L’utilisation massive du gaz butane dans l’agriculture illustre le retard enregistré dans la stratégie énergétique dans son volet efficacité. Si les banques jouent le jeu en offrant des formules adaptées aux agriculteurs, l’Etat ne fournit pas encore l’effort nécessaire.
Tout laisse prédire que valeur aujourd’hui, l’efficacité énergétique (EE), recommandée dans de nombreux secteurs d’activité pour asseoir un développement durable, est un vœu pieux. La révision de l’objectif de la contribution de l’efficacité dans le bouquet énergétique d’un taux de 12% à 5% à l’horizon 2020 est un signe avant-coureur que la stratégie piétine dans ce volet. Plus qu’un comportement, une attitude, voire même un réflexe, l’efficacité énergétique ou la consommation rationnelle de l’énergie n’est pas encore ancrée dans les habitudes des citoyens. Rien que pour le gaz butane (subventionné) qui reste massivement utilisé pour des besoins autres que la cuisson, nous sommes tentés de dire que l’EE est au stade de projet.
Interrogé sur l’impact de la subvention sur l’efficacité énergétique, Said Mouline, Directeur général de l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique (AMEE) explique : «Il est tout à fait normal que le citoyen, lorsqu’il doit investir dans un chauffe-eau pour son domicile ou dans une pompe pour son irrigation, choisisse ce qui lui reviendra moins cher». Et d’ajouter : «Aujourd’hui, avec la subvention, il s’oriente naturellement vers le gaz butane alors que d’autres solutions existent».
Pas de dispositions incitatives
Depuis 2013, année des Assises sur l’agriculture, une convention a été signée entre l’ex-ADEREE (AMEE) et les départements de l’Agriculture et de l’Energie pour le développement du pompage solaire (ensemble de panneaux photovoltaïques qui transforment l’énergie solaire en électricité) dans le secteur de l’agriculture. Depuis, l’Agence a mis en place et testé divers types de pompes solaires à travers le Royaume. Plus d’une trentaine de projets pilotes a été réalisée. Le suivi technique de ces projets a permis d’évaluer les performances du matériel installé et de mettre au point des programmes de diffusion de stations de pompage photovoltaïques (PV) à l’échelle nationale. Et ce eu égard à leurs caractéristiques censées répondre aux exigences de développement durable et d’économie d’énergie. Pour le pompage solaire, le retour sur investissement est assuré à partir de 3 ans en substitution au gasoil et de 7 ans en substitution au gaz butane subventionné, sachant que la durée de vie du système solaire photovoltaïque est de 25 ans. En dehors des projets pilotes, rien de concret.
Ce retard affiché dans le pompage solaire n’est pas pour plaire aux responsables qui prétendent que des avancées sont réalisées. Ils demeurent pour autant sceptiques à fournir des chiffres à même de refléter son état d’avancement.
Pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, il est important de rappeler que les grandes banques de la place ont accepté de jouer le je. Elles mettent à la disposition des agriculteurs des offres adaptées à l’efficacité énergétique. C’est donc du côté de l’Etat que ça piétine. On note une absence de dispositions fiscales incitatives à même d’encourager les agriculteurs à recourir au pompage solaire.
Le programme national d’une puissance totale installée de 15 MW-crêtes (PV) dont le coût global est estimé à 2,5 Mds de DH est en cours d’élaboration. Les ministères de l’Energie, de l’Agriculture, de l’Economie et des Finances ainsi que l’AMEE ont tenu une série de réunions pour mettre en place de nouveaux mécanismes. Des mécanismes que malheureusement nous ne retrouvons nulle part dans le PLF 2018. Ce que d’aucuns plus audacieux qualifient de manque de courage politique.
Toujours est-il que si le pompage solaire permet d’économiser l’énergie, il est tout aussi indispensable de préserver l’eau. «A force de pomper l’eau de manière exagérée, on risque d’épuiser la nappe phréatique», avise un professionnel.
Focus sur les risques financiers
Les avantages du pompage photovoltaïque sont indéniables, mais il ne faut pas perdre de vue certains risques financiers :
Le coût d’investissement représente le principal obstacle au déploiement du photovoltaïque aujourd’hui ;
L’absence de subventions étatiques ;
L’accès insuffisant aux investissements et au capital d’exploitation ;
Le crédit plafonné pour les agriculteurs sans titre foncier ;
Le coût du remplacement des panneaux en cas de vol ou endommagement ;
Le retard ou non remboursement des échéances aux banques par les agriculteurs.
Quand la subvention fausse l’efficacité énergétique
Le gaz butane est subventionné pour que les foyers les plus démunis puissent bénéficier d’une énergie abordable pour la cuisson et aussi pour combattre la déforestation du pays. Entres autres usages, celui orienté vers l’agriculture suscite des appréhensions chez les soucieux du déficit budgétaire. Cette source d’énergie absorbe plus de 85% du budget alloué à la compensation. La charge de compensation du gaz butane a enregistré 7,06 Mds de DH en 2016. Des chiffres qui donnent le tournis aux fervents défenseurs de la décompensation du gaz butane. Tant que le gaz butane est subventionné et en l’absence de mesures fiscales incitatives, le recours au pompage solaire sera difficile.
S. Es-siari