Contexte social tendu, recettes fiscales en berne, contexte international trouble, baril du pétrole qui repart à la hausse, déficit budgétaire qui glisse dangereusement : la Loi de Finances 2019 a été élaborée dans des conditions particulièrement difficiles.
Au-delà de la vocation sociale de ce budget, Mohamed Benchaâboun fait le pari de redonner confiance aux entreprises pour relancer la croissance.
C’est un Mohamed Benchaâboun très à l'aise dans son nouveau costume de ministre des Finances qui s'est présenté devant la presse, mardi, pour présenter les grandes lignes du projet de Loi de Finances 2019. Entouré de son état-major, avec qui il affiche déjà une certaine complicité, l'ancien patron de la Banque Centrale Populaire a justifié ses choix en matière de politique économique et donné un premier aperçu sur la façon de faire et de voir les choses.
Ce qui frappe d'emblée, c'est à quel point cette Loi de Finances a été élaborée sous la contrainte: contrainte d’un contexte social pour le moins tendu, de recettes fiscales en berne (3 milliards de DH de recettes de l’impôt sur les sociétés de moins que ce qui était prévu en 2018), d'un environnement international particulièrement trouble, d'un baril du pétrole qui ne cesse de grimper et qui a fait gonfler la charge de compensation de 4 milliards de dirhams additionnel.
N'oublions pas aussi les remboursements de TVA qui ont coûté au budget de l'Etat 3 milliards de DH en plus de ce qui était programmée (9,3 milliards de DH au lieu de 6,3 milliards de DH). La masse salariale s’est alourdie de 3,3 milliards de DH, dépassant les 112 milliards de DH, notamment à cause des postes budgétaires créés dans la Santé et l’Enseignement.
Enfin, les différentes réformes entreprises, principalement celles de la régionalisation avancée, des Centres régionaux d’investissement et des retraites, ont eu un impact budgétaire de plus de 2,7 milliards de DH. Au final, les besoins de financement du Trésor se sont accrus de 27 milliards de DH.
Tout ceci a eu pour conséquence d’aggraver le déficit budgétaire, qui devrait finir l’année 2018 autour de 3,8% (contre 3% prévu par la LF 2018), hors privatisations. Notons au passage que c'est la première fois depuis 2012 que le déficit budgétaire se dégrade.
Le Trésor a lui aussi vu son déficit passer de 65,1% en 2017 à 66,7% en 2018. Le déficit du Trésor ne devrait retrouver une trajectoire baissière qu’à partir de 2020, à en croire Fouzia Zaaboul, directrice du Trésor et des Finances extérieures.
Face à cette dégradation des comptes publics, la sanction n’a pas tardé à tomber. Elle est venue de l’agence Standard & Poor’s, qui a revu au début du mois la perspective de la note souveraine de crédit du Maroc de «stable» à «négative».
Un avertissement que le gouvernement a entendu 5 sur 5, puisqu’il s’engage à maîtriser ses équilibres macroéconomiques et qu’il a officiellement sollicité une nouvelle Ligne de précaution et de liquidité (LPL) auprès du Fonds monétaire international. Le Maroc aura bien besoin du parapluie du FMI pour lever de la dette auprès des marchés internationaux, puisque Benchaâboun a confirmé l'intention du gouvernement de sortir à l’international au début de l'année 2019.
Vocation sociale
Avec de telles contraintes, pas facile de mener une politique sociale de grande ampleur. Le gouvernement n'a pas les coudées franches et il doit faire preuve d’ingéniosité pour financer ses programmes (voir encadré). Car, ce projet de Loi de Finances se présente avant tout comme un budget social et solidaire. C’est même le premier des 3 grands axes du budget 2019, conformément aux orientations royales, aux côtés de la réduction des inégalités et du soutien aux entreprises.
L’appui aux politiques sociales se matérialise principalement par l'augmentation des dépenses allouées aux secteurs sociaux, dont l'enseignement et la santé qui verront leurs enveloppes passer respectivement, entre 2018 et 2019, de 62,95 à 68,3 milliards de DH, et de 14,8 à 16,3 Mds de DH.
Une attention particulière sera donnée au programme de lutte contre l’abandon scolaire à travers le programme Tayssir, qui se voit attribuer une enveloppe supplémentaire de 1,54 milliard de DH. «L’abandon scolaire concerne chaque année près de 300.000 élèves pas an. Sur une génération, ce sont près de 7 millions de personnes. C’est une plaie !», affirme Benchaâboun.
Sur le plan de la réduction des inégalités, autre préoccupation de ce gouvernement, la Loi de Finances 2019 instaure une augmentation des taux de l’IS et de l’IR affectés aux régions de 4% à 5%, auxquels s’ajoutent les contributions du budget général à 8,4 milliards de DH. 10% de ces recettes seront affectés au «Fonds de solidarité interrégionale», soit 840 millions de DH.
Par ailleurs, la phase 3 de l’Initiative nationale de développement humain (INDH) sera lancée pour la période 2019-2023 pour un coût global de 18 milliards de DH. Pour 2019, le budget général de l’Etat y contribuera à hauteur de 1,8 milliard de DH. Signalons enfin qu’au niveau du Fonds de développement rural, doté rappelons-le de 50 milliards de DH sur 10 ans, la Loi de Finances a programmé 3,4 milliards de DH de crédit de paiement au titre de 2019 et 4 milliards de DH de crédits d’engagement au titre de 2020.
Redonner confiance aux entreprises
Au-delà des politiques sociales, le gouvernement veut donner une impulsion nouvelle à l’activité économique, qui tourne au ralenti depuis quelques années. Cela passe par un rétablissement de la confiance rompue entre opérateurs du privé et l’Etat.
«Le pari que nous faisons pour l’avenir, c’est que la confiance revienne et que la croissance soit au rendez-vous», déclare le ministre des Finances. Le gouvernement doit, pour cela, donner des gages de «bonne conduite» et de la visibilité aux entreprises. Fini les retards de paiement, l’accumulation des arriérés de TVA et autres pratiques qui ont contribué à affaiblir le tissu entrepreneurial marocain.
Le gouvernement s’engage désormais à respecter toutes les dispositions législatives et réglementaires en la matière. Benchaâboun s’engage donc à l’apurement et à l’accélération des remboursements des crédits de TVA, «un vieux dossier qui a pollué les relations entre l’administration et les entreprises», a commenté le ministre, qui espère que ces remboursements permettront d’apporter de l’énergie à notre économie. «Le remboursement des 40 milliards de DH de crédit TVA permettra d’apporter plus de liquidité à notre économie, de l’irriguer et aux entreprises de respirer», espère Benchaâboun.
Il s’engage aussi à réduire les délais de paiement à travers des mécanismes de monitoring et la mise en place d’une plateforme électronique de traitement des réclamations.
L’appui aux PME et aux TPE occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le ministère des Finances. Des mesures sont prises pour améliorer l’accès au financement à travers la simplification des mécanismes de garantie et le relèvement du plafond de financement par microcrédit. Ce plafond passe de 50.000 dirhams à 150.000 dirhams. Parallèlement à cela, précise Benchaâboun, un mécanisme devant servir à réduire les taux des emprunts sera développé.
Par ailleurs, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires compris entre 300.000 à 1 million de DH auront droit à une réduction du taux d’IS de 20% à 17,5%. «C’est une mesure significative destinée à encourager les PME à investir davantage». ■
Comment financer tout cela ?
Au vu des contraintes sur le budget 2019 évoquées, le gouvernement a dû faire preuve d’imagination pour financer ses programmes. L’équation est simple : «où trouver 27 milliards de DH ?».
Le ministère des Finances a eu recours à la voie classique des hausses d’impôts. L’ensemble des mesures fiscales prises dans le cadre du PLF 2019 devrait rapporter au budget de l’Etat quelque 15 milliards de DH. Citons parmi ces mesures une hausse de la Taxe intérieure de consommation (TIC), notamment sur le tabac, qui devrait rapporter 1,4 milliard de DH supplémentaires au budget de l’Etat. Signalons surtout le retour de la contribution sociale de solidarité, qui devrait renflouer le budget de 2 milliards de DH en 2019.
Notons au passage le relèvement du taux de la cotisation minimale pour les entreprises déficitaires, de 0,50% à 0,75%, à partir du quatrième exercice déficitaire. «Aujourd’hui, 40.000 entreprises marocaines se déclarent en faillite depuis 10 ans», fait observer Benchaâboun pour justifier cette mesure.
Du côté des privatisations des entreprises publiques, le ministre des Finances a indiqué que 5 milliards de DH ont été budgétisés au titre de l’année 2019, sans toutefois révéler les noms des entreprises privatisables. Et il n’y aura pas de report, a insisté Benchaâboun.
Le gouvernement compte également récupérer 2 milliards de DH de recettes provenant de l'amélioration de la gouvernance des entreprises publiques.
Enfin, Benchaâboun a annoncé la mise en place d’un nouveau mécanisme, basé sur le partenariat entre l’Etat et les opérateurs institutionnels, pour le financement des projets d’investissement relatifs aux secteurs sociaux, d’infrastructures, d’agriculture, etc. Montant escompté ? Pas moins de 12 milliards de DH. ■
Amine Elkadiri