L'Etat marocain n'a pas été très bavard sur les actifs qu'il a titrisés lors de l'émission de son premier Sukuk souverain. Le Trésor, habitué à ne pas présenter de notes d'information ou d'autres documents de référence lorsqu'il émet des Bons du Trésor, a gardé le même modus operandi. On en sait désormais un peu plus sur ces fameux actifs titrisés.
Par Boursenews
Lors de l’émission inaugurale du Sukuk souverain qui a eu lieu le 5 octobre dernier, le ministère des Finances avait indiqué que le Fonds de titrisation dédié au Sukuk (FT Imperium Sukuk), à travers son premier compartiment, a acquis auprès de l’Etat marocain des droits d’usufruit constitués sur une durée de 5 ans sur 5 actifs immobiliers. L'Etat n'a pas jugé utile de donner plus de détails sur la nature de ces biens. Selon nos informations, recueillies en marge d'un Workshop organisé par la Bourse de Casablanca et l'Association marocaine des professionnels de la finance participative (AMFP) sur l'émission du premier Sukuk souverain, ces actifs sont des établissements scolaires publics gérés par des académies régionales.
Le montage
Le ministère de l'Education nationale avait apporté, en 2016, quelques retouches législatives et réglementaires à l'organisation des Académies régionales de l'éducation et de la formation, les AREF. Au nombre de 12, elles disposent désormais de l'autonomie financière. Dès lors, techniquement, les AREF deviennent indépendantes de l'Etat et exploitent les murs des établissements scolaires. Ce sont certains de ces murs qui ont été apportés au fonds de titrisation.
Les AREF devront désormais payer un loyer pour les exploiter alors que cela se faisait gracieusement auparavant. Ce loyer sera reversé aux porteurs de part du Sukuk pour une période de 5 ans. La valeur nominale globale du Sukuk est de 1 milliard de dirhams et son rendement locatif (valeur des loyers rapportée à un milliard de DH) est de 2,66%. Une opérations, disons-le, à faible valeur ajoutée économique, mais qui a permis de débloquer la situation et lancer enfin cette première opération souveraine. L'Etat devra, cela dit, faire preuve, selon les observateurs, de plus d'imaginations pour ses prochaines sorties en Sukuk.
Polémique sur la garantie de l'Etat
L'Etat garantit par ailleurs le montant total de l’émission, ce qui a fait grincer des dents certains observateurs du secteur, estimant que la notion de partage des pertes et des profits, chère à la finance islamique et participative, n'est pas respectée. Ahmed Ait Iazza, du Conseil supérieur des Oulémas et Houda Chafil, DG de Maghreb Titrisation, ont du faire preuve de beaucoup de pédagogie financière et chariaatique pour expliquer au parterre de professionnels présents à l'événement la conformité de cette garantie et son utilité sur le plan technique. Pour Ait Iazza, l'indépendance financière des AREF de l'Etat fait que ce dernier est une troisième partie prenante dans l'opération. Selon lui, une troisième partie peut apporter une garantie, à condition de ne pas la faire payer. De plus, cette garantie n'est pas totale puisque les porteurs de part portent le risque de défaut souverain.
C'est aussi ce point que souhaite expliquer Houda Chafil. Selon elle, pour donner un caractère souverain à l'opération, il faut lui faire porter un risque souverain et donc la mettre au même niveau de risque qu'une dette souveraine classique de type Bon du Trésor. Autrement, le prix de l'opération aurait été plus élevé que les 2,66% offerts et les investisseurs n'auraient pas participé à l'opération avec un rendement si faible. En somme, il fallait ajuster le ratio rendement/risque à un niveau offrant un benchmark compétitif. Ait Iazza a précisé et rappelé que le Conseil supérieur des Oulémas et indépendant. Il rassure en indiquant que le CSO a validé le réglement général du Fonds de 48 pages, dans le strict respect des règles chariaatiques.
Sur un registre plus technique, Houda Chafil a précisé que le programme d'émission de Sukuk est ambitieux et peut avoir un potentiel de 10 Mds de dirhams. Le type de Sukuk Ijara est désormais mûr après cette première émission souveraine. D'autres compartiment du Fonds FT Imperium peuvent maintenant être lancés plus facilement s'ils ont le même format.
Al Akhdar Bank : Dépositaire, mais pas que
Al Akhdar Bank a été désigné pour accompagner cette opération en tant qu’établissement dépositaire. Cette banque participative, filiale du Groupe Crédit Agricole du Maroc et de la Société Islamique pour le Développement du Secteur Privé, sera tenue de garder et de conserver les actifs du Fonds de Titrisation. Un marché décroché par Al Akhdar Bank suite à un appel d’offres restreint lancé par Maghreb Titrisation, auquel ont participé plusieurs banques participatives.
Fouad Harraz, Directeur général de la banque, a profité de son intervention pour préciser que sa banque a pris le temps de s'outiller correctement pour cette mission. "Nous avons été accompagnés par CDG Capital pour un transfert de compétences sur le volet dépositaire" a-t-il expliqué. En attendant l'arrivée des Sukuk sur le marché secondaire, qui ne pourront d'ailleurs pas être refinancés auprès de la Banque Centrale comme peuvent l'être les bons du Trésor, du moins au début, Al Akhdar Bank prépare déjà le coup d'après. Le mot n'est pas lâché par Fouad Harraz, mais sa banque veut se positionner sur le corporate. "Nous avons une volonté forte pour accompagner nos clients entreprises dans leur financement, à travers ce type de montages, et ne pas être taxés de banques qui n'accompagnent que le financement immobilier des particuliers", déclare-t-il.
Les banques participatives ont acheté pour 350 MDH de ce fameux Sukuk souverain, permettant aux établissements, qui ne sont pas encore en surchauffe en matière d'exécution des programmes d'investissement et de financement de la clientèle, de placer leur ressources à un rendement certes faibles, mais qui ne demande pas de provisionner des fonds propres en contrepartie grâce, justement, à la garantie de l'Etat.
Badr Benyoussef, Directeur de développement de la Bourse de Casablanca, a d'ailleurs indiqué que le travail sur l'indice Boursier Charia Compliant se poursuit au coté du chantier de la cotation des Sukuk pour ouvrir cette classe d'actifs au retail.
L'arrivée prochaine des compagnies Takaful sur le marché et le développement des OPCI, classe d'actifs facilement intégrable dans la case Charia Compatible, devraient à leur tour fluidifier le marché participatif et lui apporter la liquidité nécessaire pour son fonctionnement, comme le résume souvent le président de l'AMFP, Said Amaghdir.
Comment l’opération est-elle couverte par l'Etat ?
L'opération est couverte par plusieurs mécanismes. D'abord, par les engagements de substitution des droits d’usufruits par l’établissement initiateur, c'est-à-dire que l'Etat doit chercher à remplacer les biens titrisés s'ils devaient être remplacés pour une raison ou une autre.
L'Etat couvre également les engagements de paiement de l’établissement initiateur en cas d’extinction du droit d’usufruit. En cas de défaut du ou des locataires, le compartiment doit recevoir le montant total des loyers qui auraient été dus jusqu’au terme du contrat de louage par le locataire et par le droit d’appeler la garantie de l’Etat.