Des visites sur le terrain sont effectuées afin de faire un diagnostic précis de la situation.
Les modèles fixés seront fonction des spécificités de chaque région sinistrée.
Par C. Jaidani
Les opérations de secours et d’approvisionnement de la population dévastée par le séisme d’Al Haouz se poursuivent à un rythme soutenu. Parallèlement, l’attention est fixée sur le programme de reconstruction. Il s’agit d’un défi colossal. En effet, une semaine après la catastrophe, le Roi Mohammed VI a annoncé différentes mesures, dont notamment l’octroi d’une subvention de 140.000 DH pour les personnes ayant perdu totalement leur maison et 80.000 DH pour celles dont le logement est endommagé. Une allocation d’urgence de 30.000 DH est allouée aux familles.
Répartie sur un an, elle va permettre de subvenir à leurs besoins dans l’attente de leur relogement et leur intégration dans la vie active. Pour le moment, le gouvernement n’a pas encore dévoilé les détails de ce programme. Car de nombreuses problématiques sont à régler avant de passer à la phase d’exécution. Afin de réussir les différents chantiers, des commissions ont été créées au niveau local, régional et central. Supervisées par le département de l’Intérieur, ces entités regroupent des représentants de plusieurs organismes publics et privés concernés, comme l’habitat, l’urbanisme, l’équipement, l’eau, l’ONEE, la protection civile, la santé, l’enseignement et l’agriculture. Elles intègrent les représentants des corps de métiers (architectes, géomètres-topographes, laboratoires de contrôle et conseils en ingénierie).
L’objectif est de faire un diagnostic précis de la situation, notamment le nombre de constructions totalement détruites, celles qui peuvent être retapées ainsi que la population éligible aux aides de l’Etat. Lors du dernier Conseil de gouvernement, Aziz Akhannouch a souligné qu’«au sein de la commission interministérielle dédiée, une réflexion et une action permanentes sont menées autour des mécanismes à même d’assurer le bon déroulement de l’opération de reconstruction, en harmonie avec le patrimoine et les caractéristiques architecturales de chaque région. La réhabilitation des zones sinistrées prendra ainsi en considération, de manière générale, le renforcement des infrastructures et l’amélioration de la qualité des services publics».
A priori, le programme de reconstruction a tout pour réussir, notamment une forte volonté des hautes sphères de l’Etat et, surtout, le volet financement. Outre le Fonds spécial et le budget de l’Etat, ce programme devra aussi être alimenté par des lignes de crédits débloquées par des organismes internationaux ou des bailleurs de fonds. Mais les difficultés qui se posent avant de lancer les travaux concernent les options à choisir, notamment les matériaux à utiliser, les plans à définir, l’emplacement des nouvelles constructions, particulièrement dans le monde rural… «Nous suivons de très près l’évolution de la situation sur le terrain. L’opération de reconstruction devrait prendre en considération les spécificités de chaque région. Nous travaillons en étroite collaboration avec la société civile et la population. Nous privilégions l’approche participative afin de lancer des projets concertés, qui répondent à des critères bien précis, notamment en matière de sécurité, de fiabilité, tout en assurant un cadre de vie adéquat pour la population», a souligné Fatima Azzahra El Mansouri, ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville.
Et d’ajouter qu’il «n’est pas facile de déplacer loin de leur lieu de résidence les sinistrés qui, pour la plupart, ont un attachement très fort avec la terre de leurs ancêtres où ils ont leurs sources de revenu. Mais, le plus important, c’est qu’ils soient dans un lieu sécurisé, connecté avec les voies de communication, des réseaux de l’eau, de l’électricité et de l’assainissement et disposant de services publics nécessaires». Pour lancer le programme, des réunions marathoniennes sont organisées. L’objectif est de permettre à chaque organisme ou corps de métiers de livrer sa propre réflexion et de coordonner les actions par la suite.
«Nous avons tenu de nombreuses réunions à la wilaya de Marrakech. D’autres sont programmées au niveau du département de l’Equipement. Nous sommes actuellement dans la phase de réflexion. Chaque corps de métiers doit livrer son point de vue d’ici fin septembre afin de fixer une vision commune et cohérente pour entamer les chantiers de la reconstruction. Nous avons mobilisé plus d’une centaine de géomètres-topographes. Nous avons un rôle très important pour bien localiser les douars sinistrés, les constructions en ruine ou présentant un certain risque. Différentes études sismiques sont lancées, nous devrons donner une cartographie en 3D pour que les décideurs et les intervenants sur le terrain aient une idée précise sur les défis à relever», souligne Khalid Yousfi, président de l’Ordre national des géomètres-topographes (ONIGT). En première ligne de front, les architectes sont la cheville ouvrière de l’opération de construction. Au lendemain de la catastrophe, une délégation du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA) s’est déplacée à Marrakech et dans les régions sinistrées afin de s’enquérir de la situation. Ils sont appelés, à leur tour, à livrer leur propre vision pour mener à bien les chantiers.
«Le travail de réflexion ne peut être mené que sur la base d’un diagnostic profond et détaillé. Les éléments recueillis sur le terrain devraient nous permettre de bien définir les modèles de reconstruction à adopter. Sachant qu’il existe de nombreuses difficultés à prendre en considération, chaque région devrait avoir son propre modèle. A Marrakech, seule la médina a été touchée. Un lieu qui regroupe des édifices historiques à restaurer, alors que les logements de type anciens sont à reconstruire tout en veillant à respecter l’aspect architectural de la ville ocre. Pour le monde rural, la situation est plus complexe, car il s’agit de douars éparpillés et localisés essentiellement dans des zones montagneuses. D’où une problématique territoriale à résoudre», souligne Samir Drissi, trésorier général du CNOA.
S’agissant des matériaux à utiliser pour la reconstruction, il note qu’«il est possible de construire avec des normes parasismiques tout en utilisant des produits locaux. Certains monuments historiques ont résisté à l’usure du temps et à de nombreux séismes sans qu’ils soient construits en béton armé. C’est le cas des murailles de Marrakech ou du minaret de la Koutoubia. Quels que soient les matériaux utilisés, si les normes de construction sont respectées, les risques deviennent très faibles». Les corps de métiers partagent globalement les mêmes préoccupations. Mais dans les détails, plusieurs divergences de taille se dégagent. Selon ses attributions, chaque corps de métiers dévoilera sa propre analyse. Comportant plusieurs étapes, une matrice sera tracée pour fixer les rôles de chaque intervenant selon le principe de piloter, exécuter et contribuer.
«Le premier préalable à réaliser consiste à avancer dans la finalisation et l’actualisation des cartes des différents aléas. L’analyse des risques est très importante pas uniquement vis-àvis du séisme mais également par rapport à d’autres risques hydrauliques, hydro géologiques, géotechniques, … et ce afin que la reconstruction soit réalisée sur des plateformes et des socles solides, durables et sécurisés. Dans une deuxième phase, il est primordial de revoir les plans d’aménagement territorial pour qu’ils soient adaptés aux nouvelles circonstances», explique Nabil Benazzouz, président de la Fédération marocaine du conseil et de l’ingénierie (FMCI). S’agissant du modèle de reconstruction adopté, il a noté que «chaque région et sous-région devra être dotée d’un schéma qui lui est propre. Un zoning devra être établi pour que le traitement soit adapté à chaque zone homogène selon ses spécificités en établissant les plans types qu’ils soient architecturaux ou techniques structuraux. Le choix des matériaux est également important. Ils doivent être d’abord en harmonie avec les conditions climatiques et le cachet urbanistique et architectural de la région. Ces matériaux doivent être disponibles à un coût compétitif et enfin mis en oeuvre conformément à des dispositions et règles de construction appropriées visà-vis de tous les risques».
Pour rappel, des équipes pluridisciplinaires de la FMCI (ingénieurs structures, hydrauliciens, géo physiciens, géo techniciens, …) ont fait une tournée dans les régions sinistrées en empruntant un parcours où le séisme a le plus frappé. D’autres visites seront programmées. Sur la base des observations et constats, un rapport d’étape sera au fur et à mesure émis et enrichi servant ainsi de réflexion de la fédération à mettre à la disposition des pouvoirs publics.