«Il est temps de cultiver le panafricanisme dans toute sa définition»

 «Il est temps de cultiver le panafricanisme dans toute sa définition»

nimaga

La nouvelle dynamique qui se met en place insufflera de nouvelles réflexions de partage et de  collaboration entre les pays du continent. Avec ses richesses naturelles et humaines, l’Afrique n’a plus rien à envier à l’Occident. S.E. Ismaïla Nimaga, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République centrafricaine au Maroc et Doyen du Corps diplomatique, nous dévoile, sans langue de bois, la force africaine qui se consolide malgré les péripéties.

 

Finances News Hebdo : Une Afrique unie, solidaire et capable d’émerger par ses propres moyens, telle est la vision que le Souverain cherche à véhiculer auprès de tous les pays du continent. Quels sont les réflexes qui vont jaillir de cette dynamique qui s’installe ?

Ismaïla Nimaga : La dynamique qui est insufflée par SM le Roi à travers ses déclarations, ses instructions royales ainsi que ses visites fréquentes en Afrique appelle deux situations. D’abord, sur le plan de la réflexion.  Tous les dirigeants africains doivent se baser sur l’adage qui dit que l’on n’est bien servi que par soi-même. En d’autres termes, nous devons voir notre continent avec beaucoup d’optimisme, de courage et d’ouverture. Car les richesses et les ressources humaines ne manquent pas. Il est nécessaire d’inculquer à chaque Africain que notre continent a tout ce qu’il faut pour réussir son propre décollage.  Les dirigeants doivent s’orienter davantage vers le continent et vers ses ressources humaines qui ont montré leurs compétences et leurs capacités dans tous les domaines. S’il y a fuite des capitaux en Afrique, c’est à cause de l’égoïsme et de ce que j’appelle la sousestimation de nos valeurs et de nos capacités.  Parce qu’à valeur égale, force est de constater qu’au moment de confier la réalisation d’un projet, le choix est porté sur un Occidental plutôt que sur un Africain pour des raisons non-fondées. La confiance n’est donc pas placée en nos enfants qui viennent avec leur savoir. Conséquence de cela, nous regardons toujours ailleurs. C’est pour cela que, dans cette réflexion, un changement de mentalité doit s’opérer pour inculquer l’idée que nous sommes capables d’atteindre notre but en conjuguant nos efforts. Le retour du Maroc à l’Union africaine nous impute cette nouvelle réflexion. Une réflexion qui nous permettra d’ôter les ornières qu’on nous a longtemps mises pour ne regarder que du Sud vers le Nord. Aujourd’hui, sans ces ornières, nous constatons que tout ce que nous recherchons dans d’autres continents nous l’avons en Afrique. Cela pour dire qu’il faut regarder davantage autour de soi. Il est temps de cultiver le panafricanisme dans toute sa définition et avoir cette volonté de partage entre nous pour faire en sorte que nos richesses profitent d’abord à notre continent.

F.N.H. : Cette union africaine qui se renforce, dérange ceux qui ont longtemps exploité, et continuent de le faire, les richesses du continent. Dans quelle mesure cette ascension africaine peut-elle contrarier l'Occident ?

I. N. : Nous n’avons pas besoin de l’avis de l’Occident. Si, par le passé, ils ont profité de la naïveté, de la largesse ainsi que de la proximité sur le plan des approches de nos aînés, aujourd’hui, nos hommes politiques sont mûrs et savent désormais que ce que nous avons envié hier à l’Occident nous le possédons désormais. Le continent doit s’imposer. Et il ne peut le faire que par deux choses.  D’abord, par la valeur de nos mérites, que ce soit via nos produits ou via nos hommes. Ensuite, par la portée de nos politiques. Des politiques qui doivent mettre en exergue et soutenir le développement du continent, le rapprochement entre nos peuples et le raffermissement de tout organe qui contribue au développement économique de l'Afrique. L’Occident, que nous continuons de consulter, se rendra compte que cette Afrique qu’il a autant décriée, est désormais un continent qui s’est pris en charge. Et avec le retour du Maroc qui a rejoint sa famille, apportant son savoirfaire, son expertise et sa forte volonté pour que l’Afrique soit unie, nous n’avons plus besoin de regarder ailleurs.


F.N.H. : Toutefois, force est de constater que si le continent peut se passer du Nord dans certains secteurs où il a enregistré des avancées, ce n’est pas le cas pour d’autres où l'Occident continue d’avoir la main sur des secteurs stratégiques.  Comment l’Afrique peut-elle surmonter ces obstacles pour gagner son indépendance ?

I. N. : Tout d’abord, un courage politique est nécessaire pour affronter les problèmes politiques avec l’Occident. Nous ne pouvons réussir sans ce courage. Nous devons défendre nos propres valeurs devant qui que ce soit. Un courage que la plupart de nos chefs d’Etat ont acquis aujourd’hui. Je citerai l’exemple de la récente crise en Gambie. Certains pays occidentaux se sont proposés pour servir de médiation, mais la CEDEAO a refusé en prenant ses propres responsabilités, épaulée par ses hommes, ses moyens, sa propre intelligence pour résoudre le problème. C’est ce courage et cette solidarité entre pays dont nous avons besoin. Sans solidarité, nous n’atteindrons pas nos objectifs. Encore faut-il que cette solidarité soit non seulement expressive, mais engagée et responsable. Aussi, nous devons avoir le courage de choisir nos partenaires en nous tournant davantage vers les pays du continent.

F.N.H. : Les tensions politiques entre les différents pays du continent, le cas du non-Maghreb, sont également des freins à l’auto-décollage de l’Afrique. Est-il possible de réussir cet essor avec un Maghreb aussi divisé ?

I. N. : Vous touchez là une plaie qui saigne. Même en n’étant pas maghrébin, je suis exaspéré par cette perte de temps. Vous imaginez la force politique, stratégique, économique, commerciale…, que peut avoir un Maghreb uni. Une force dont l’Afrique peut tirer le meil leur bénéfice. Malheureusement, cette union ne pourra pas se faire si l’on reste divisés sur des questions qui fragilisent la dynamique de tous ces hommes d’Etat qui ont voulu rassembler leurs forces. C’est pour dire que l’Union du Maghreb arabe constitue une force sur laquelle les pays de l’Afrique subsaharienne comptent énormément. Un Maghreb bien structuré, bien lancé, avec la CEDEAO, l’Afrique australe et l’Afrique centrale à travers la CEEAC, cela constituerait une «bombe» dans le sens de la régénération des biens. Hélas, l’égoïsme, nourri par un Occident qui ne veut pas voir nos pays unis, qui vont dans la même direction et parlent la même langue, entrave l’aboutissement de ce but. Nos dirigeants doivent faire face à tous ces obstacles qui ont freiné jusqu’aujourd’hui le continent. Je suis convaincu qu’une Afrique unie et rassemblée, comme nous le sommes maintenant, regardera l’Occident avec honnêteté et avec égale option, voire même au-delà.

F.N.H. : 2017 a été marquée par le retour triomphal du Maroc au sein de l’Union africaine ainsi que par sa demande de candidature pour intégrer la CEDEAO. Qu’apporteront ces faits marquants à l’émergence africaine ? 

I. N. : Imaginez une Afrique sans barrières qui ont été arbitrairement instaurées par le colonialisme pour diviser et mieux régner. Maintenant que nous avons compris cela, il est judicieux de mettre en avance les bons rapports avec les peuples et les fructifier. Ne plus tenir compte des barrières qui sont artificielles. Je crois qu’il faut partir du principe que l’Afrique est indivisible. Bien entendu, nous avons cet héritage qui est un lourd fardeau, à savoir la langue. Mais là encore, nous pouvons surmonter cet handicap linguistique. Quant au retour du Maroc au sein de l’UA, je pense qu’il ne va pas changer grandchose, puisque durant ces 33 ans d’absence, le Royaume a toujours été là. Ce retour est juste une formalité et une normalisation. D’ailleurs, je me lève contre ceux qui disent que le Maroc a réintégré l’UA, car il ne l’a jamais réellement quittée.

Propos recueillis par L. Boumahrou

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux