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Communication financière et extra-financière : «Les pratiques des émetteurs sont très contrastées»

Communication financière et extra-financière : «Les pratiques des émetteurs sont très contrastées»

Rachid Belkahia, Associé Gérant de Associés en Gouvernance et vice-président de l’Institut marocain des administrateurs.


 

- L’Autorité marocaine des marchés des capitaux (AMMC) a adopté un projet de modification du livre III de sa circulaire (toujours en con sultation publique) qui tend en effet à s’inspirer des meilleures pratiques internationales. En plus de la publication d’indicateurs trimestriels, les entreprises seront désormais tenues de publier un rapport ESG.  

- Rachid Belkahia, Associé Gérant de Associés en Gouvernance et vice-président de l’Institut marocain des administrateurs (IMA), nous livre son éclairage sur l’état des lieux de la communication financière et extra-financière au Maroc et à l’international, ainsi que quelques pistes d’évolution.

 

 

Finances News Hebdo : Quelle est l’utilité de la communication financière pour les sociétés cotées ?

 

Rachid Belkahia : Pour les sociétés cotées, la communication financière consiste à partager avec le marché (actionnaires, investisseurs, analystes, agences de rating) et le grand public des informations financières les concernant.

Elle permet de répondre aux obligations réglementaires en matière de transparence et de donner au marché, de manière volontaire, une meilleure visibilité sur leurs activités et leurs perspectives de développement.

 


"La capacité à fournir au marché une bonne lisibilité à travers une information précise et crédible constitue un facteur central pour baisser le coût du capital et valoriser le titre"


 

L’information étant généralement inégalement répartie, la capacité à fournir au marché une bonne lisibilité à travers une information précise et crédible constitue un facteur central pour baisser le coût du capital et valoriser le titre d’une part, et pour améliorer la flexibilité financière des entreprises, d’autre part.

Par exemple, l’ouverture de son capital, la levée de fonds imposent de partager sa stratégie, ses résultats, ses perspectives et de répondre aux besoins de sécurité des actionnaires et des investisseurs potentiels dans leurs choix de gestion. Cette ouverture crée la confiance nécessaire avec l’émetteur et satisfait à l’engagement de transparence implicite au moment de l’IPO et au-delà.

C’est pourquoi les régulateurs veillent à préserver cette confiance en assurant le respect de la réglementation et la promotion des bonnes pratiques.

 

 

F.N.H. : Quels sont les enjeux de la communication extra-financière pour les sociétés cotées au plan international ?

 

R. B. : La communication de données extra-financières a considérablement évolué au cours de ces dernières années, à la faveur du renforcement du cadre réglementaire dans beaucoup de pays dans un contexte post-crise financière, de la forte augmentation des encours gérés par les fonds ISR (Investissement socialement responsable) et de la pression croissante de la société civile et des parties prenantes.

Le reporting RSE incarne une démarche d’envergure internationale. Dès 2010, l’Afrique du Sud a ouvert la voie en exigeant des sociétés cotées de publier un rapport intégré qui présente la stratégie de l’entreprise et leur façon de répondre aux enjeux de la planète et de la société. Depuis lors, la France, le Brésil, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Indonésie, le Japon, Singapour ... se sont mobilisés dans la même direction.

De son côté, l’Union européenne a promulgué une directive en 2014 sur l’information extra-financière applicable en 2017.

 


Le reporting RSE est "une tendance de fond qui devrait se maintenir, voire s’accentuer dans les années à venir"


 

Il s’agit donc d’une tendance de fond qui devrait se maintenir, voire s’accentuer dans les années à venir. A travers une meilleure conscience des enjeux sociaux, sociétaux, environnementaux et de gouvernance intégrée dans leur businessmodel, de plus en plus d’entreprises cotées veulent obtenir les meilleurs ratings des agences de notation extra-financières ou encore figurer en tête des indices extra-financiers.

On assiste donc à un véritable changement de paradigme, avec le dépassement de la création de valeur actionnariale et la poussée corrélative de la création de «valeur partagée»; les entreprises pouvant créer de la valeur économique en créant de la valeur sociétale.

 

 

F.N.H. : Existe-t-il un lien entre la performance RSE et la performance financière et boursière ?

 

R. B. : Le modèle du Total Shareholder Return (TSR), qui représente l’ensemble de la valeur créée sur une période donnée, tend à s’essouffler, l’entreprise ne pouvant plus être pilotée dans l’unique perspective de la création de valeur actionnariale.

Deux professeurs de Harvard ont publié à l'été 2017 un article édifiant dans lequel ils démontrent qu’une «focalisation trop importante sur le TSR dans l’objectif d’évaluer les performances d’une entreprise peut provoquer une distorsion dans l’allocation de ses ressources et empêcher une exécution correcte de sa stratégie».

En octobre 2017, le BCG a publié un rapport important intitulé «Total Societal Impacting : A new lens for strategy», qui rappelle que «les parties prenantes exercent de plus en plus la pression sur les entreprises pour qu’elles deviennent sensibles à leurs impacts et à des enjeux sociétaux majeurs comme l’inclusion par l’emploi ou la maîtrise du réchauffement climatique».

Il s’agit d’un changement de paradigme, dans la mesure où l’entreprise ne peut plus se contenter de réduire ses impacts négatifs comme dans la RSE traditionnelle, mais elle doit aussi augmenter ses impacts positifs.

Ainsi, l’amélioration du Total Societal Impacting (TSI) passe par «la volonté d’influencer les impacts au niveau du métier de base afin, sur le long terme, de réduire le risque d’occurrence d’événements négatifs et de créer de nouvelles opportunités, et de ce fait d’améliorer le TSR».

 


"La recherche académique récente conclut que de meilleures performances RSE sont associées à de meilleures performances boursières."


 

La recherche académique récente conclut que de meilleures performances RSE sont associées à de meilleures performances boursières. Ces résultats sont corroborés par une étude récente du BCG qui révèle «un lien concret entre la performance obtenue par l’entreprise sur les critères RSE pertinents pour son secteur d’une part et les multiples de valorisation et les marges d’autre part».

 

 

F.N.H. : Quelle est l’évolution de la situation de la communication financière et extra-financière au Maroc ? Quels sont les éventuels écueils ?

 

R. B. : Le dispositif marocain contenu dans le projet de modification du livre III de la circulaire de l’AMMC s’inscrit en fait dans un chantier plus global qui vise à renforcer et à améliorer la gouvernance des sociétés cotées. Celui-ci repose sur la loi 43-12 sur l’AMMC, la loi 44-12 sur l’APE et sur les innovations contenues dans la loi sur la SA.

Très schématiquement, la loi 43-12 renforce l’indépendance du régulateur et lui confère de nouvelles prérogatives, parmi lesquelles l’habilitation des professionnels, la promotion de l’éducation des épargnants et la supervision des commissaires aux comptes exerçant des mandats au sein de sociétés et organismes soumis à son contrôle.

La loi 44-12 introduit le renforcement de la transparence à travers l’information règlementée en termes de fréquence, contenus, délais et modalités de diffusion. Elle améliore l’intégrité et la sécurité des opérations d’APE ainsi que la transparence du marché en étoffant les obligations d’informations (publications d’indicateurs trimestriels, d’un rapport financier complet au titre du 1er semestre et d’un rapport annuel plus étoffé, de comptes consolidés ...). Elle fixe également les délais et les modalités de l’information règlementée.

Elle introduit le reporting ESG qui va permettre à l’entreprise de démontrer la contribution des actions RSE à la performance économique et financière. Ce même reporting ESG contiendra une information sur l’organisation et le fonctionnement des organes de gouvernance (composition, comités spécialisés, nombre de réunions, assiduité des membres, système d’évaluation du Conseil).

Enfin, la loi sur la SA introduit pour les sociétés cotées l’obligation d’un comité d’audit agissant sous la responsabilité de l’organe de gouvernance. Elle en définit le rôle et les missions. Elle renforce aussi la transparence des sociétés cotées en introduisant des obligations de publication sur le site Internet.

Ce nouveau cadre va incontestablement renforcer la gouvernance des sociétés cotées et contribuer à créer la confiance aux deux bouts de la chaîne d’investissement et avec tout l’écosystème (marché financier, parties prenantes, société civile).

 


Le nouveau dispositif spécifique de communication extra-financière,  "est à l’évidence avant-gardiste et va marquer un progrès sensible par rapport à l’état de l’art actuel"


 

S’agissant du dispositif spécifique de communication extra-financière, celui-ci est à l’évidence avant-gardiste et va marquer un progrès sensible par rapport à l’état de l’art actuel.

Mentionnons au passage que les pratiques de communication financière et extra-financière des sociétés cotées à la Bourse des valeurs de Casablanca sont très contrastées. Certains groupes et grandes sociétés sont très avancés et d’autres émetteurs publient a minima.

Néanmoins, il conviendrait d’éviter certains écueils observés sur d’autres places financières internationales et qui sont liés à la multiplication des supports d’information, des cibles, ou encore des usages, à la pléthore des critères et à la lourdeur des rapports.

La gestion du changement devrait être pédagogique, progressive et les sociétés auront à privilégier des démarches visant la simplification et la pertinence, à la fois grâce à un effort de concision des messages et de sélection des indicateurs. ■

 

 

Propos recueillis par Youssef Seddik

 

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