Transport maritime : Le pavillon marocain risque de disparaître

Transport maritime : Le pavillon marocain risque de disparaître

mantrach

La flotte marocaine est passée de 70 bateaux, il y a une dizaine d’années, à environ 6 unités actuellement. Contrairement à la réforme maritime, à l’origine des principaux maux du pavil­lon marocain, celle portuaire a permis une émulation dans le secteur, une nette amélioration de la qualité des prestations de services portuaires, plus de produc­tivité et un meilleur rendement. Une nouvelle décision, relative à la dématérialisation des documents d’escales portuaires, vient d’entrer en vigueur le 2 janvier 2016. Pour Abdelaziz Mantrach, président de l'Association professionnelle des agents maritimes, consignataires de navires et courtiers d'affrètement du Maroc (APRAM), avec la stratégie portuaire nationale à l'horizon 2030, le Maroc est très en avance par rapport à tous les pays voisins, aussi bien en termes d’infrastruc­ture, de mise à niveau des procédures que de productivité.

Finances News Hebdo : Le secteur maritime a connu ces dernières années une évolu­tion importante. Qu'en est-il du transport maritime ?

Abdelaziz Mantrach :  Le sec­teur maritime connaît aujourd’hui de sérieux problèmes. Le pavillon maro­cain est dans de beaux draps pour plusieurs raisons, aussi bien exogènes qu’endogènes.

Aujourd’hui, force est de constater que le pavillon marocain a quasiment dis­paru du marché. La flotte marocaine est passée de 70 bateaux, il y a une dizaine d’années, à environ 6 unités actuellement. Les ferries, les phospho­rotiens, les porte-conteneurs, les rou­liers ont ainsi disparu de la circulation et seuls les pétroliers et les bateaux, qui assurent la liaison entre les ports marocains, persistent.

Cela dit, le pavillon marocain a besoin d’être ressuscité, encouragé pour que les investisseurs s’y intéressent davan­tage. Il faut que les banques accom­pagnent le secteur en accordant des crédits, notamment pour l’acquisition de bateaux, talon d’Achille du secteur.

Il y a également la problématique de la compétitivité du pavillon sur le plan fiscal et social étant donné que le nombre d’équipages de notre pavillon est beaucoup plus important que celui des pavillons étrangers.

Ce qui veut dire qu’il faut revoir entiè­rement l’encadrement de l’entreprise marocaine susceptible d’investir dans le secteur et faire en sorte que ce pavillon s'intéresse à de nouvelles niches du transport maritime (cabo­tage, transport sur la côte ouest afri­caine, ligne maritime de l’Afrique du nord…) outre que celles fréquentées par les méga transporteurs que nous ne pouvons pas concurrencer.

Cette orientation permettra au Maroc d’avoir une flotte stratégique pour des besoins, non seulement du commerce, mais aussi pour le transport des pro­duits stratégiques.

Personnellement, je ne suis pas pour les subventions mais plutôt pour l’en­cadrement, l’accompagnement et les facilitations sur le plan fiscal et social mais également de l’assurance. Il faut ouvrir ce marché pour donner aux opé­rateurs du secteur la liberté de choisir l’assurance la plus avantageuse que ça soit au Maroc ou à l’étranger.

Cette ouverture permettra au pavillon marocain d’être non seulement bien assuré mais aussi plus compétitif.

F.N.H. : Pour pallier les contraintes liées au secteur et renforcer la compétitivité des opérateurs, le Maroc a enga­gé une réforme dans le cadre de la stratégie portuaire natio­nale à l’horizon 2030. Où en est aujourd’hui la mise en oeuvre de cette réforme ?

A. M. : La réforme a été scindée en deux : portuaire et maritime. Cette dernière, elle a concerné la libéralisa­tion totale de l’activité maritime, ce qui a été à l’origine des problèmes dont souffre le pavillon marocain. Cette ouverture a dépourvu le secteur de protection et de garde-fous, et par conséquent, il n’a pas pu faire face à une concurrence féroce.

Quant à la réforme portuaire, contrai­rement à la précédente, elle a été très positive, étant donné qu’elle a apporté l’unicité de la manutention (l’entreprise assure la manu­tention de bout en bout) avec comme impact une meilleure productivité et une meilleure qualité du produit livré. Cette réforme a également introduit la concurrence dans la manutention en supprimant le monopole et l’oligopole, et en donnant aussi bien à l’opérateur étatique que privé la possibilité d’opérer à la fois à bord qu’en terre.

Personnellement, j’aurais souhaité que la réparti­tion soit plus équitable entre les deux parties au bénéfice du commerce extérieur.

Toutefois, cette mesure a apporté une certaine émulation avec une nette amélioration de la qualité des prestations de services portuaires, plus de productivité et un meilleur rendement.

Autre avancée et pas des moindres, celle de la séparation des pouvoirs entre l’autorité portuaire et l’opérateur de manutention. Cette réforme a consisté à procurer les attributions régaliennes à l’autorité portuaire et les opérations commerciales et de manutention à un concessionnaire étatique.

F.N.H. : Avec cette réforme, le Maroc peut-il prétendre à devenir une véritable plate-forme logistique ?

A. M. : La réforme a certainement amélioré les conditions d’exploitation des ports par rapport au passé. Mais de là à utiliser les ports comme plate-forme logistique, ce n’est pas évident.

Car, pour y parvenir, il faut qu’il y ait de l’espace au niveau du port pour mener l’activité de trans­bordement vers d’autres destinations. C’est le cas aujourd’hui de Tanger Med, dont la majorité écrasante de son volume de conteneurs concerne le transbordement. Tanger Med est une vraie plate-forme logistique de transbordement dont le Maroc peut être fier. A noter que les performances de ce port ont permis au pays d’améliorer son classement à l’échelle mondiale.

Le port de Casablanca pourrait le devenir notam­ment avec la construction du 3ème terminal, qui pourrait contenir une activité de transbordement.

Quant aux autres ports marocains, ils manquent d’espace et ne sont pas assez outillés pour cette activité.

F.N.H. : Les projets d’infrastructure por­tuaire dans le pipe, peuvent-ils contribuer à cette ambition ?

A. M. : Effectivement, le Maroc est à l’avant-garde en matière d’investissement dans les infrastruc­tures de base (autoroutes, barrages, ports…). Concernant le secteur portuaire, le Royaume dis­pose d’une stratégie à l’horizon 2030 qui prévoit la réalisation d’un certain nombre de ports ainsi que des extensions portuaires afin de maintenir notre logistique portuaire au point.

C’est le cas du port Nador West Med, qui sera un hub des produits pétroliers et gazier, et éventuelle­ment de conteneurs, du port Kénitra Atlantique où il est probable, avec le projet de PSA, de construire un terminal de transbordement de voitures comme c’est le cas à Tanger…

Cela dit, c’est une stratégie très ambitieuse, très coûteuse mais nécessaire pour accompagner le développement économique du Maroc et anticiper les besoins. Il faut dire qu’avec cette stratégie, le Maroc est très en avance par rapport à tous les pays voisins, aussi bien en termes d’infrastructure, de mise à niveau des procédures que de produc­tivité.

F.N.H. : Dans le cadre de cette réforme, une nouvelle mesure vient d’entrer en vigueur à savoir la dématérialisation des documents portuaires d’escales. Quel en est l’enjeu ?

A. M. : L’Apram a mis en place, depuis 15 ans, une stratégie de facilitation des procédures éla­borée selon un benchmark des meilleurs ports internationaux.

Fort de l’expérience vécue ailleurs, nous avons éla­boré un plan d’action pour la mise en oeuvre pro­gressive de cette stratégie avec nos partenaires.

La première étape, en partenariat avec l’Admi­nistration des douanes, a été l’abolition des trip­tyques, une procédure très lourde aussi bien pour l’agent maritime que la douane. Cette procédure a été remplacée par un reporting des mouvements des conteneurs, transmis régulièrement à l’admi­nistration.

Ensuite, nous sommes arrivés à libéraliser l’accès et la circulation des conteneurs vides au sein de l’espace portuaire à condition de mentionner ce reporting dans le système d’information de l’agent maritime avec possibilité de contrôle par la Douane à tout moment.

3ème étape avec l’administration des douanes est la dématérialisation du manifeste, document le plus important d’un bateau.

Nous avons également travaillé avec l’Office des changes pour simplifier la procédure rela­tive au compte d’escale* avec la télédéclaration. Aujourd’hui, l’agent maritime fait une seule ligne par armateur, une fois par an. Il n’y a plus de papier en circulation.

Et tout récemment, il y a une nouvelle décision relative à la dématérialisation des documents d’escales portuaires, qui entre en vigueur dès le 2 janvier 2016 et qui concerne tous les ports du Royaume et l’ensemble des acteurs du secteur maritime.

Une mesure qui répond à un constat de deux études réalisées par l’Apram. La première a été réalisée en 2013 portant sur l’identification des documents portuaires à déposer par l’agent mari­time à chaque escale (73 documents). Après deux ans de travail avec l’Agence nationale des ports (ANP), nous arrivons aujourd’hui à la dématériali­sation totale des documents d’escales portuaires au niveau de tous les ports marocains.

Quant à la deuxième étude, réalisée en 2014, elle porte sur l’harmonisation de ces mêmes docu­ments, qui met l’accent sur l’utilisation efficiente des informations existantes sur PortNet (pour passer de 35 à 3 documents seulement). Ce pro­cessus d’harmonisation ne sera entamé qu’après l’achèvement de celui de la dématérialisation.

Nous avons également sollicité l’APN et PortNet pour la téléfacturation et le télépaiement (fin 2016).

F.N.H. : Quels sont les risques potentiels liés à cette mesure et quels sont les garde-fous mis en place pour y faire face ?

A. M. : Après quelques années d’exercice, PortNet est aujourd’hui une entité mature capable de garantir la sécurité du système qui constitue une priorité.

F.N.H. : Pour conclure, comment ces avan­cées vont-elles impacter les échanges commerciaux du Maroc ?

A. M. : Les prestations portuaires se mesurent à l’échelle internationale. Et donc, un port n’est compétitif que s’il réalise le maximum de facilita­tion de procédures et réussit avec succès son plan d’action de dématérialisation et d’harmonisation.

Toutes les actions que nous sommes en phase de mener, en synergie avec les autorités portuaires et les différents intervenants, s’inscrivent dans l’une des priorités du gouvernement, qui est l’améliora­tion de l’environnement des affaire.

* Facture adressée par l'agent à l'armateur et reprenant toutes les dépénses (débours) engagées pour son compte lors de l'escale du navire ainsi que la rémunération de l'agent (voir agent maritime).

Propos recueillis par Lamiae Boumahrou

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