- L’Espagne s’apprête à recruter 16.000 saisonnières marocaines, contre 2.000 en 2017.
- Les agriculteurs marocains craignent une pénurie de main-d’œuvre.
- En 4 ans, le salaire journalier des ouvriers agricoles a quasiment doublé, passant de 55 DH/j à 100 DH/j.
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Le recrutement d’environ 16.000 saisonnières marocaines, au lieu de 2.000 l’an dernier, par les producteurs de fruits rouges espagnols, compromet sérieusement la récolte, le conditionnement, voire même l’exportation des fruits rouges (fraises, myrtilles et framboises) marocains.
Selon les professionnels de la filière, cette inflation migratoire fait planer le risque d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée au niveau des régions de production, notamment dans la plaine du Gharb.
Les producteurs et les agro-industriels marocains tirent la sonnette d’alarme face à cette montée en puissance des recrutements. «A partir d’avril, période de récolte, les agriculteurs comme les agro-industriels seront confrontés à un problème de taille, à savoir la rareté de la main-d’œuvre», nous précise
Abdellatif Bennani, président de l’Association marocaine des producteurs de fruits rouges (AMPFR).
Pour augmenter sa productivité agricole et palier le déficit de main-d’œuvre agricole, l’Espagne s’appuie sur l’accord bilatéral signé avec le Maroc en 2001. Cet accord met à la disposition du voisin ibérique un gisement d’ouvrières qualifiées, à portée de main, et à des prix compétitifs, dans lequel les exploitants espagnols puisent en cas de besoin. Sauf que cette exportation se fait au détriment de la production agricole nationale.
En effet, l’impact de cette migration saisonnière sur le rendement, l’exportation, la balance commerciale et in fine sur l’économie nationale, n’est pas anodin. Car en exportant ses saisonnières, le Maroc soumet son propre secteur agricole à plusieurs contraintes.
Renchérissement du coût de la main-d’œuvre
La première est relative à la hausse du coût de la main-d’œuvre au niveau de toute la chaîne agricole.
«En 4 ans, le salaire journalier des ouvriers agricoles a quasiment doublé passant de 55 DH par jour à 100 DH par jour», explique Abdellatif Bennani.
A noter que le recrutement des saisonnières se fait dans les régions de production, là où les ouvrières sont déjà formées et qualifiées. Les agriculteurs marocains sont donc contraints de chercher des ouvriers non qualifiés, parfois à des dizaines de kilomètres des exploitations. Ce qui engendre, bien entendu, des frais supplémentaires de transport (environ 30 DH/personne). Le coût de la main-d’œuvre passe ainsi de 69,73 DH/j, salaire minimum agricole garanti (SMAG) à 100 DH/j.
Ce renchérissement a des répercussions non seulement sur la productivité agricole, mais aussi sur la compétitivité des produits marocains à l’export.
Les produits marocains moins compétitifs
Deuxième contrainte, et non des moindres, avec cette main-d’œuvre marocaine meilleur marché que son homologue espagnole, les producteurs ibériques parviennent à restreindre leur prix de production, à améliorer leur marge et donc à être plus compétitifs sur le marché européen.
En d’autres termes, le Maroc perd des parts de marché en faveur de son voisin du nord. Ce qui est pénalisant pour les producteurs nationaux qui n’arrivent pas à concurrencer les Espagnols sur le marché international.
«Si les Espagnols n’avaient pas accès à cette ressource humaine, ils abandonneraient la culture des fruits rouges. Cela créerait un potentiel plus important pour les producteurs marocains», précise Abdellatif Bennani.
En effet, avec moins de fruits rouges espagnols sur le marché international, le Maroc exporterait davantage, à des prix plus avantageux. Cela permettrait de booster nos exportations agricoles, d’alléger notre balance commerciale et surtout protéger les intérêts de toute une filière. ■
Des critères de sélection très stricts
C’est à l’Agence nationale de la promotion de l’emploi et des compétences (Anapec) que revient la charge de sélectionner les 16.000 saisonnières demandées par l’Espagne. Femmes expérimentées, âgées entre 30 à 40 ans, mariées et avec enfants, tels sont les critères d’éligibilité qui garantissent le retour des saisonnières au Maroc, une fois leur contrat arrivé à terme. Ces critères, ainsi que les conditions de travail et de vie des travailleurs, ont longtemps été dénoncés par les associations de droits de l’homme. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) avait ainsi publié en janvier 2012 un rapport accablant, mettant à nu le non-respect des droits des travailleurs immigrés en Espagne, en particulier les Marocaines recrutées pour la cueillette des fraises. Ce rapport avait pointé du doigt les entreprises espagnoles, mais aussi les autorités marocaines qui ne veillaient pas assez aux respects des droits des émigrés marocains.
L. Boumahrou