Mohamed Benchaaboun, PDG du groupe BCP
- Le Groupe BCP n’exclut pas de créer une autre holding, à l’image de ABI, pour conquérir d’autres pays d’Afrique.
- Stratégie de croissance, évolution du cadre réglementaire, crédit TVA…, Mohamed Benchaaboun, PDG du groupe BCP, nous dit tout, sans langue de bois.
Finances News Hebdo : Vous avez une stratégie de développement en Afrique très ambitieuse. Quels sont les leviers que vous comptez utiliser pour financer cette croissance ?
Mohamed Benchaaboun : Nous avons les moyens financiers et, potentiellement, des possibilités de lever des capitaux que nous n’avons pas suffisamment utilisées jusqu’à présent.
Ces deux leviers nous permettent de poursuivre notre développement dans cette région du monde. Dans les pays francophones, notre développement se fera à travers Banque Atlantique (ABI), un véhicule qui dispose aujourd’hui de suffisamment de ressources financières consolidées, notamment à travers les 100 millions de dollars apportés par un partenaire externe (Development Partners International - DPI). Et si cela le nécessite, nous mobiliserons les fonds requis afin que notre filiale africaine puisse opérer ses acquisitions.
Nous sommes donc convaincus que le modèle que nous avons adopté avec ABI, où la holding de participation est localisée physiquement dans la région, est la meilleure approche. Le fait de disposer d’une holding à Abidjan nous permet de facto une proximité avec le marché local et les autorités ainsi qu’une meilleure connaissance de l’environnement au sein duquel nous évoluons.
Nous ne pouvons pas tout piloter à partir du Maroc, avec un regard purement marocain, sans passer par le prisme de la lecture locale, ou a minima régionale. C’est cette même approche que nous allons adopter pour nous implanter dans les autres régions du continent.
F.N.H. : Pensez-vous éventuellement avoir un partenaire si vous deviez créer une nouvelle holding pour cibler d’autres régions du continent, étant donné la particularité de certains marchés comme ceux de l’Afrique anglophone notamment ?
M. B. : Nous n’avons pas d’approche dogmatique par rapport à cette question. Ce qui est certain, c’est que nous voulons gérer, autrement dit être le partenaire industriel. Nous avons un métier et une expertise que nous désirons exporter. Mais nous ne sommes pas contre le fait qu’il y ait des partenaires au niveau du capital à partir du moment où nos intérêts convergent. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs avec DPI.
F.N.H. : Dans le cadre de votre développement, est-ce que vous privilégiez le greenfield ou le contrôle de structures existantes ?
M. B. : En ce qui concerne l’activité de microfinance, nous sommes dans le greenfield. Nous faisons notre demande d’agrément et partons d’une feuille blanche. Pour l’activité bancaire et l’assurance, nous sommes dans une perspective d’acquisition de groupes déjà existants en saisissant, entre autres, les opportunités que nous offrent certains groupes qui ont choisi de se retirer de l’Afrique.
F.N.H. : Le cadre réglementaire a beaucoup évolué ces derniers temps. Entre l’IFRS 9, les banques participatives, les établissements de paiement…, n’avez-vous pas l’impression que c’est beaucoup en si peu de temps pour le système bancaire ?
M. B. : Il faut savoir que tout cela nous tire vers le haut. Ces évolutions nous obligent à recruter davantage de cadres aux profils très pointus et nous mettent au diapason de ce qui se fait de mieux dans le monde. L’IFRS 9 par exemple démarre simultanément en Europe et au Maroc. Nous sommes donc dans le peloton de tête en matière de réglementation et de réforme du système bancaire.
F.N.H. : Justement, cela ne contrarie-t-il pas un peu vos ambitions de développement ?
M. B. : Cela nous oblige plutôt à nous structurer, à renforcer nos ressources humaines, mais également à chercher des fonds propres supplémentaires.
Evidemment, nous avons eu le temps de nous y préparer, d’autant que c’était annoncé à l’avance. Il faut que les politiques et les stratégies internes de chaque banque permettent d’anticiper ces évolutions réglementaires pour pouvoir les piloter. Et ce, afin de poursuivre convenablement l’activité normale et déployer efficacement les stratégies de développement ou de croissance externe, comme c’est notre cas actuellement.
F.N.H. : Sur un autre registre, nous avons l’impression que sur le digital soit vous ne communiquez pas assez, soit vous ne faites pas beaucoup de choses. Avec l’arrivée des établissements de paiement, comment comptez-vous vous positionner notamment sur le paiement mobile ?
M. B. : Le Groupe a une offre digitale très fournie, mais peut-être que nous ne communiquons pas assez. Par contre, sur le terrain nous sommes très performants.
Par exemple, nous avons actuellement plus de 2 millions de clients abonnés au service Chaabi Mobile : ils reçoivent quotidiennement des notifications relatives à leurs opérations bancaires. Ce service a démarré en 2000; cela fait donc 18 ans que nous le proposons.
Au niveau de Chaabi Net, nous avons aujourd’hui 920.000 abonnés. Je ne connais pas beaucoup de banques qui peuvent s’en prévaloir.
Par ailleurs, en 2017, nous avons lancé l’ouverture de compte digitalisée. Autrement dit, le client fait tout à partir de chez lui sur le Net, avant de passer à l’agence pour la signature et l’entretien, qui sont obligatoires dans le cadre des règles de vigilance. Nous avons donc réduit le temps d’ouverture des comptes de manière drastique et transformé considérablement la relation au client.
Cette forme d’ouverture de compte est actuellement déployée au niveau de plus de 900 agences.
Nous avons également lancé en 2017 une nouvelle version de Chaabi Net complètement revue, offrant une expérience client aux normes les plus modernes et constituant ainsi la première brique de notre banque omnicanale.
De l’autre côté, l’année 2018 verra le déploiement d’énormément de services en faveur de nos clients. Les crédits aux particuliers vont, par exemple, devenir tous digitalisés à 100%. Et nous procéderons au lancement de la nouvelle version de notre application mobile Pocket Bank.
Nous sommes aussi sur le paiement mobile qui, comme vous le savez, vient tout juste de démarrer.
F.N.H. : Bank Al-Maghrib préconise de communiquer sur le rating des entreprises. Ne pensez-vous pas que cet excès de transparence peut leur nuire ?
M. B. : Ce qui a été pris comme engagement, c’est de remettre à l’entreprise qui le demande son rating. Et on peut aussi lui fournir des explications sur la note qu’elle a obtenue. Si cela peut contribuer à faire en sorte que cette entreprise fasse les efforts nécessaires pour améliorer son rating, c’est tant mieux. Et ce, d’autant qu’elle pourra accéder à des crédits plus facilement et à moindre coût.
C’est évidemment un cercle vertueux pour le patron d’entreprise qui souhaite améliorer sa perception par le système bancaire.
F.N.H. : Concernant le crédit TVA, le ministre des Finances a laissé entendre que le taux de sortie applicable est de 3,5%. Une banque de la place a pourtant reçu un avenant de la DGI dans lequel il est stipulé que ce taux est de 3% la première année. Pour les années qui suivent, il sera indexé sur les bons du Trésor. Quel commentaire en faites-vous ?
M. B. : Les 3,5% correspondent à un engagement de la part du système bancaire. Le spread (la marge) qui est retenu par le système bancaire par rapport à ce taux va rester constant. Si demain les bons du Trésor baissent, évidemment à partir de la deuxième année, le taux va baisser, et vice-versa. Il est normal que l’on ne puisse pas donner aux clients un crédit à un taux inférieur à celui octroyé à l’Etat. Dans tous les pays du monde, l’Etat a le meilleur taux, puisque c’est considéré comme le taux sans risque.
Quelle que soit sa qualité, dès que vous accordez un crédit à une entreprise, il y a une prime de risque intrinsèque au taux de crédit. Sur les cinq prochaines années, nous ne savons pas comment va évoluer le taux directeur, qui est actuellement de 2,25%. Il peut monter demain jusqu’à 2,5 ou 3%, voire baisser : c’est une décision souveraine de la Banque centrale qui, derrière, entraîne une évolution de la rémunération des bons du Trésor. Parallèlement, le refinancement des banques auprès de la Banque centrale ou du marché augmente ou baisse en fonction de cela.
Il faut aussi savoir que le spread est extrêmement bas : quand on donne un crédit sur 5 ans, et en tenant compte du fait que sur le marché le taux des bons du Trésor est actuellement de 3%, il n’y a donc que 50 points de base.
Mais pour les entreprises, cela reste une très bonne opération, particulièrement pour celles qui sont dans une situation tendue en matière de trésorerie. Elle leur permet de remplacer, par exemple, une ligne qui était de 6% par 3,5%. Hormis le gain financier, l’entreprise dispose ainsi d’une nouvelle marge de manœuvre qui lui permet d’augmenter sa capacité d’endettement sur le court terme. ■
Propos recueillis par D. W.