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Les finances publiques à l’épreuve de la justice sociale

Les finances publiques à l’épreuve de la justice sociale

 

- Les finances publiques obéissent de plus en plus à la logique technicienne et aux impératifs des règles budgétaires au détriment de l’essentiel, notamment le rétablissement de la justice sociale.

- Au Maroc, en dépit du foisonnement des programmes sociaux financés par l’argent public, les résultats n’ont pas été à la hauteur : les inégalités sociale et économique n’ont fait que se creuser.

 

Le monde n’a jamais produit autant de richesse et pourtant les disparités économique, sociale, voire régionale ne font que s’accentuer. Le rapport 2018 sur les inégalités à l’échelle mondiale abonde dans le même sens. La question à poser d’emblée est de savoir si, au-delà des incantations, il existe une réelle volonté politique de rétablir une véritable justice sociale, aussi bien dans les pays développés que ceux en passe de le devenir.

En tout état de cause, les résultats des politiques publiques en la matière sont mitigés, au regard de l’ampleur des défis. C’est dans ce contexte particulier que s’est tenu récemment le 12ème  Colloque international des finances publiques organisé par l’association Fondafip sous le thème : «Finances publiques et justice sociale».

«Le sujet retenu pour cette année est une préoccupation majeure pour l’ensemble des Etats», déclare Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des Finances, qui n’a pas manqué de rappeler l’accroissement des besoins sociaux et des dépenses publiques au Maroc.

 

L’Etat ne peut pas tout, tout seul

Le nouvel argentier du Royaume a indiqué dans ce sens que l’Etat, qui doit assumer ses responsabilités pour préserver la cohésion sociale et satisfaire les besoins légitimes des citoyens (services publics de qualité, dans les domaines de l’éducation, la santé, le logement, le transport, etc.), ne peut pas continuer tout seul à lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités. Les seules ressources financières du budget de l’Etat se révèlent insuffisantes pour surmonter un tel défi.

La lutte contre les inégalité requiert la mobilisation, aux côtés de l’Etat, de tous les autres acteurs de la société, à savoir les collectivités territoriales, les établissements et les entreprises publics, les associations, les ONG, le mécénat et le secteur privé etc. L’entreprise, et plus particulièrement la PME, joue un rôle essentiel pour le développement économique, la création des emplois et de la richesse nationale. Elle doit recevoir tout le soutien des politiques publiques.

«Seule une approche globale permettra d’agir sur les causes des inégalités et renverser de manière profonde la tendance à leur augmentation», exhorte Benchaâboun.

L’ancien PDG de la Banque Centrale Populaire se veut néanmoins optimiste et rejette le fatalisme : «les inégalités ne sont pas inéluctables ou irréversibles», martèle-t-il.

Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, souligne que l’on assiste à une baisse tendancielle des recettes fiscales, due en partie à l’augmentation des dépenses fiscales et des exonérations. En d’autres termes, les finances publiques soumises aux principes d’équilibre budgétaire, sont sous haute pression, et l’Etat ne dispose que de peu de marges de manœuvre. 

Du reste, la fiscalité, qui a également une fonction de correction des inégalités diverses, est éminemment politique. La citation de l’ambassadeur de France au Maroc, Jean-François Girault, empruntée au célèbre économiste et prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, rappelle la grande responsabilité des politiques dans le creusement des différentes inégalités. «Les inégalités résultent de choix politiques», assure-t-il. Et d’ajouter : «Les finances publiques sont au cœur des décisions politiques».

 

L’injustice sociale menace l’avenir des sociétés        

L’interrogation de Michel Bouvier, président de la Fondafip,  qui incite à la réflexion, montre à l’évidence la crise de lisibilité existante et la grille de lecture erronée des Etats. «Perdons nous progressivement le sens de la solidarité et l’essentiel ?
D’autant plus que l’injustice sociale menace la démocratie et l’avenir de nos sociétés
», alerte-t-il, tout en pointant du doigt la logique purement technicienne (maîtrise de la dette, des déficits, etc.) au détriment du combat de la justice sociale que l’Etat et ses démembrements (établissements et entreprises publics, collectivités locales, etc.) doivent mener par le biais de politiques publiques efficaces.

L’intervention du représentant de Didier Migaud, président de la Cour des comptes française, renseigne fort bien sur le rôle crucial des juridictions financières pour l’efficacité des politiques publiques sociales (éduction, santé, lutte contre la pauvreté, etc.). «Le domaine de la justice sociale est du ressort de l’Etat. Il incombe aux politiques d’apporter des solutions et de fixer les objectifs en la matière. La Cour des comptes intervient en aval afin de déterminer l’efficacité et l’efficience des politiques publiques, tout en veillant à l’atteinte des objectifs par les politiques», précise-t-il.

 

Du chemin reste à faire au Maroc

A partir des années 2000, les programmes sociaux financés par les recettes publiques ont foisonné. «Il existe une centaine de programmes sociaux publics destinés à lutter contre la pauvreté et les inégalités économique et sociale», rappelle Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume.

A ce titre, il y a lieu de citer l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), les programmes Tayssir et 1 million de cartables, le Fonds de la cohésion sociale ainsi que le mécanisme de subvention de certains produits (sucre, farine, gaz butane) afin de préserver le pouvoir d’achat des citoyens. A l’évidence, cette liste des programmes sociaux est loin d’être exhaustive.

Toutefois, lors du Colloque, le constat a été unanime. En dépit de tous les efforts déployés, les résultats en matière de lutte contre les disparités économique et sociale n’ont pas été au rendez-vous. D’ailleurs, d’après le haut-commissariat au Plan, malgré l’amélioration du niveau de vie des Marocains, le creusement des inégalités a progressé ces dernières années. Le modèle économique et l’inefficacité des différents programmes sociaux sont également pointés du doigt.

La multiplicité des acteurs parfois concurrents et l’incohérence des politiques sociales constituent des obstacles majeurs. D'ailleurs, du côté de la Cour des comptes française, l’on ne manque pas de rappeler que la concentration des efforts là où le besoin est réel, le ciblage et le contrôle de l’efficacité des mesures, tout en évitant la complexité, source d’inégalité, constituent des conditions de succès des politiques sociales à même de rétablir l’égalité des chances, donc la justice sociale. ■

 


Les convictions de Benchaâboun

Le discours prononcé par le ministre de l’Economie et des Finances en ouverture du colloque, ressemble, par bien des aspects, à un programme économique. «L’intime conviction» de Mohamed Benchaâboun est que la réussite des politiques sociales destinées à satisfaire les besoins des citoyens est tributaire de la mise en œuvre de réformes et de mesures stratégiques.

Parmi ces mesures, il cite l’exigence d’une cohérence des politiques sociales ainsi qu'une complémentarité et une bonne coordination entre tous les acteurs, avec un partage clair des compétences. Il cite aussi la facilitation maximale de l’acte d’investissement, qui constitue un levier majeur pour la création d'emplois et de richesse. «L’emploi demeure à mon sens l’outil par excellence pour réduire la pauvreté et les inégalités, car il assure un revenu stable et redonne espoir et dignité au citoyen», souligne-t-il.

C’est donc par l’investissement, l’amélioration du climat des affaires, la bonne gouvernance, mais aussi bien sûr par la mise en place d’un enseignement et d’une formation professionnelle de qualité, le déploiement d’un meilleur système de santé publique, que l’on arrivera à atténuer les disparités.


 

 

Par M.D et A.E

 

 

 

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