Entretien : «Le partenariat public-privé n’est pas exempt de risques»

Entretien : «Le partenariat public-privé n’est pas exempt de risques»

 

La loi n°86-12 relative au PPP a mis un terme au vide juridique qui existait auparavant. Dr. Hassane El Arafi, professeur de finances publiques et politiques publiques à l’Université Mohammed V, nous éclaire sur les avantages de cette loi et, surtout, comment les parties contractantes devraient s’y prendre pour que cette formule de financement ne soit réduite à néant.

 

 

Finances News Hebdo : Avec l’adoption au Maroc, il y a pratiquement deux ans, d’un nouveau dispositif juridique régissant le PPP, pouvez-vous nous éclairer sur les opportunités offertes par ce mode de contractualisation entre le secteur public et le secteur privé ?

 

Hassane Al Arafi : Justement, avec l’entrée en vigueur de la loi n° 86-12 relative au PPP le 4 juin 2015, date de publication du décret n°2-15-45 du 13 mai 2015 pris pour son application, on peut dire que le Maroc dispose, désormais, d’un mode de gestion intelligent et formellement règlementé, susceptible de contribuer efficacement au financement croisé des besoins collectifs, notamment les équipements publics.

Sur le plan micro, par rapport aux autres modes de gestion des services publics classiques (gestion déléguée, affermage, régie directe, marchés publics, etc.), un contrat de PPP permet à l’organisme public d’attribuer une mission intégrée englobant à la fois le financement, la conception, la réalisation, l’exploitation et la maintenance d’un ouvrage public. Le partenaire est rémunéré selon le cas d’espèce : soit directement par le maître de l’organisme public cocontractant à travers le versement de loyers selon des modalités contractuelles bien définies, soit indirectement moyennant des redevances ou des droits versés par les usagers bénéficiaires des services rendus par le partenaire.

Sur le plan macro, le PPP tel que pratiqué aujourd’hui dans le benchmarking international offre des avantages certains :

1) compléter les capacités limitées du secteur public pour répondre à la demande croissante en équipements publics ;

2) exiger un certain degré de certitude budgétaire en définissant les coûts des projets d'infrastructure présents et à venir au cours du temps ;

3) diversifier l'économie nationale en créant des effets d’entraînement de son industrie associés au développement des infrastructures (tels que la construction, l'équipement, les services de soutien, etc.);

4) dégager un rapport qualité/prix à long terme grâce à un transfert de risques adéquat vers le secteur privé tout au long du projet, de la conception/ construction à l'exploitation/l'entretien.

 

F.N.H. : Estimez-vous que le contrat de PPP est une solution avantageuse et certaine par rapport aux autres modes de gestion, pour résoudre la problématique de financement et de gestion des grands projets publics ?

 

H. E. A. : Non, il est prétentieux, voire allusif de cautionner le contrat de PPP comme la solution magique pour répondre à la problématique de financement et de gestion des grands projets publics.

Il reste in fine un mode de gestion parmi d’autres (gestion déléguée, création de société de développement local, affermage, mise en régie, marchés publics) qu’il faudra soumettre à une logique d’arbitrage pour prendre la bonne décision.

Une étude de faisabilité, assortie à une matrice d’arbitrage entre les différents scénarios de gestion de services publics est requise, sous peine de réduire le choix pour le PPP en effet de mode.

En plus, il ne faut pas perdre de vue que le succès d’un service public ne dépend pas du statut de son mode de gestion, mais de sa bonne gouvernance, quel que soit le mode pour lequel on a opté.

 

F.N.H. : Seulement, partant de l’expérience de la gestion déléguée, qui n’est pas d’ailleurs sans accros, ce nouveau contrat PPP n’est-il pas pourvu à son tour de risques potentiels ?

 

H. E. A. : Qu’il s’agisse de la gestion déléguée, du PPP ou d’un autre mode de gestion des services publics, les risques potentiels sont, en soi, omniprésents et inhérents à son processus. Il ne faut avoir aucune aversion à cet égard.

Le hic n’est pas dans l’existence de risques ou dans la gestion des contrats de PPP, mais dans l’existence d’une culture de management de risques de PPP ou pas chez les maîtres d’ouvrage publics.

En effet, plusieurs risques sont probables qu’il faut analyser, anticiper et traiter suivant une approche managériale et non «administrativiste». Je peux en citer quelques-uns sans prétendre être exhaustif : faiblesse de capacités de négociation chez la personne publique dans la conduite du processus d’attribution du contrat de PPP ; vulnérabilité du dispositif de suivi et de contrôle du partenaire dans l’exécution du contrat ; non-sauvegarde de l’équilibre financier et économique du contrat tout au long de la durée du contrat ; surcoût par rapport aux coûts pratiqués dans les marchés publics ; gestion psychologique difficile de transfert du personnel du secteur public au secteur privé, quand le contrat le prévoit ; risques de protection du patrimoine public, à l’occasion de la mise à disposition du secteur public des biens (de retour) à l’entreprise titulaire du contrat.

Par ailleurs, le secteur privé est habituellement très prudent avant d'accepter des risques importants qui échappent à son contrôle, tels que les risques de change/le risque des actifs existants, en essayant de couvrir ces risques par des surcoûts. Voilà quelques risques éventuels, il y en a d’autres certainement.

Au demeurant, les maîtres d’ouvrages publics devraient élaborer une cartographie de risques de leur projets de PPP et la mettre à jour continuellement pour faciliter la maîtrise du processus de contractualisation, de suivi et d’auditabilité et d’évaluation ex post.

 

F.N.H. : Alors, comment voyez-vous les facteurs clés de succès d’un contrat de PPP ?

 

H. E. A. : Il y a certainement des facteurs clés de succès qu’il faut absolument observer dans le processus de gouvernance d’un contrat de PPP. A mon avis, en sus d’une maîtrise de risques cités ci-avant, un bon contrat de PPP devrait vérifier certains préalables :

1) Le contrat de PPP doit être basé sur des critères de performance et de résultats relativement faciles à contrôler ; un PPP mal suivi est un PPP mal géré.

2) Le PPP ne doit pas conduire à un désengagement de la personne publique en conservant suffisamment d'expertise sur le projet.

3) La personne publique doit constamment se porter entièrement responsable du projet devant le citoyen en mettant à son esprit qu’il s’agit d’un simple transfert de gestion de services publics et non d’une cession ou privatisation de ces services.

4) Il est très important de renforcer les capacités de l’administration dans la gestion des contrats de PPP, sous peine de retomber dans l’amateurisme face à un niveau de professionnalisme trop élevé chez le partenaire privé.

5) Veiller sur l’équilibre du contrat (clause de sauvegarde) surtout la nature à long terme de ces projets et leur complexité inhérente. Il est difficile d'identifier toutes les éventualités au cours du développement du projet. A cet effet, il serait opportun que les parties renégocient alors le contrat pour tenir compte de ces éventualités. ■

 

 

Propos recueillis par S. Es-siari

 

 

 

 

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