Rachid Outariatte, président de l'Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB)
La réforme de la loi sur le prêt-emprunt de titres est dans le circuit législatif. Elle permettra d'apporter un nouveau souffle aux volumes sur différents compartiments du marché des capitaux.
Le point avec Rachid Outariatte, président de l'Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB), également Directeur général de CDG Capital Bourse.
Finances News Hebdo : Pensez-vous que l'encouragement du prêt-emprunt de titres est une solution crédible pour relancer les volumes sur les actions ?
Rachid Outariatte : Tout d'abord, je tiens à signaler qu'au sein de l'Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB), nous avons identifié une série de mesures permettant de relancer l'activité sur le marché actions et sur lesquelles nous allons démarrer un travail de pédagogie et d'information. Le prêt-emprunt de titres en fait partie. Cet outil simple est l’une des solutions les plus efficaces pour apporter de la liquidité sur notre marché marqué par un faible flottant.
Ce mécanisme est un préalable à la vente à découvert et permet de réinjecter une partie des titres détenus par les investisseurs institutionnels dans le marché, en suivant un schéma qu'il me semble utile de rappeler : un investisseur de long terme, appelé prêteur, peut décider de transférer momentanément une partie de son stock d'actions non utilisées, à un investisseur appelé emprunteur, qui s'engage à restituer les titres dans un délai fixé contractuellement.
Sur le marché actions, cette opération permet par exemple à l'emprunteur de parier sur la baisse d'un titre en le vendant, puis en le rachetant moins cher. C'est ce que l'on appelle la vente à découvert. Ceci génère des gains si le titre baisse. L'investisseur prend, bien sûr, le risque de constater une perte si la valeur de l'action vendue grimpe, car il devra la racheter plus cher pour la restituer au prêteur.
Au final, le prêteur diversifie ses revenus en rentabilisant son stock dormant d'actions en les prêtant; l'emprunteur peut profiter des périodes de baisse des cours; l’épargnant qui investit dans des OPCVM qui font jouer ces mécanismes, en profite également; et le dépositaire par qui ont transité les titres encaisse des fees de gestion.
Un autre métier va être créé par cette loi : il s’agit de l'agent de calcul, qui sera chargé de gérer les opérations prêteuses emprunteuses et procéder aux appels de marge. Ainsi, on constate que c'est un marché complet qui se met en place autour de ce mécanisme.
Notez également que la vente à découvert est un préalable pour lancer les nouveaux produits dérivés et les ETF que la Bourse de Casablanca songe à mettre en place. Les Markets Makers devront impérativement pouvoir s'exposer à la hausse et à la baisse. Le prêt-emprunt de titres sur actions jouera alors pleinement son rôle.
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F.N.H. : Aujourd'hui, le gros des volumes de prêt-emprunt concerne les bons du Trésor. L'AMMC a officiellement indiqué qu'une réforme de la loi est nécessaire pour orienter ces mécanismes vers les actions. A votre avis, sur quel niveau doit porter cet amendement de la loi pour mieux couvrir les actions ?
R. O. : Effectivement, le prêt-emprunt de titres ne porte que marginalement sur les actions actuellement. Sachez que dès la sortie de la loi régissant cette activité, les professionnels, dont notre association, sont montés au créneau pour proposer des amendements. Car, dans sa structure actuelle, la loi comporte au moins deux freins à son application sur les actions. Il s'agit d'abord de l'absence de l'anonymat entre le prêteur et l'emprunteur, c'est-à-dire que le prêteur connait l'emprunteur et donc ses intentions. Or, lorsqu’on veut faire ces opérations au comptant et les fluidifier, le critère de l'anonymat devient déterminant.
Le deuxième frein est l'absence d'une logique de pool dans l'intermédiation. Agir en pool consiste pour un dépositaire à récolter l'offre de papier auprès de ses clients institutionnels, puis de l'offrir, dans le cadre d'un mandat, à des emprunteurs qui ont des avis négatifs sur ces titres. Encourager cette activité commerciale chez les dépositaires peut à son tour dynamiser le prêt-emprunt d'actions.
Pour répondre à votre question, le Trésor a en effet préparé une réforme de la loi qui est actuellement dans le circuit législatif. Elle s'inspire du modèle anglo-saxon en étant adaptable au contexte de marché. Ce projet de loi permet de gérer le prêt-emprunt sous forme de pool, apporte l'anonymat, et ouvre le prêt-emprunt aux étrangers et aux personnes physiques répondant à certains critères. En vertu de ces amendements, l'AMMC pourra aussi réduire le périmètre des titres concernés par la vente à découvert. L'Autorité pourra même décider d'activer ou désactiver le mécanisme, si cela est nécessaire.
Ces amendements ont été appréciés par l'ensemble des professionnels et toutes les parties prenantes, qu'ils soient asset-managers, brokers ou intervenants, y adhèrent totalement. Il faut rappeler que l'un des freins au développement de notre marché est l’existence de volumes quand le marché est à la hausse et leur disparition quand il est baissier. C'est pour cela que l'on estime qu'il est urgent de faire aboutir cette réforme et donner un nouveau souffle à notre marché.
F.N.H. : Les détracteurs de la vente à découvert estiment que ce mécanisme a tendance à exagérer la baisse des cours. Que répondez-vous à cela ?
R. O. : L'évolution à la hausse et à la baisse fait partie de la vie normale d'un marché boursier. La vente à découvert permet à des investisseurs qui ont un avis négatif sur des valeurs, ou sur un marché, d'exprimer leurs convictions au lieu de rester à l'écart. Regardez l'histoire des marchés financiers efficients, les Etats-Unis en tête. Les Bourses y avaient corrigé très fortement durant la crise de 2008, parce que les fondamentaux le justifiaient. Depuis, ces marchés ont repris de plus belle pour atteindre des sommets historiques au début de cette année, là aussi portés par des fondamentaux. Le marché a toujours raison, mais pour cela, il doit permettre de pricer correctement les fondamentaux. Notre marché dispose d'une capitalisation relativement importante, mais demeure peu liquide. En améliorant la liquidité, on permet à cette capitalisation de refléter les fondamentaux réels et donc, au marché, d'être plus efficient.
Je reviens à ce qui a été dit tout à l'heure pour rappeler que dans le cadre de l'amendement de la loi, l'AMMC pourra suspendre ou interdire temporairement les ventes à découvert et donc limiter les baisses exagérées quand les conditions de marché sont difficiles. Ces mêmes procédures sont utilisées dans les marchés développés en Europe ou aux Etats-Unis. ■
Propos recueillis par A. Hlimi