«Al Hoceima : le gouvernement à la traîne»

«Al Hoceima : le gouvernement à la traîne»

 

Entretien avec Mustapha Sehimi, politologue. Il met la lumière sur une gestion de crise qui laisse à désirer.

 

 

Finances News Hebdo : Comment expliquer la quasi-absence de réac­tion du gouvernement face à la rue qui bouillonne et des inquiétudes de plus en plus importantes des citoyens ?

 

Mustapha Sehimi : Effectivement, la situation actuelle qui prévaut à Al Hoceima et dans sa région nourrit de fortes interrogations quant à l’apaisement. Qu’est-ce qui fonde le sentiment général d’inquiétude, il faut bien le dire ? C’est d’abord la position du gouvernement dont les missions et les responsabilités doivent se conjuguer pour assurer la paix sociale et garantir l’ordre public et le respect de la légalité.

 

F.N.H. : Le gouvernement a pourtant «gaffé» avec son premier communiqué parlant de séparatistes ?

 

M. S. : Force est de relever à cet égard qu’il y a bien eu du «flottement» qui s’est avéré contre-productif. On peut faire référence à ce communiqué des dirigeants des six partis de la majorité, le dimanche 14 avril, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit.

Il donne lieu dans les heures qui suivent à une mise au point du PJD, précisant que Saad Eddine El Othmani, pourtant président du Conseil national de cette même formation, ne représentait pas le parti islamiste, mais qu’il était présent en sa qualité… de chef du gouvernement. Un «couac» qui fait tache.

Mais c’est le communiqué publié à l’issue de cette réunion qui pose problème en condamnant l’instrumentalisation des contestations dans le Rif par des groupes séparatistes.

De quoi relancer les manifestations qui dénoncent cet amalgame, les considérant pratiquement comme des «séparatistes». Le 18 avril, quatre jours plus tard donc, le Conseil de gouvernement rectifie le tir et considère que les revendications des mêmes manifestants sont cette fois «légitimes».

 

F.N.H. : Comment expliquer ce cafouillage ?

 

M. S. : Il faut dire que c’est la chaîne de gouvernance qui ne fonctionne pas dans des conditions opératoires. Le 26 mars, une marche d’une centaine d’élèves de la commune urbaine d’Imzouren tourne au vandalisme et même à l’émeute, faisant des blessés et des dégâts. Le surlendemain, le gouverneur de la province, Mohamed Zhar, est limogé. Une mesure de circonstance alors que le nouveau chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, nommé le 17 mars est en train de former son cabinet, lequel sera nommé le 5 avril. Ce gouvernement prend une première initiative avec le déplacement sur place, le 10 avril, du nouveau ministre de l’Intérieur. Un déplacement qui a eu des résultats ? Il faut croire que non puisqu’une dizaine de jours après, le 22 avril, une délégation de sept ministres (Akhannouch, Louardi, Laftit, Benabdallah, Laaraj,…) retourne à Al Hoceima pour prendre contact avec l’administration territoriale, les élus et certains milieux associatifs. Les manifestants et leurs meneurs refusent de les voir et réclament que ces ministres soient expressément mandatés par le Roi.

 

F.N.H. : El Othmani a-t-il échoué inéluctablement dans la gestion de la crise ?

 

M. S. : Il est vrai que le Chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, n’est pas très audible aujourd’hui. Il a validé le communiqué du 14 avril faisant référence aux menées «séparatistes» des manifestants.

Puis, il a considéré que les revendications des contestataires étaient «légitimes». Enfin, devant la Chambre des conseillers, il a imputé cette situation au PAM qui dirige la majorité des collectivités locales et régionales de la région. En une dizaine de jours, il a ainsi changé trois fois de registre et d’argumentaire. Ses ministres sont-ils mieux entendus et écoutés ? Sérieusement, personne ne peut le soutenir. Le relais peut-il être pris par d’autres acteurs ? Mais qui ? Il est prévu une conférence nationale, prochainement, à Tanger, à l’initiative du président du Conseil de région, Ilyas El Omari. Ce rendez-vous sera-t-il maintenu ? Avec quels participants ? Et le cas échéant, avec quelles conclusions ? Ce qui pèse fortement aujourd’hui et plombe même tout processus d’apaisement, c’est le dossier judiciaire devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel compétente de Casablanca.

 

F.N.H. : Quelle lecture faites-vous de l’entrée en ligne de Benkirane ?

 

M. S. : On doit relever éventuellement le rôle que peut jouer Abdelilah Benkirane qui paraît ces jours-ci sortir de la retenue et du mutisme qu’il avait décidé d’observer depuis le 15 mars, soit la fin de son mandat de Chef du gouvernement désigné le 10 octobre 2016. Il a ainsi reçu à son domicile, le lundi 5 juin, Ahmed Zafzafi -père de Nasser Zafzafi en présence du bâtonnier Mohamed Ziane, par ailleurs leader du parti marocain Libéral et originaire du Rif.

L’entrevue du mercredi 31 mai de Fouad Ali El Himma, conseiller du Roi, avec Abdelilah Benkirane, au domicile de ce dernier, a été diversement interprétée. Selon le conseiller du Roi, elle n’avait qu’un caractère «personnel», selon les termes mêmes de sa mise au point en date du mardi 6 juin, dans la soirée.

Dans cette même ligne, le responsable du PJD a reçu le bureau de l’organisation des jeunes de sa formation pour les inviter à ne pas participer aux manifestations d’Al Hoceima. Un signe, entre autres, visant à montrer qu’il peut peser sur l’évolution de la situation actuelle… ■

 

Propos recueillis par I. Bouhrara

 

 

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