«L’intégration africaine par le commerce n’est pas un simple slogan pour le Maroc»

«L’intégration africaine par le commerce n’est pas un simple slogan pour le Maroc»

Said Maghraoui Hassani

Au cours de la dernière décennie, les exportations du Maroc vers l’Afrique de l’Ouest n’ont cessé de progresser. Ces résultats probants sont à relier aux efforts de promotion déployés par le Royaume et à la compétitivité des opérateurs nationaux dans cette partie de l’Afrique comptant plus de 300 millions de consommateurs. Toutefois, plusieurs contraintes pénalisent la fluidité des échanges commerciaux entre le Maroc et les pays d’Afrique de l’Ouest. D’où l’opportunité de mettre en place un large accord préfé­rentiel permettant de donner une dimension autrement plus importante aux échanges avec cette partie de l’Afrique. Saïd Maghraoui Hassani, directeur de la politique du Commerce extérieur, expose l’étendue des scénarios possibles pour y parvenir.

Finances News Hebdo : Lors de la cara­vane Action Lumière II, le secteur de l’éner­gie a été au coeur des échanges. Toutefois, les opérateurs de part et d’autre ont déploré l’absence d’accords commerciaux préférentiels entre le Maroc et les trois pays visités (Togo, Mali, Cameroun). Quel est votre avis sur cette doléance ?

Saïd Maghraoui Hassani : Tout d’abord, par rap­port à la dynamique, il y a lieu de souligner que le Maroc est dans une position relativement confortable. D’année en année, les exportations nationales vers l’Afrique subsaharienne, notamment vers les pays d’Afrique de l’Ouest, augmentent substantiellement. Les opérateurs marocains évoluant dans plusieurs branches, pour ne citer que le secteur électrique, gagnent de plus en plus de parts de marché dans ces zones. Toutefois, nos ambitions sont encore beaucoup plus élevées par rapport aux résultats enregistrés actuellement. Nos opérateurs ont les capacités de faire encore plus. Mais il est clair qu’ils se heurtent à plusieurs contraintes que le ministère de tutelle s’attèle à lever. Le volet de la promotion pris en charge par Maroc Export est tout aussi important pour aider les entreprises marocaines à mieux se positionner sur le continent. D’ailleurs, Action Lumière II illustre parfaitement la prise en charge du volet promotionnel par l’Etat. Pour revenir aux obs­tacles, il incombe à l’Etat, par le truchement du minis­tère délégué chargé du Commerce extérieur, de mettre en place des règles juridiques à même de faciliter les échanges commerciaux entre le Maroc et les autres Etats du continent.

F.N.H. : Depuis plusieurs années, le Maroc est en négociation avec les pays de l’Afrique de l’Ouest pour mettre en place un vaste accord commercial préférentiel, pouvant in fine débou­cher sur une zone de libre-échange. Où en sont les négociations ?

S. M. H. : Pour ce sujet, il faut rappeler que théorique­ment tous les scénarios sont possibles et envisageables. Cela va des accords bilatéraux aux accords régionaux, soit avec l’UEMOA ou la CEDEAO, et pourquoi pas la mise en place d’un accord commercial continental. Pour le Maroc, l’intégration africaine par le commerce n’est pas un simple slogan. Toutefois, pour y parvenir, il est nécessaire de supprimer les barrières tarifaires et non tarifaires qui limitent le commerce. Les pays devront aller plus loin en intégrant les questions d’origine, de contrôle, de normes, de facilitation des échanges, sans oublier le volet des investissements. Car, à un moment donné, certaines entreprises exportatrices passent à la vitesse supérieure en prenant la décision de ne plus être de simples entités exportatrices, mais des investisseurs. Cela leur permet d’être présentes physiquement à tra­vers des filiales à l’étranger. Le genre d’accord appro­fondi qui génère des emplois et de la richesse dans les pays d’accueil est de nature à multiplier les bienfaits de la coopération Sud-Sud. Pour revenir à votre question, le sujet des accords commerciaux n’est pas simple, même si une multitude de scénarios subsiste, comme évoqué plus haut. Toutefois, le tout est de savoir jusqu’où les Etats africains peuvent-ils aller. Vont-ils intégrer tous les produits ou une liste de produits ? Les différentes thématiques liées au commerce seront-elles incluses ? Ajoutez à cela que les aspects politique et géostra­tégique constituent de réels enjeux pour les différents scénarios. Au-delà de ces interrogations, le Maroc et la Côte d’Ivoire ont conclu récemment un accord bilatéral qui était en cours de négociation depuis 20 ans. Cet instrument ratifié permettra l’entame des discussions des listes de produits inclus. Cette initiative est certes limitée, mais c’est un pas encourageant pour fluidifier davantage les échanges commerciaux entre les deux pays. La volonté du Maroc est de conclure des accords commerciaux avec des blocs régionaux africains plus larges.

F.N.H. : Selon vous, n’est-il pas plus judicieux de cibler dans un premier temps un certain nombre de produits ou de services pour accé­lérer le processus de négociation des accords commerciaux entre le Maroc et les pays de l’Afrique de l’Ouest ?

S. M. H. : L’histoire économique nous enseigne qu’il est efficace de commencer par un certain nombre de produits pour parvenir à une intégration économique complète, qui passe par la facilitation du commerce. L’autre aspect important du processus d’intégration est l’internationalisation des entreprises. Afin de par­venir au modèle que l’on connaît aujourd’hui, l’Union européenne (UE) a commencé par quelques produits (charbon et acier) et quelques pays. Elle a procédé par l’élargissement dans l’espace et par l’approfondisse­ment et la diversification des domaines inclus dans les accords commerciaux. Ce modèle, qui a inspiré plusieurs zones d’intégration économique, est toujours valable. Plusieurs accords régionaux économiques fondés sur la démarche de l’UE ont réussi, même si d’autres ont connu moins de succès. Dans tous les cas de figure, l’objectif recherché en mettant en place des accords économiques est de parvenir à un optimum de premier rang ou à une série d’optimums de second rang. L’important est d’arriver à une meilleure situa­tion qui suppose une fluidité et un accroissement des échanges commerciaux. Pour l’Afrique, il est important de déclencher le processus d’intégration et d’aller en profondeur dans les accords commerciaux.

Momar Diao

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