Finances News Hebdo : L’article 214-V du PLF 2018 ne constitue-t-il pas une violation du droit des clients au secret professionnel ?
Abdelatif Laamrani : En effet, cette nouvelle exigence adoptée vraisemblablement à l'insu des professionnels, sur réquisition de certaines organisations internationales et glissée subversivement dans la Loi de Finances de 2018, sans aucune étude de conformité avec nos lois nationales, forme bel et bien l'infraction de divulgation du secret professionnel avec tous ses éléments constitutifs, telle qu'elle a été prévue par l'article 79 de la loi bancaire qui renvoie à l'article 446 du code pénal marocain.
L'article 79 de la loi bancaire, quant à lui, dispose que : «(...) Toutes personnes appelées, à un titre quelconque, à connaître ou à exploiter des informations se rapportant à ces établissements (de crédit), sont strictement tenues au secret professionnel pour toutes les affaires dont elles ont à connaître, à quel que titre que ce soit, dans les termes et sous peine des sanctions prévues à l’article 446 du code pénal».
Alors que l'article 446 du code pénal prévoit que : «(...) Toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions permanentes ou temporaires, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, ont révélé ces secrets, sont punies de l'emprisonnement d'un mois à six mois et d'une amende de mille deux cent à vingt mille dirhams».
Il faut noter au passage que l'exception évoquée par cet article concernant les dénonciations doit être faite aux autorités judiciaires chargées de la répression des délits et non pas aux autres administrations ou bien à des tiers.
A lire aussi : LF 2018 : Secret bancaire et protection des données personnelles mis à mal
F.N.H. : Quid de la loi 09-08 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel ?
A. L. : Les établissements financiers qui vont, en application de cette disposition communiquer les informations financières personnelles de leurs clients à l'administration fiscale marocaine, dans l'optique d'être transférées aux administrations fiscales étrangères seraient, bien entendu, en violation flagrante des dispositions de la loi que vous avez citée.
Ladite loi a, en effet, déjà mis en place un système de contrôle très rigoureux afin d'obliger tout établissement qui procède aux traitements d'informations à caractère personnel, de désigner un responsable de ce traitement, d'en faire une déclaration ou d'en obtenir une autorisation selon les cas de la Commission nationale de contrôle et de protection des données à caractère personnel sous peine d'une sanction pécuniaire de 10.000 à 100.000 dirhams par infraction.
En outre, le transfert de données à caractère personnel à un État étranger peut être passible des peines prévues par l'article 60 de ladite loi, lorsque les conditions légales de la commission de cette infraction sont réunies...
F.N.H. : Comment le client peut-il faire valoir ses droits ?
A. L. : Un client qui voit ses informations bancaires personnelles divulguées auprès de l'administration fiscale ou auprès de n'importe quelle autre administration sans son consentement, ou bien lorsque ces informations sont partagées avec des administrations étrangères, dispose de toutes les voies légales pour se faire réparer le préjudice subi.
Premièrement, il peut porter plainte au pénal contre l'établissement financier à l'origine de ces indiscrétions, puisque comme il est déjà mentionné, il s'agit d'une infraction au code pénal.
Ensuite, il faudrait qu'il poursuive l'établissement financier au civil pour réclamer des dommages et intérêts compensatoires de son préjudice...
F.N.H. : Pourquoi sur ce sujet précis on favorise les conventions internationales sur le droit national ?
A. L. : Récemment, l'OCDE, en collaboration avec les pays associés au projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), a franchi une nouvelle étape vers l'augmentation de la transparence fiscale.
Ainsi, les modalités de mise en œuvre relatives aux déclarations pays par pays prévues par l'action 13 du projet précité, publié le 8 juin 2015, prévoient que les autorités fiscales échangeront automatiquement des indicateurs clés (tels que les bénéfices, les impôts payés, les actifs de chaque entité, etc.) de groupes d'entreprises multinationales les unes avec les autres, ce qui permettra aux autorités fiscales de faire des évaluations des risques relatifs aux ententes portant sur les prix de transfert et plus généralement les risques relevés par le projet BEPS.
Ces indicateurs peuvent servir de base au déclenchement d'une vérification fiscale. C’est dans ce contexte que l’article 214-V prévu par la Loi de Finances 2018 prévoit que «les établissements de crédit et organismes assimilés, les entreprises d’assurances et de réassurance et toutes autres institutions financières doivent communiquer à l'administration fiscale, selon des modalités fixées par voie réglementaire, les informations requises pour l'application des conventions conclues par le Maroc, permettant un échange automatique d'informations à des fins fiscales».
Mais la question reste posée étant donné que l'OCDE regroupe en général les États avancés et l'on se demande pour quelle raison l'administration fiscale marocaine a pris des engagements de cette nature dans ce cadre au détriment du système bancaire local et du contribuable marocain ?
F.N.H. : Cette mesure ne va-t-elle pas favoriser les circuits illicites ?
A. L. : En effet, l'application de cette mesure risque de fragiliser davantage la relation entre la banque et ses clients, ces derniers considèrent le banquier non seulement comme le dépositaire de leurs fonds mais aussi comme leur confident, d'où l'importance du secret bancaire.
En matière bancaire, le crédit c'est la confiance. Par méfiance ou défiance dans les institutions bancaires, on favoriserait inéluctablement la thésaurisation et le retour vers les circuits illicites... ■
Propos recueillis par Imane Bouhrara