Huiles alimentaires usagées : un manque à gagner de 1 Md de DH

Huiles alimentaires usagées : un manque à gagner de 1 Md de DH

 

Depuis la signature des conventions-cadres pour la valorisation des déchets, la filière des huiles usagées alimentaires attend toujours la mise en place d’un cadre réglementaire. Un vide juridique qui n’est pas sans conséquences économique, environnementale, sanitaire et sociale.

 

Cela fait deux ans que la filière de la valorisation des huiles usagées alimentaires est dans l’attente d’un cadre réglementaire. En effet, depuis la signature en octobre 2015 d’une convention-cadre entre les pouvoirs publics et les opérateurs du secteur, en ligne avec la politique d’émergence des filières vertes (voir encadré), rien n’a été fait.

Pourtant, la mise en place d’un arsenal juridique est capitale, voire urgente, pour mettre de l’ordre dans ce secteur monopolisé par l’informel. Les opérateurs, qui manquent de visibilité, ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur les conséquences de ce vide juridique. Le manque à gagner est énorme et les risques sur l’environnement et la santé publique le sont davantage. Chiffres à l’appui, le marché marocain consomme environ 500.000 tonnes d’huiles alimentaires par an avec un potentiel de valorisation estimé à 20%. Un gisement de 100.000 tonnes/an (70.000 tonnes générées par les foyers et 30.000 tonnes par les professionnels de la restauration et les industriels) évalué à 1 Md de DH et qui échappe toujours au circuit formel.

«Vide juridique; non-obligation des restaurateurs/hôteliers et industriels à faire collecter leurs huiles par des opérateurs agréés; absence de traçabilité; manque de communication sur l’enjeu de la valorisation et absence de fonds pour financer la filière, tels sont les problèmes qui marquent l’environnement dans lequel nous opérons (5 à 6 entreprises). Un environnement malsain, dont les conséquences sur l’avenir de la filière ne sont pas négligeables», nous explique Youssef Chaqor, Directeur général de Kilimanjaro Environnement, entreprise écologique spécialisée dans la collecte et la valorisation des huiles alimentaires usagées. Des freins majeurs qui expliquent le faible taux de pénétration de la filière, soit à peine 5%.

En effet, seules 5.000 tonnes des 30.000 générées par les professionnels (soit 16%) sont collectées et valorisées. Le reste, soit environ 95% des huiles usagées, est rejeté dans les égouts et finit malheureusement dans la nature. «Il y a encore du chemin à faire pour capturer les 30.000 tonnes et relever les enjeux économiques, sanitaires, environnementaux, mais également sociaux, notamment en matière de création d’emplois verts estimés à 5.000 pour les 10 prochaines années», déplore Youssef Chaqor.

Et d’ajouter : «Nous avons déjà soumis au ministère du Développement durable des propositions de décret, mais nous n’avons toujours pas eu de réponse». Contacté par nos soins, le ministère du Développement durable a affirmé, pour sa part, que les textes réglementaires sont toujours en cours de préparation, sans préciser quel en est l’état d’avancement.

 

A quand l’utilisation du biocarburant ?

 

Si aujourd’hui cette filière est toujours au stade embryonnaire, c’est à cause de l’absence d’une demande en biocarburants. En effet, au Maroc, l’utilisation de ce carburant d’origine non fossile n’est pas à l’ordre du jour malgré les enjeux environnementaux et économiques.

En France, à titre d’exemple, l’incorporation du biocarburant dans le combustible est obligatoire, puisqu’elle permet de réduire de 88% les émissions de CO2 par rapport à 1 l de gasoil normal. Raison pour laquelle les huiles usagées valorisées au Maroc sont destinées à l’export, principalement vers le marché européen. Un marché de plus en plus demandeur, surtout avec la décision de l’Union européenne de porter la part des biocarburants sur le marché des carburants destinés aux transports à 10% à l’horizon 2020. «C’est pourquoi nous appelons les autorités à accélérer le processus réglementaire mais aussi d’instaurer le principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP) qui permettra à la filière de se financer, d’accélérer le rythme de développement et de sensibiliser davantage sur l’enjeu de la valorisation», fait savoir le DG de Kilimanjaro. Dans le même ordre d’idées, les acteurs du secteur ont proposé la mise en place d’une écotaxe de 10 centimes/litre aux producteurs pour remédier à cette situation et booster le secteur. 

 

L’informel gagne  du terrain

 

L’urgence est de mise surtout qu’en l’absence d’un cadre réglementaire, l’informel gagne du terrain. Environ 5.000 tonnes de huiles usagées atterrissent aujourd’hui dans le circuit informel. Un chiffre alarmant si l’on tient compte des risques sanitaires. Car, parmi les usages les plus dangereux, figure la réutilisation des huiles (légèrement filtrées) dans les filières alimentaires. Ecoulée sur le marché informel, cette huile est réutilisée par certains restaurateurs véreux qui ne mesurent pas le niveau de risque de ces produits pouvant être à l’origine d’une catastrophe sanitaire comme celle vécue par le Maroc dans les années 50, plus connue sous le nom des huiles frelatées.

«Le différentiel du prix fait que la tentation pour ces produits est plus importante et à la fois alarmante. C’est pour cela qu’il est impératif de se prémunir de ce risque qui peut être désastreux», tient à mettre en garde Youssef Chaqor. Une appréhension qui s’explique par l’intérêt grandissant de nouveaux opérateurs informels pour ce business juteux, faute d’un dispositif de contrôle fiable et efficace.

 


Quid de la filière HLU ?

Contrairement à la filière des huiles usagées alimentaires, celle relative à la valorisation des huiles lubrifiantes usagées (HLU) est bel et bien soumise au décret n° 2-14- 85 relatif à la gestion des déchets dangereux. En plus d’un cadre réglementaire, le ministère de tutelle a travaillé depuis la signature de ladite convention pour l’instauration du principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP), à savoir les producteurs/importateurs des huiles neuves. «Ce principe sera matérialisé à travers l’acquittement d’une écotaxe qui devait servir au financement des subventions qui seraient attribuées aux unités de régénération des HLU. Dans ce cadre, une demande a été transmise au ministère de l’Economie et des Finances pour l’introduction de ladite écotaxe dans la Loi de Finances 2018», précise le ministère. Un projet d’arrêté relatif à la gestion des huiles usagées a été également élaboré et finalisé. Là aussi, l’objectif étant de faire face à l’informel et de tirer vers le haut cette filière à fort potentiel. «La principale contrainte à laquelle se heurte l’organisation de la filière de valorisation des HUL est la présence d’une intense activité informelle de récupération et de valorisation de ces déchets. Cette activité informelle opère sans respecter les dispositions réglementaires en vigueur et dans des conditions environnementales et sanitaires déplorables. Cette situation se traduit par des impacts négatifs sur l’environnement», précise le ministère. Pour y remédier, les autorités prévoient, dans le cadre du schéma d’organisation proposé, d’intégrer ce secteur informel dans la filière.


 


Des conventions cadres pour faire émerger les métiers verts

Dans l'objectif de répondre aux problématiques liées aux activités de gestion et de valorisation des déchets, le ministère chargé de l'Environnement, ceux de l'Intérieur, de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie numérique, la Fédération des industries forestières, des arts graphiques et de l'emballages (FIFAGE), le Groupement des pétroliers marocains (GPM), et Eco-Gras avaient signé, en 2015, trois conventions-cadres. Des accords qui portent sur la mise en place au Maroc de filières de valorisation écologique des papiers et cartons, des huiles lubrifiantes usagées et des huiles alimentaires usagées. Trois filières de valorisation écologique qui permettront de recycler 140.000 tonnes de cartons, 70.000 tonnes d'huiles lubrifiantes usagées et 105.000 tonnes d'huiles alimentaires usagées et de créer respectivement 11.000, 2.000 et 2.600 emplois.


 

Par Lamiae Boumahrou

 

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