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Madinat al-Zahra : De la poésie amoureuse à la splendeur d'une civilisation disparue

Madinat al-Zahra : De la poésie amoureuse à la splendeur d'une civilisation disparue

 

Par Mohamed Amrani, Cadre dans le secteur financier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madinat al-Zahra rejoint enfin le classement du patrimoine mondial de l’Unesco, après plus de 1000 ans.

 

«Madinat al-Zahra apporte une connaissance approfondie de la civilisation islamique occidentale d’Al-Andalus, aujourd'hui disparue, au sommet de sa splendeur», selon le communiqué de presse de l’Unesco daté du 1er juillet 2018.

En effet, Madinat al-Zahra est l’un des joyaux hérités de près de huit siècles d’Al-Andalus, en Espagne du VIII au XVème siècle, un royaume qui a connu une féconde collaboration et un métissage réussi des trois cultures musulmane, juive et chrétienne.

Lors du congrès mondial des études sur le Moyen-Orient à Séville en Espagne, le 16 juillet 2018, André Azoulay a rappelé que : «mon pays, le Maroc, fut le passeur inspiré et visionnaire par lequel arrive en Espagne la civilisation des lumières».

Située dans le sud de l’Espagne à huit kilomètres de Cordoue, Madinat al-Zahra est une ville palatiale, construite à partir de l’an 936 par le Calife Abd al-Rahman III, qui l’a nommée par amour pour sa femme Al-Zahra (la rose). Elle était la capitale d’Al-Andalus et le lieu de résidence du Calife.

Madinat al-Zahra est une ville merveilleuse. Toutes les pièces du palais sont décorées d’œuvres précieuses, et s’ouvrent sur des jardins avec un grand nombre de fleurs et d’arbustes plantés pour leurs parfums.

Les salles de réception sont de véritables œuvres d’art conservant la mémoire d’une très grande beauté. La ville est conçue de telle sorte qu'il n'y a pas l'impression de passer de l'extérieur à l'intérieur du palais. Une fois dedans dans un espace donné, l'espace d'à côté reste en permanence dans la conscience de l'esprit. Une ville magique... De l’eau abondante provenait des montagnes et traversait les vallées grâce aux techniques hydrauliques les plus sophistiquées.

Madinat al-Zahra offrait son cadre majestueux aux plus grandes fêtes de l’époque, un vrai paradis pour le Calife et ses invités de prestige, avec une vue magnifique sur Guadalquivir.

Les invités étaient accueillis dans un jardin ensoleillé où il faisait chaud alors que les pièces gardaient une agréable fraîcheur. Des sorbets préparés y étaient servis, avec de la glace importée des montagnes de la Sierra Nevada.

De l’eau coulait des fontaines et des bassins. Les rossignols chantaient dans les arbres. Tout le monde se parfumait, l’air embaumait. C’était un luxe inouï.

Les rues étaient éclairées. Un poète chante la beauté du chemin entre Madinat al-Zahra et Cordoue. Dans l’obscurité, écrit-il, il ressemblait à un collier de perles. Il faut imaginer ce spectacle la nuit du haut du rempart de la ville où il était possible de voir une chaîne de lumières qui menait au palais. Une ville bien éclairée, une ville moderne qui existait pourtant dès le Xème siècle.

Madinat al-Zahra, une ville cosmopolite, un palais exquis à tout égard, est un symbole de la magnificence d’Al-Andalus. Le pays vit sa période la plus glorieuse, qui a ouvert la voie à une ère d’expansion économique prodigieuse.

A cette époque, Al-Andalus est un royaume de prospérité où règne la tolérance religieuse, la liberté de la femme, la splendeur des cours princières; un paradis de l'amour et des amoureux.

Au pays d’Al-Andalus, un art unique de la poésie est le fruit des échanges féconds entre musulmans, juifs et chrétiens. Ces poèmes sont des sortes de composition chorale où s’opèrent un aller-retour entre une voix directrice qui chante en arabe classique et une voix chrétienne qui répond. Ces poèmes, ces chants expriment une sorte de partage culturel. Ce sont des dialogues de religions entre cultures.

La vie harmonieuse entre les communautés favorise la naissance des sentiments amoureux et même platoniques entre adeptes des religions musulmane, juive et chrétienne. Chantée par les poètes et les écrivains de l'époque médiévale dont les poètes Ibn Zaydùn et Wallâda, Madinat al-Zahra devint la capitale de l’art de vivre, de la poésie amoureuse et la ville des amoureux. Ce fut le théâtre du raffinement et de l’élégance, une alchimie des cultures et de la subtilité, une émanation de la civilisation des lumières, la toile de fond sur laquelle le poète Ibn Zaydùn installera ses amours, ses sensations et ses désirs.

Amoureux de la princesse Wallâda, le poète galant était l’auteur d’une poésie spontanée et sublime avec un chant poétique issu d'une flamme crépitante, d'un romantisme, de la passion. Ibn Zaydùn a écrit plusieurs poèmes sur ses rencontres amoureuses avec la princesse dans les jardins de Madinat al-Zahra.

En 1971, l'Espagne a consacré un monument aux poètes amoureux Wallâda et Ibn Zaydùn : «le Monument de l’Amour», Monumento a Los Enamorados, situé à campo santo de los Màrtires dans la ville de Cordoue. Il est dit que l’endroit où le monument est aujourd’hui, est le lieu où les amoureux ont exprimé leur amour pour la première fois.

Le Monument de l’Amour fait partie du centre historique de Cordoue, qui a été déclaré site du patrimoine mondial par l’Unesco en 1994.

Pour rappeler cet amour perdu, les poèmes suivants des deux poètes amoureux en langue arabe classique (et leurs traductions en langue espagnole) ont été gravés sur le marbre du monument.

Madinat al-Zahra, la ville des roses, continue aujourd'hui d'alimenter les rêves et l'imagination des fervents admirateurs de la poésie amoureuse d'Al-Andalus.

Plus qu'une appartenance à une ville ou à une région, être andalous relevait d'un état d'esprit, d'une profondeur d'âme et d'un style fascinant.

Al-Andalus, un grand moment du passé à méditer au présent. ■

 

 

 

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