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«La qualité de la facture au Maroc laisse à désirer»

«La qualité de la facture au Maroc laisse à désirer»

 

La baisse d’activité en 2015 ne remet pas en cause le trend haussier de l’affacturage au Maroc. Parmi les défis rencontrés par les sociétés d’affacturage, la qualité administrative des factures laisse encore à désirer. Ces lacunes sont l’une des raisons de l’allongement des délais de paiement. Avec la crise qui frappe les entreprises, celles-ci ont davantage recours à la composante prestations de services et assurance-crédit de l’affacturage, plutôt que de se cantonner au financement. Entretien avec Driss Cherif Haouat, Directeur général d’Attijari Factoring.

 

Finances News Hebdo : L’activité de factoring a connu une hausse continue ces der­nières années, avant d’enregis­trer un coup d’arrêt en 2015. Comment analysez-vous ce repli ?

Driss Cherif Haouat : Globalement, sur les 10 dernières années, le trend est haussier. A chaque fois qu’il y a eu un nouvel entrant sur le marché, la production a augmenté. Il y avait deux sociétés de factoring à l’origine qui ont été rejointes par plusieurs entités et départements de banques opérant dans le factoring. Ces nou­veaux entrants ont un réseau bancaire derrière, et mécaniquement il y a une hausse de l’activité. Il y a donc ce que j’appellerai une «croissance naturelle» du factoring qui est issue de l’offre.

La demande de son côté a toujours été là. Elle était certes un peu cachée derrière un certain nombre de facilités bancaires. Mais il ne faut pas perdre de vue que le factoring est un crédit adossé à des créances. Ce n’est pas de la facilité de caisse.

Aujourd’hui, on se rend compte que, de par le monde, le factoring est le produit qui a le plus résisté à la crise financière. A l’échelle internationale, le factoring pèse près de 2.500 mil­liards de dollars, avec des progressions entre 10 et 12 % chaque année. En Europe, où la croissance est atone, le factoring connaît des progressions à deux chiffres justement parce qu’il est adossé à des créances, et donc à l’économie réelle, alors que la facilité de caisse ne l’est pas. Il y a des tran­sactions, et le factor accompagne ces transactions dans les bons et mauvais côtés. D’ailleurs, le slogan de l’un des plus grands factors français est : «nous, c’est l’économie réelle».

Au Maroc, la progression a été éga­lement constante jusqu’en 2014, année qui a connu un pic important notamment parce que les factors ont commencé à toucher quelques gros secteurs comme ceux des hydrocar­bures et des céréales pour financer les créances sur la compensation. L’activité de factoring a effectivement connu un arrêt brutal en 2015 du fait notamment de la réforme de la compensation qui a amené plus de liquidités sur le marché. Mais la base de croissance, le matelas est bien là. Cette baisse est une correction, qui ne remet pas en cause le trend. L’assiette reste bonne.

 

F.N.H. : Il y a cette idée que le développement de l’activité de factoring est intimement lié à la crise économique. Partagez-vous cette assertion ?

D. Ch. H. : Je ne suis pas d’accord avec cette assertion. Lorsqu’il y a crise, il y a une demande en plus, mais celle-ci n’est pas forcément saine. Pourquoi? Parce qu’en temps de crise, les gens viennent avec des impayés. Or, il y a un autre métier spécialisé dans la récu­pération de créances impayées. En fait, en période de difficultés économiques, il y a une demande qui est «réveillée».

Il faut savoir qu’au Maroc, le crédit interentreprises atteint 360 milliards de DH, soit près de 36% du PIB national, ce qui est énorme. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que nous sommes passés de 300 milliards de DH à 360 milliards de DH en 2 ans, soit une progression de 20%. Nous sommes donc dans une situation où la demande va mécaniquement aug­menter. Mais je le répète, ce ne sont pas forcément des créances saines. Le rôle du factor n’est pas de financer des créances d’une année ou deux. Cela n’a pas de sens.

 

F.N.H. : Quels sont les secteurs et les types de clients qui ont davantage recours aux services de factoring ?

D. Ch. H. : Ce qui fait plaisir au Maroc aujourd’hui, c’est que tous les types d’entreprises sont présents. Cela part de la TPE, en passant par la PME et même le Corporate. Et le constat est le même pour ce qui concerne les secteurs d’activité. Toutes les tran­sactions de livraison de marchandises, de prestations de services ou toutes autres transactions commerciales, sont sujettes au factoring. Au Maroc, il y a déjà une expertise rodée sur cer­tains secteurs, mais nous sommes constamment à la recherche de nou­veautés. Cela se fait à dose homéo­pathique. Nous ciblons un nouveau secteur, nous signons un contrat ou deux, nous attendons de voir comment les transactions vont se dérouler. Si cela marche nous dupliquons, sinon, nous nous arrêtons.

 

F.N.H. : Y compris le BTP ?

D. Ch. H. : Nous le faisons aussi pour le BTP, même si c’est une anomalie. Quand la demande est bien cernée par des documents, etc. cela peut se faire. Dans ce secteur, c’est la nature même de la transaction qui pose problème. Le sous-jacent, par exemple l’état d’avan­cement des travaux, peut être remis en cause.

 

F.N.H. : Quelles sont les autres difficultés rencontrées ?

D. Ch. H. : Les justificatifs de la tran­saction et la qualité administrative de la facture au Maroc laissent encore à désirer. Généralement, les entreprises offrent de très bons produits et ser­vices. Preuve en est, elles sont agréées par les grands donneurs d’ordre. L’entreprise investit énormément dans la machine, le marketing, etc. Mais lorsqu’on touche au côté juridique, le fournisseur estime à tort qu’il n’y a pas franchement besoin d’investir, et on se retrouve parfois démuni. Soit il y a absence de contrat ou bien le contrat est fait beaucoup plus en faveur du donneur d’ordre. Dans les pays anglo-saxons, c’est d’abord le contrat qui prime, et par la suite on fabrique.

 

F.N.H. : Ces lacunes en termes de qualité de la facture sont un facteur de risque important pour vous ?

D. Ch. H. : Tout à fait. C’est même le risque majeur. Le factoring, c’est certes la défaillance financière clas­sique, mais c’est surtout la qualité de la facture et de la prestation. Car c’est là où il y a un risque d’impayé c’est lorsque la facture ou la prestation est mal ficelée. Les délais de paiement sont très longs au Maroc, certes, mais il y a une grande partie de cette situation qui reste de la responsabilité du vendeur, surtout lorsqu’il y a des multinationales en face. Vous pouvez livrer les meilleurs produits du monde et resté deux années sans être payé parce que la qualité de la facture laisse à désirer.

Depuis la fin 2014 et jusqu’à aujourd’hui, nous découvrons d’autres risques, comme par exemple des grands groupes qui disparaissent. En tant que factor, nous sommes les pre­miers touchés, positivement ou néga­tivement, avant même les banques. Nous sommes les premiers «fusibles», car, encore une fois, nous collons à la réalité. Maintenant si le travail est fait correctement, si nous ne nous écar­tons pas des fondamentaux, les choses se déroulent relativement bien.

 

F.N.H. : Les entreprises qui ont recours au factoring sollicitent-elles davantage les autres ser­vices à valeur ajoutée proposés (assurance-crédit, garanties, etc.) plutôt que de se cantonner à sa seule composante finance­ment ? Quid du coût de ses ser­vices ? Sont-ils encore élevés ?

D. Ch. H. : Avec la crise qui a tou­ché les entreprises en 2014 et 2015, celles-ci se sont rendu compte que leur référentiel n’était plus le même. Les défaillances de grands groupes sont désormais une réalité. Nous leur disons qu’il y a des mécanismes qui permettent d’amortir le choc, comme l’assurance-crédit, lorsqu’il y a des disparitions importantes de contrepar­ties. Dans notre activité de suivi et de recouvrement, il nous arrive de relever des défaillances techniques et administratives, mais pas financières. Nous les prévenons : «attention, sur les 6 derniers mois, lorsque nous faisions le recouvrement, il y avait souvent ces insuffisances qui vous pénalisent». Mais ensemble nous arrivons à identifier les blocages de paiement. Aujourd’hui, la clientèle marocaine est devenue plus alerte, que ce soit au niveau de l’assu­rance-crédit pure ou bien chez les fac­tors. Les clients commencent à nous approcher différemment et solliciter la composante prestations de services et assurance-crédit, alors qu’auparavant c’était essentiellement du financement.

Contrairement à une banque, le fac­tor supporte un risque de défaillance élevé, sachant qu’il ne prend pas d’hypothèque. Son premier et dernier recours c’est la créance. C’est la rai­son pour laquelle il y a une prime de risque. Par ailleurs, les clients paient la commission, parce qu’il y a un service et une technicité dont ne disposent pas les banques. Le factor essaye de rehausser le niveau du risque en le transposant de l’adhérent (le client) vers le débiteur, qui est généralement mieux coté (comme dans le cas d’une TPE qui n’est pas bancable mais qui a un bon portefeuille client). Il faut savoir aussi que le recouvrement au Maroc coûte très cher et mobilise beaucoup de moyens, sans parler de toutes les autres prestations de services qui, à mes yeux, ne sont pas appréciées à leur juste valeur.

Sachez qu’aujourd’hui, avec la guerre concurrentielle que se livrent les fac­tors, la commission a considérablement baissé. J’estime que cette baisse de la rémunération ne va pas dans le même sens que la remontée des risques. Cela laisse présager des moments difficiles qui aboutiront à un rééquilibrage et une auto-régulation du marché, mais à quel prix ?

 

 

Propos recueillis par Amine El Kadiri

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