Coopération Maroc/UE : Repenser les priorités (entretien)

Coopération Maroc/UE : Repenser les priorités (entretien)

Claudia Wiedey, ambassadeur de l’UE au Maroc (photo : Sohaib Zefri)


 

Claudia Wiedey, ambassadeur de l’UE au Maroc, a reçu les journalistes de Finances News Hebdo au siège de la délégation à Rabat. L’Allemande, en poste au Maroc depuis quelques mois, livre sa vision de l’avenir du partenariat stratégique qui relie le Maroc à l’UE. Entretien exclusif.

 

 

Finances News Hebdo : Riche, varié mais également complexe, le partenariat entre le Maroc et l’UE qui entre dans une nouvelle période 2018-2020, est ancré dans le temps. Depuis votre arrivée à la tête de la Délégation en octobre dernier, quelle appréciation faites-vous des relations qui lient les deux partenaires, d’autant que cela intervient dans un moment de tension en raison de l’Accord de pêche ?

 

Claudia Wiedey : C’est un partenariat que je qualifierai de stratégique. Une chose que j’ai assimilée dès le début, est le rôle important joué par le Maroc pour l’Union européenne qui rend ce partenariat très singulier.

Quand je suis arrivée ici, j’ai pu constater que la relation est historique, stratégique mais également complexe, puisqu’elle se décline en plusieurs domaines d’intervention.

Nous sommes passés d’un programme de coopération technique à une relation de voisinage profond et global. Quand je regarde nos relations dans leur ensemble, on y trouve les dimensions politique, économique, commerciale et surtout humaine, ce qui implique des relations étroites avec le gouvernement mais également avec les opérateurs du secteur privé, et les acteurs non étatiques comme les ONG par exemple.

Si je devais hiérarchiser les priorités, je citerais pour notre engagement en matière économique, les questions liées à la compétitivité, la croissance verte et notre appui à la promotion des investissements, notamment à travers la mobilisation de nos facilités d'investissement qui peuvent servir de levier pour attirer les investisseurs et les institutions financières internationales.

 

 

F.N.H. : Comment se démarque le Maroc par rapport aux autres pays bénéficiaires du voisinage Sud ?

 

C. W. : Le Maroc est un des bénéficiaires prioritaires de la politique de voisinage de l'UE, avec plus ou moins 200 millions d’euros de dons par an. Plus de 70% de cette enveloppe sont mobilisés à travers l’appui budgétaire, puisque c’est un appui qui va directement au Trésor marocain. Cela intervient à l’issue d’un dialogue sectoriel et dans le cadre de la coopération que nous construisons ensemble avec l’Exécutif. Ce partenariat étroit avec le gouvernement marocain est la clé du succès de notre relation. En effet, nous travaillons ensemble avec les autorités sur des indicateurs et des objectifs bien précis, et j’insisterai sur le fait qu’il s’agit des objectifs du gouvernement marocain que nous accompagnons sur la base d’indicateurs concrets.

A côté du levier financier, il y a la facilité d’investissement, c’est-à-dire un moyen qui permet de faciliter l’engagement des banques européennes, mais aussi de nos autres partenaires en faveur de l’investissement au Maroc. La coopération traditionnelle ne suffira jamais à créer la croissance nécessaire pour répondre aux besoins du Maroc en termes d'emplois. Cela passe inéluctablement par le secteur privé, et nous appuyons cela en employant une partie de nos ressources, non seulement pour construire des routes ou des infrastructures comme on le faisait par le passé, mais pour faciliter les réformes du cadre règlementaire avec l'expertise et l'appui technique européens.

Comme signalé dans la question, nous entamons un nouveau cycle de programmation 2018-2020. C’est une tâche que nous réaliserons conjointement avec le gouvernement. Les discussions ont été entamées pour lancer le dialogue dans les semaines à venir.

Bien évidemment, les grandes lignes seront maintenues notamment le développement durable et inclusif, les questions commerciales et l’investissement dans l’esprit de l’économie verte.

 

 

F.N.H. : Quid de l’accord de pêche ?

 

C. W. : Tout a presque été dit à ce sujet. Nous avons pris note de l’opinion de l’avocat général de la Cour européenne de justice et nous attendons le jugement qui devrait intervenir dans les prochains mois.

Il s'agit d'un accord important pour les deux parties. Il faut aussi rappeler que l’accord de pêche n’est pas un simple document qui établit les quotas à pêcher, mais un véritable programme de soutien au secteur de la pêche, en plus de mesures pour protéger les stocks. Vous avez également pu constater que les Etats membres de l’UE restent intéressés à poursuivre la coopération dans ce domaine.

L'accord actuel arrive à échéance en juillet 2018, et au siège de l'UE, nous sommes en train de préparer les bases pour la négociation d’un nouveau protocole de pêche.

 

 

F.N.H. : En évoquant la justice, quel commentaire faites-vous de sa réforme au Maroc ?

 

C. W. : Je pense que la Constitution de 2011 a jeté les bases d'une réforme de grande envergure et depuis, des pas très significatifs ont été franchis. Je citerai la nomination par SM le Roi Mohammed VI des membres du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, qui doit veiller à l'indépendance de la justice et de la magistrature ainsi que l'établissement d'un Parquet général indépendant du ministère de la Justice.

Le Maroc est l’un des rares pays où nous appuyons une réforme de la Justice avec un programme d'envergure, qui comprend un appui budgétaire (basé sur la performance), des actions de jumelage et d’assistance technique. La réforme de la Justice est un élément clé de la mise en œuvre de la Constitution de 2011. Comme toutes les grandes réformes, elle nécessite des efforts continus, mais celle-ci est sur la bonne voie.

 

 

F.N.H. : Le Maroc est également en passe de revoir son modèle de développement économique…, comment l’UE accompagnera-t-elle cet énorme chantier ?

 

C. W. : Tout à fait, nous devons répondre à cela. Nous attendons la formulation des pistes détaillées pour identifier notre possible appui, notamment en matière de croissance équitable et de développement durable et inclusif.

Beaucoup de choses ont été faites déjà et d’importantes mesures ont été prises ici dans ce sens, notamment en faveur de l’accès aux services sociaux de base. Nous sommes engagés avec le Maroc sur cette voie et nous pensons que d’autres leviers ont un rôle à jouer comme l’éducation de base et la formation professionnelle pour améliorer l'employabilité, notamment des jeunes et des femmes, et pour lutter contre les disparités entre régions et populations.

Notre programme à partir de 2018 va certainement porter sur ces questions et les discussions permettront de formuler des actions concrètes dans ce sillage. Je noterai que le secteur privé a un rôle important à jouer, car il est le relais de création de valeur et d’emplois au Maroc.

 

 

F.N.H. : En attendant le plan d’action 2018-2020, quelle appréciation faites-vous de l’état d’avancement de l’Aleca, qui vise une meilleure intégration à l’espace économique et commercial européen ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées en matière de convergence de l’acquis communautaire ?

 

C. W. : L’Aleca, en tant que démarche politique, est une étape logique qui complète l'ouverture déjà prévue par l'Accord d'association, son objectif étant une meilleure intégration de l'économie marocaine dans l'espace européen. Nous ressentons, notamment au sein du secteur privé, la volonté de poursuivre sur cette voie qui a été bénéfique aux deux côtés ces dernières années, avec des exportations qui ont progressé de part et d'autre.

L’offre exportable du Maroc s'est considérablement développée, mais il reste encore du potentiel à identifier. Nous sommes disponibles pour accompagner le Maroc dans les secteurs à fort potentiel exportable sur lesquels il a misé et dans de nouveaux secteurs prometteurs. Nous avons également travaillé, avec le gouvernement marocain, sur un certain nombre de pistes de convergence, comme par exemple les normes industrielles, les normes sanitaires et phytosanitaires, ou encore la protection du consommateur.

A ce propos, je félicite le Maroc pour l’adoption par le Conseil de gouvernement, fin décembre, du Programme national de convergence règlementaire, qui démontre le caractère stratégique de ce processus.

L’un de mes objectifs personnels est d'appuyer ce processus de convergence. Nous sommes déterminés à travailler ensemble avec les autorités et le secteur privé pour faire état de ce qui a été accompli et pour identifier les priorités pour l'avenir.

 

 

F.N.H. : Justement, l’ambition d’accéder au marché européen pour le secteur de la volaille marocaine a été l’objet de beaucoup de remous médiatiques. Qu’en est-il réellement ?

 

C. W. : Suite à la demande formulée par le Maroc de démarrer l'exportation de produits transformés de volaille marocaine sur le marché de l'UE, il a fallu tout d'abord faire l'état de la production locale. C’est un travail de terrain qui consiste à évaluer les établissements de production, les systèmes de contrôle, les normes sanitaires, etc. La presse a relayé des informations selon lesquelles la décision a été négative, mais ce n’est pas le cas.

La volonté d'exporter des produits transformés de volaille vers le marché européen est une bonne décision. Le processus préparatoire prend du temps mais personnellement, je suis optimiste !

 

 

F.N.H. : Vous avez souligné le rôle prépondérant du secteur privé dans le raffermissement du partenariat, notamment économique et commercial, entre les deux parties. Dans ce sens, peut-on avoir plus de détail sur la place de l’entreprise dans ce partenariat et les objectifs attendus de la mise en place des instruments de garantie dans le cadre de la facilité d'investissement européenne ?

 

C. W. : Ce mécanisme vient d’être lancé dans le cadre de la facilité d’investissement européenne, avec l'objectif de promouvoir l’investissement privé des PME. C’est l’un des points clés de déclenchement d’une croissance accrue et de la création d’emplois, que la coopération classique ne permet pas.

Cette initiative vient encourager les institutions financières à accroître leurs activités de prêts aux PME, en réduisant leur exposition au risque. Donc, pendant cette première moitié de l’année 2018, des discussions auront lieu pour savoir comment ces instruments de garantie seront actionnés. Nous avons d’ailleurs prévu qu’à partir du mois d'avril, des rencontres seront programmées directement avec le secteur privé marocain pour qu’il en prenne connaissance.

 

 

F.N.H. : Pour conclure, à travers tous les événements récents qu’a connus le Maroc, arrivez-vous à percevoir le message de ce pays et vers quelle voie veut-il se diriger ?

 

C. W. : En trois mois d’activité au Maroc, il est encore tôt pour moi de me prononcer, car je découvre ce pays chaque jour un peu plus. Mais je peux d’ores et déjà dire qu'avec la Constitution de 2011 et les nouvelles orientations de développement du pays définies par le Roi, le Maroc a identifié des pistes de développement assez claires.

Reste à définir comment les concrétiser sur une période donnée avec des objectifs et des moyens précis. C'est ce processus que l'UE entend soutenir dans le cadre d'un partenariat global que le Maroc et l'Union européenne jugent stratégique.

Un autre élément important est le retour du Maroc au sein de l’Union africaine. Le Maroc a retrouvé sa place dans le continent africain, ce qui va lui permettre de renforcer ses relations avec l'ensemble des pays africains. D’ailleurs, l’UE est intéressée à explorer les opportunités de coopération avec le Maroc dans cette nouvelle configuration et promouvoir des initiatives de coopération tripartite. Cela va permettre de mettre en valeur les liens forts qui existent entre l'Union européenne et l'Afrique et l'engagement du Maroc au sein du continent. ■

 

 

 

Propos recueillis par S. Es-siari & I. Bouhrara

 

 

 

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