mariages de consanguinité où la prévalence est de 1 sur 100 (elle est de 1 sur 1.000 dans les grossesses normales sans complication). D’ailleurs, dans les cas opérés au niveau du CAC, 68% sont issus de mariage consanguin.

Ces familles doivent s’acquitter des frais des opérations qui varient de 150.000 à 220.000 DH tout compris. Celles qui ont des prises en charge, sont plus allégées, mais la majorité des cas reçus émane de familles démunies. Ce n’est pas pour autant que l’équipe du CAC baisse les bras.

«Fort heureusement, avec l’Amicale des implantés cochléaires du Maroc que je préside, nous collectons des fonds qui nous permettent de venir en aide aux cas extrêmes, surtout sur le plan orthophonique. Car, il ne suffit pas d’opérer ces enfants, encore faut-il les rééduquer après», relève Dr Snoussi, qui se félicite de la générosité des bienfaiteurs qui croient en cette cause et qui les aident par tous les moyens.

«Aussi, je n’oublie pas le rôle de la Fondation Cheikh Khalifa qui nous aide également, notamment dans le cas d’une jeune soudanaise venue directement d’Arabie Saoudite pour être prise en charge ici. Nous avons une assistante sociale qui aide à la collecte pour justement prendre en charge les cas démunis. Je dirai d’ailleurs que seuls 25% des cas payent seuls la globalité de leur facture. Le reste parvient des aides, des associations, une chaîne de solidarité mobilisée pour ces enfants», poursuit-il.

Il est d’ailleurs très actif également sur les réseaux sociaux qui créent une véritable chaîne de solidarité autour des cas les plus nécessiteux. L’autre obstacle auquel se heurte le CAC est la complexité des cas diagnostiqués tardivement.

«Il faut dire que quand la prise en charge est précoce et les parents bien motivés, l’enfant peut facilement intégrer l’école et rattraper tout retard, à telle enseigne qu’on ne se rendrait même pas compte qu’il est implanté. Quand les parents ne peuvent pas assurer toutes les conditions, notamment le suivi orthophonique et la scolarisation, nous essayons de les outiller au mieux. Les groupes d’accompagnement avec d’autres familles qui sont dans le même cas

seront encouragés pour se serrer les coudes, étant donné que la pathologie peut affecter la vie du couple et de la famille aussi», soutient Dr Warda Zine.

Selon que l’on nait sourd ou que l’enfant perd l’audition, chaque moment d’attente est une perte en termes de réintégration et de progression des enfants.

Mais un motif réconforte Dr Snoussi. En effet, au Maroc, avec la sensibilisation des médecins et de la population, le dépistage se fait de plus en plus tôt. Conséquence, le taux de réussite des opérations réalisées au CAC tourne autour de 96 à 97% quand le diagnostic est fait précocement.

C’est le cas ainsi de la petite Souad qui a sollicité les âmes bienfaitrices. En effet, âgée d’à-peine un an, elle est la troisième et fausse jumelle de triplées nées dans une famille démunie. Sa maman s’est rendu rapidement compte que sa fille est différente des deux autres. Touché par son cas, Dr Snoussi réussira à trouver les moyens pour l’opérer et lui assurer une prise en charge totale de sa surdité. Ce cas, qui a eu un large écho, a suscité la générosité des gens pour aider la famille à subvenir aux besoins des trois fillettes. A l’heure où nous mettions sous presse, elle était dans le bloc opératoire. Le chirurgien est d’ailleurs très confiant pour ce cas repéré rapidement. Néanmoins, «très souvent, nous sommes face à des cas tardifs, d’enfants de plus de cinq ans. Au moins, nous allons les sortir du silence !», insiste Dr Snoussi.    

 

Un long chemin de croix

 

Une fois l’implantation cochléaire réalisée, c’est un tout autre travail qui commence, demandant patience et motivation. En effet, comme l’explique Dr Zine, l’enfant va certes entendre, mais son cerveau ne traitera pas tous les sons.

«Donc, nous l’accompagnons à travers des exercices auditifs en impliquant les parents et en leur inculquant les techniques de communication et les exercices qu’ils devront réaliser à la maison pour stimuler l’enfant. Cette étape franchie, nous passons au développement du langage. Un processus long qui peut prendre plusieurs années, selon la rapidité de la prise en charge. Sachant que les résultats dépendent également du fait que la surdité est isolée et qu’elle n’est pas associée à d’autres troubles, favorisés par les mariages consanguins. Le trouble le plus léger est celui de l’attention», explique-t-elle.

Finalement, la surdité est une pathologie lourde qui éprouve aussi bien l’enfant que la famille. Et tout l’enjeu pour l’équipe du CAC est de maintenir et entreprendre la motivation de la famille qui est un maillon-clé dans la réussite de la prise en charge thérapeutique. En effet, une grande partie du travail d’apprentissage du langage et d’accompagnement doit se faire au sein du noyau familial. Pour cela, lorsque la famille habite une autre ville ou qu’il lui est difficile d’assurer un suivi chez un orthophoniste, l’équipe du CAC essaye de mettre les familles en relation pour créer des groupes de soutien. Le but est d’échanger et de se motiver mutuellement pour accompagner l’enfant dans la prise de conscience de l’existence d’un monde sonore avec lequel il peut désormais échanger à travers sa propre parole.

En quittant le CAC, un dernier regard est jeté à la salle d’attente … Des enfants échangent entre eux, prononcent des mots, communiquent avec

leurs parents… N’est-ce pas déjà une belle revanche sur la surdité ? ■

 

 

Par Imane Bouhrara

 

Dalya, six ans dans le silence
Il est bien difficile d’imaginer comment peut être le vécu d’une enfant qui a été plongée pendant 6 ans dans le silence. Dalya est née du mariage d’une Marocaine et d’un Soudanais, installés depuis deux ans en Arabie Saoudite. Pourtant, les moyens limités du couple et la méconnaissance du pays d’accueil, ne les ont pas découragés à voir un jour leur fille entendre ! «Je savais pertinemment que ma fille présentait des signes de surdité, mais comme nous n’avons pas de moyens suffisants, j’ai essayé de la faire soigner mais sans succès», assure la mère de Dalya qui n’a pas pu se retenir, pleurant à chaudes larmes. «J’ai eu des échos dans mon entourage de l’existence de ce centre et je suis venue voir Dr Khalid Snoussi auprès duquel j’ai trouvé l’écoute et le soutien qui me manquaient depuis toujours avec ma fille. Il m’a fallu moins de deux mois entre l’enclenchement de la procédure et l’opération», se réjouit-elle.

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