«La loi de Finances demeure trop souvent cantonnée à son acceptation fiscale»

«La loi de Finances demeure trop souvent cantonnée à son acceptation fiscale»

 

Hicham Bensaid Alaoui, directeur des risques et de l’information à Euler Hermes Acmar, revient sur ce qui empêche la Loi de Finances de jouer son rôle comme il se doit.

 

 

Finances News Hebdo : A entendre les doléances du patronat à l’occasion de l’élaboration de chaque Loi de Finances, nous constatons un manque d’innovation puisqu’il s’agit chaque année des mêmes requêtes, comme si tous les problèmes de l’entreprise se résumaient en un seul, à savoir celui de la trésorerie de l’entreprise. Partagez-vous cet avis ?

 

Hicham Bensaid Alaoui : De fait, les doléances dont il est question de la part de la CGEM, semblent particulièrement afférentes à une meilleure efficience de l’administration (simplification des procédures, voies de recours en cas de différends…) et à l’allègement de la pression fiscale pesant sur les entreprises (IS progressif, remboursement des crédits de TVA…).

Partant de ce constat, je ne pense pas que l’on puisse parler de manque d’innovation ou de créativité, mais il serait davantage question d’aboutir à l’amère conclusion que des requêtes en théorie basiques sont encore à l’ordre du jour. Tant que les entrepreneurs n’auront pas eu gain de cause sur ces différents sujets, je ne vois pas de raison à ce qu’ils arrêtent de revendiquer des changements à ce niveau.

 

F.N.H. : Dans le même sillage, en matière de compétitivité, les mesures préconisées par le patronat dans le PLF 2018 sont relatives à l’instauration de l’IS progressif, l’accélération du remboursement de la TVA… Des mesures qui permettent d’améliorer la trésorerie des entreprises. Quelle appréciation en faites-vous ?

 

H. B. A. : Les propositions formulées par la CGEM, notamment en matière fiscale, ont plusieurs orientations distinctes.

Ainsi, l'appel à l'instauration d'un IS progressif (selon le modèle de l'IR par exemple) devrait aller dans le sens d'une meilleure différentiation des performances des entreprises.

De fait, une entreprise réalisant un bénéfice de 250.000 DH est actuellement imposée à 10%, soit 25.000 DH d'impôt. Une entreprise réalisant un bénéfice supérieur de 55.000 DH uniquement (soit 305.000 DH de bénéfice) doit s'acquitter de 61.000 DH d'impôt (car imposée à 20%). Dans une telle configuration, dans laquelle une entreprise générant 55.000 DH de bénéfice supplémentaire doit s'acquitter de 36.000 DH d'IS additionnel, le poids fiscal (plus de 65% en l'espèce) paraît réellement contraignant.

En instaurant un IS progressif, seule la «survaleur» serait imposée à 20%, ce qui serait plus intellectuellement recevable par nombre d'entrepreneurs.

En revanche, la revendication concourant au remboursement des crédits de TVA dus par l'Etat marocain, au titre d'un impôt par essence et définition neutre pour le contribuable, ne va que dans le sens de la correction d'une situation anormale qu'il convient d'ajuster au plus tôt. En effet, que des entreprises mettent la clé sous la porte notamment du fait de retards dans la perception de crédits de TVA leur revenant de droit, est un état de fait bien préoccupant.

 

F.N.H. : C’est dire que les Lois de Finances s’inscrivent dans la continuité et manquent d’innovation comparativement à d’autres pays. Quel commentaire pouvez-vous nous faire à ce sujet ?

 

H. B. A. : C'est bien là le cœur du problème. Tant que des revendications basiques n'auront pas été satisfaites, comment s'attendre à des propositions réellement innovantes ?

 

F.N.H. : En partant d’un tel constat, la Loi de Finances joue-t-elle comme il se doit le rôle qui lui incombe pour stimuler la croissance économique et soutenir les réformes structurelles ?

 

H. B. A. : Malheureusement, la Loi de Finances demeure trop souvent cantonnée à son acception fiscale. Or, de telles mesures sont bien entendu nécessaires pour servir d'appoint à la croissance organique des entreprises marocaines. En revanche, les débats réellement structurants (crédit d'impôt recherche, empreinte écologique…) ne pourront réellement être abordés qu'une fois évacuées les contingences «basiques».

 

F.N.H. : La déconnexion entre la réalité économique et celle fiscale est un secret de polichinelle. Deux grands banquiers de la place ont pointé du doigt le décalage entre les règles de provisionnement bancaire et les dispositions fiscales, qui se traduit par des redressements fiscaux. Comment la Loi de Finances peut-elle y remédier ?

 

H. B. A. : Il s'agit là d'un débat de fond. Il est de fait très difficilement compréhensible pour un opérateur économique que deux entités publiques de tout premier plan, telles que Bank Al-Maghrib ou l'ACAPS, autorité de tutelle des assurances au Maroc, prévoient des dispositions spécifiques (par exemple, provisionnement des créances problématiques sur base statistique) alors qu'un autre pôle étatique, l'administration fiscale en l'occurrence, rejette ce principe.

Je pense donc à ce titre qu'une telle harmonisation entre différents organes publics est indispensable, mais qu'en revanche, elle devrait faire l'objet d'une réflexion et d'une déclinaison spécifiques, une Loi de Finances devant demeurer l'exercice de détermination de l'emploi des ressources du pays. ■

 

 

Propos recueillis par S. Es-siari

 

 

 

 

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